Binational et ministre, se peut-ce, mon bon monsieur?

Fouad Laroui.

Fouad Laroui.

ChroniqueJe n’ai jamais rencontré un binational qui ne fût profondément attaché au pays de son enfance ou de ses parents. Il suffit, pour s’en persuader, de se souvenir des scènes de liesse qui accompagnèrent dans le monde entier les exploits du onze marocain à la dernière Coupe du monde de football.

Le 10/05/2023 à 10h58

Hier, à l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, un journaliste m’a posé la question qui sert de titre à ce billet.

Voilà bien le genre d’interrogation existentielle dont je déteste qu’on m’encombre. Il est difficile d’avoir une discussion sereine autour de ce thème. Il n’y a que des coups à prendre -et j’ai perdu mon armure dans un déménagement.

Mais bon, on ne peut éternellement éviter les sujets qui fâchent et il y a une actualité: une proposition de loi vient d’être déposée au Parlement par un parti conservateur, loi qui interdirait l’accès des binationaux aux fonctions ministérielles.

A priori, ce n’est pas une proposition aberrante. Cette disposition -un binational ne peut être ministre- existe déjà ailleurs, en particulier chez nos voisins. Tout ce qui touche à la nationalité est délicat. Dans un autre ordre d’idées, j’ai toujours trouvé étonnant qu’il fût constitutionnellement interdit à Henry Kissinger de devenir président des États-Unis alors qu’il en dirigea la diplomatie et en connaissait les secrets les mieux gardés en tant que Secretary of State. Pourquoi? Parce qu’il n’est américain que par naturalisation -et non de naissance.

À chacun son point de vue. Personnellement, je pense que la proposition de loi dont nous parlons n’est pas opportune, pour plusieurs raisons que je soumets à votre sagacité, amis lecteurs.

Tout d’abord, notre pays ne cesse de faire appel aux compétences des 5 millions de Marocains du monde, dont la plupart sont des binationaux, en particulier dans le domaine de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’investissement industriel. J’en connais personnellement plusieurs, aussi compétents que patriotes. Leur dire: «Revenez au pays, vous pourrez être professeur, président d’université, directeur de laboratoire ou bien on vous aidera à monter votre entreprise... mais il vous sera interdit d’être ministre», c’est un peu contradictoire. C’est comme si on leur disait: «Venez, vous êtes les bienvenus -mais on se méfie quand même un peu de vous…»

Ensuite, le fait de prendre la nationalité du pays dans lequel ils résident (France, Pays-Bas, Belgique...) est pour beaucoup de Marocains une simple question administrative -les fameux «papiers»…- qui rend la vie plus facile, en particulier pour les voyages.

Croire qu’un Marocain qui dispose aussi de la nationalité illyrienne ou espagnole serait, de ce fait, moins loyal envers son pays natal est, à mon avis, une absurdité. Je dirais même que je n’ai jamais rencontré un binational qui ne fût profondément attaché au pays de son enfance ou de ses parents. Il suffit, pour s’en persuader, de se souvenir des scènes de liesse qui accompagnèrent dans le monde entier les exploits du onze marocain à la dernière Coupe du monde de football.

Je ne connais quidam plus foncièrement attaché à cette nation qu’un de mes amis, juif et de triple nationalité. À la retraite, après une belle carrière professionnelle en Europe, il est revenu, «plein d’usage et raison, Vivre (à Marrakech) le reste de son âge», comme dit -à peu près- le poète. Il serait profondément peiné qu’on mît en cause sa fidélité au pays de ses ancêtres.

Voyons ailleurs pour un exemple frappant. Lorsque les Anglais ont choisi, il y a quelques années, le plus illustre personnage de leur Histoire, la majorité a voté pour Churchill, loin devant Shakespeare, Newton et Darwin. Or l’homme au cigare, qui sauva son pays et vainquit le nazisme, n’était pas seulement Anglais, il était aussi Américain par sa mère, la riche héritière Jennie Jerome. Pour enfoncer le clou, le Congrès de Washington et le président Kennedy le proclamèrent citoyen américain d’honneur en 1963.

Personne, à Londres, ne protesta. Aucun parti politique ne s’empressa de déposer une proposition de loi pour interdire à l’illustre Winston de redevenir ministre si l’envie le lui prenait, malgré son grand âge…

Serions-nous plus coincés ou plus mesquins que les rosbifs? Come on!

Par Fouad Laroui
Le 10/05/2023 à 10h58