H’mida et le syndrome de l’imposteur

Fouad Laroui.

Fouad Laroui.

ChroniqueEt c’est pourquoi des benêts incompétents se pavanent dans nos rues ou dans nos assemblées, «claquent» une fortune dans le mariage de leurs enfants, roulent en limousine dans les sentiers crottés des patelins dont ils sont les élus, etc.

Le 17/05/2023 à 11h03

L’excellent mensuel Harvard Business Review, qui a fêté l’an dernier son centenaire, vient de consacrer un numéro spécial (The best of HBR, summer 2023) à ce qu’on appelle en psychologie «le syndrome de l’imposteur».

Il s’agit du sentiment pernicieux qui tourmente certaines personnes dont la réussite éclate aux yeux de tous mais qui doutent, au fond d’elles-mêmes, de leur compétence et de leurs capacités.

Ce doute persiste malgré les succès professionnels. Il y a donc contradiction entre la perception qu’ont les autres de cette personne (compétente, «à la hauteur», à la réussite indéniable) et la façon dont elle se perçoit elle-même.

L’une des conséquences de ce syndrome est que celui qui en est frappé vit avec la peur constante d’être démasqué par ses collègues, ses subordonnés ou son entourage familial. Il aura alors tendance à travailler plus dur que nécessaire pour (se) prouver qu’il mérite son succès.

Quand j’étais jeune ingénieur à l’OCP, un de nos collègues était réputé pour son ardeur au travail. Il arrivait tôt le matin, restait au bureau jusqu’à la tombée de la nuit, rentrait chez lui avec des dossiers sous le bras, travaillait pendant le week-end, seul dans son bureau du siège… Nous admirions un tel dévouement à l’entreprise. Je me demande maintenant s’il ne souffrait pas plutôt du fameux syndrome.

À long terme, ce comportement peut conduire à un état permanent d’anxiété, parfois à la dépression. La lecture en 1992 de l’autobiographie de Louis Althusser, intitulée L’avenir dure longtemps, m’avait éclairé sur ce syndrome. J’admirais Althusser le philosophe, dont je lisais avec intérêt les ouvrages; et voilà que j’apprenais qu’après chaque publication il entrait, sous un nom d’emprunt, dans une maison de repos pour soigner une profonde dépression déclenchée par l’angoisse d’être débusqué comme charlatan, fumiste, faux intellectuel…

D’autres biographies (Disraeli, Churchill…) m’ont appris que beaucoup de « grands hommes » souffraient de ce syndrome. Vous aussi, cher lecteur, vous en souffrez s’il vous arrive de douter, d’avoir l’impression de ne pas être à votre place, s’il vous arrive de manquer de confiance en vous, et surtout si ces doutes deviennent chroniques et vous minent.

Mais ne vous inquiétez pas! En effet, voici ce que toutes ces lectures m’ont appris: ceux qui souffrent du syndrome de l’imposteur… n’en sont pas. Althusser était un penseur profond, qu’on soit d’accord avec ses idées ou non; Benjamin Disraeli fut un grand homme d’État, très apprécié par la reine Victoria, et accessoirement un romancier à succès; quant à Churchill, nous rappelions dans ces colonnes la semaine dernière qu’il avait été choisi par les Anglais comme le plus important personnage de leur Histoire, devant Newton, Shakespeare et Darwin…

Le corollaire de ce qui précède est amusant. Vous savez qui ne souffre jamais du syndrome de l’imposteur? Les vrais imposteurs.

Et c’est pourquoi des benêts incompétents se pavanent dans nos rues ou dans nos assemblées, «claquent» une fortune dans le mariage de leurs enfants, roulent en limousine dans les sentiers crottés des patelins dont ils sont les élus, etc. Tout ça parce qu’ils ne doutent jamais, eux. Au lieu de se retirer, rongés d’inquiétude, ils s’affichent.

Appelons-les collectivement « H’mida ». Inutile de recommander à H’mida la lecture du numéro spécial de Harvard Business Review. D’abord, il ne lit pas; ensuite, H’mida ne se considère pas comme un imposteur, puisqu’il en est un. Il est de ceux dont on dit chez nous, pour stigmatiser leur impudence et l’absence totale de vergogne qui les caractérise: «Est-ce là ton visage ou ta nuque?»

Mon frère en rencontra un jour un beau spécimen. Lorsqu’il lui demanda en quoi consistait son travail d’élu local, H’mida lui récita la liste des villes jumelées avec la sienne de par le vaste monde: «J’ai visité le bazar de K*; j’ai acheté un beau costume à N*; j’ai roucoulé avec une chinouia à O*…»

En voilà un qui a parfaitement compris ce que le peuple attend de lui.

Je propose donc de nommer «syndrome de H’mida» cette affection psychologique qui frappe certains de nos concitoyens: totalement incompétents, ils ne le savent pas, ne doutent de rien et vont crânement de l’avant.

Qui sait? Le syndrome de H’mida fera peut-être un jour la une de Harvard Business Review.

Par Fouad Laroui
Le 17/05/2023 à 11h03

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VOS RÉACTIONS

Cette thématique a été merveilleusement résumée par le philosophe anglais Bertrand Russell qui nous dit le suivant: The whole problem with the world is that fools and fanatics are always so certain of themselves, and wiser people so full of doubts.

Merci Omar pour votre correction concernant l’ ascendance galloise de Bertrand Russell:-)

Bonsoir Monsieur Ben Benaziza. Juste quelques précisions. Bertrand Russell (1872-1970) n'est pas anglais, il est gallois. Il n'était pas qu'un grand philosophe, il était aussi un grand mathématicien (Principia Mathematica) et prix Nobel de littérature (1950). Cordialement.

Excellente citation! Effectivement elle résume le dilemme syndrome de H'mida ('fools and fanatics') contre syndrome de l'imposteur ('wiser people').

Pour ceux que ça interesse de connaitre le personnage de chaouch H'mida dont j'ai parlé dans un commentaire plus bas, et qui était interprète dans l'armée française pendant la guerre de pacification au Maroc dans les années 1930s et qui a participé aussi à la première guerre mondiale, je les invite à lire le livre de Georges SPILLMANN: Les Ait Atta du Sahara et la pacification du Haut Dra. L'auteur consacre une annexe à la fin du livre à ce personnage à la fois atypique et fascinant.

Il fait déjà la Une de "le 360" ! N'est ce pas une prouesse pour H'mida ? Hhhh

Ceux qui sont traumatisés par leur conscience, non seulement ne sont pas des imposteurs, mais se perfectionnement en permanence pour bien mériter leur place ! Quant à ceux qui ne souffrent pas de leur syndrome de "H'mida" ... et qui font souffrir les autres... je ne vous cache pas Professeur que ça n'est pas de leur faute. Faut blâmer ceux qui les ont mis là et j'en veux plus à nos Dirigeants et à nos lois électorales qui leurs ouvrent les portes et leurs permettent de nous enfoncer dans le sous-développemen et de nuire à l'image de notre Pays... Merci

Sur un autre sujet, que pensez vous des deux jeunes entrepreneurs derrière les deux models de voiture dont on a beaucoup parlés ces derniers jours? Or d'après leurs pages linkedin, l'un a un diplôme de bac+2 (DUT) en commercialisation et marketing, et l'autre a fait des etudes de droit à Toulouse. Des spécialités et des niveaux académiques qui n'ont rien à voir avec l'ingénierie de la construction automobile ou des moteurs à Hydrogène.

Vous vous concentrez sur de mauvais points. Beaucoups de groupes ici sont fondés et diriges par des illettrés incompetents. L'essentiel, cest d'identifier, recruter et payer les bons profils, maximiser la production locale, garantir des financements et partenariats, optimiser les couts, garantir des volumes de production, industrialiser la region, perreniser les talents fraichement formés. Tout faire soi meme est voué a l'echec partout, il y a des composantes dont l'importation libere des energies au sein du pays pour la conception locale de l'essentiel. Les 'bases' sont interoperables et partagees par des dizaines de models et facilitent la maintenance et l'export. Meme dacia depends toujours de renault et ses machines outils et moteurs transportés de france.

Très intéressant ce que vous dites...c'est vrai que beaucoup de gens sans diplômes (mais travailleurs) se sont fait beaucoup de blé... D'autres comme Bill Gates et Thomas Edison se sont avérés des inventeurs géniaux

Ils passaient par là on ne savait pas quoi en faire et on les a pris comme figurants pour la photo et ainsi commença leur formation de h'mida ...

Si Laroui, en parlant de H'mida, est ce que vous savez que l'armée française avait dans ses rangs dans les années 1930, pendant ce que les Français appellaient la guerre de pacification, un interprète marocain qui s'appelait chaouch H'mida et qui était originaire de Demnate. Et il parrait que ce personnage avait une vie incroyable depuis son départ de son village jeune jusqu'à sa participation à la première guerre mondiale avec armée française.

il se trouve que le phénomène Hmida a bien un nom: le syndrome de Dunning Kruger. C'est exactement l'opposé du syndrome de l'imposteur. Ceci dit, la variante locale dite Hmida est autrement plus intéressante et constituerait un cas d'étude excellent pour nos psychologues aspirants.

Cher Salim, merci pour votre commentaire. Lah y3tina sa3d dial chi Hmida, amine :) Amicalement,

Cher Ayoub, merci pour votre remarque. L’effet Dunning-Kruger (ou 'effet de surconfiance'), est effectivement un biais cognitif qui fait que les moins qualifiés dans un domaine donné sont parfois ceux qui se croient les plus compétents. Il suffit de voir des gens qui n'ont aucune formation scientifique pontifier sur l'astrophysique (l'énergie, les trous noirs...), la médecine ou l'économie (l'inflation, la croissance,,,). Ces personnes non qualifiées ne 'voient' tout simplement pas leur incompétence. A contrario, selon l'étude de Dunning-Kruger, ce sont parfois les personnes les plus qualifiées qui doutent le plus de ce qu'elles affirment...

Merci Monsieur Laroui. Je me reconnais assez bien dans le syndrome de l’imposteur. J’en ai pris conscience il y a quelque temps déjà, le fait de l’avoir fait ( pris conscience) m’a un peu aidé, je prends plus confiance en moi et me sens moins souvent miné, mais impossible d’évacuer totalement cette peur d’être démasqué, peur qui, bien que moins présente quotidiennement, reste latente pour resurgir occasionnellement avec force. Il est maintenant passé 18h en Belgique, la veille d’un long weekend de 4 jours (pour cause de jour férié), tous mes collègues sont partis du bureau depuis 1h ou 2, je reste le dernier à travailler… (en en profitant à la fin aussi pour vous lire, puis écrire ce post)

Prendre conscience qu'on souffre de ce syndrome est le premier pas vers la guérison.

Combien de Hmida avons-nous dans notre beau pays? Sont-ils vraiment conscients de leur situation ou bien ont-ils besoin de quelqu’un pour leur dire leurs quatre vérités? Peut-être qu’ils ne partagent pas le même pays que nous, simples mortels.

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