Fatwa sur la zakat: tout ce qu’il faut savoir avec Lahcen Sguenfle, président du Conseil des oulémas de Skhirate-Témara

Au marché de gros des céréales de Casablanca. (A.Et-Tahiry/Le360)

La fatwa sur la zakat du Conseil supérieur des oulémas a été mise en ligne ce vendredi 24 octobre. Un texte qui s’incrit en droite ligne du rite malékite et qui apporte des réponses aux nombreuses interrogations sur cette prescription religieuse fondamentale. Les détails.

Le 24/10/2025 à 19h51

Très attendue, la fatwa sur la zakat a été mise en ligne, ce vendredi 24 octobre, sur le portail du ministère des Habous et des Affaires islamiques. Il s’agit d’un texte, selon Lahcen Sguenfle, président du Conseil des oulémas de la préfecture de Skhirate-Témara, «qui répond à une forte demande des Marocains désireux de mieux comprendre les règles religieuses liées à cette obligation fondamentale de l’islam».

Lahcen Sguenfle rappelle que cette fatwa a été ordonnée par le roi Mohammed VI, le 22 septembre dernier, dans le but d’apporter des réponses précises et structurées à une question religieuse centrale. «La finalité de cette initiative est avant tout d’ordre scientifique et informatif. Elle vise à répondre aux nombreuses interrogations des citoyens sur la zakat», explique-t-il.

Pour Lahcen Sguenfle, cette fatwa était nécessaire car de nombreuses personnes s’interrogeaient sur les modalités pratiques de la zakat: quand faut-il la verser, sur quoi doit-elle porter et comment la calculer dans une économie qui ne repose plus uniquement sur les formes de richesse traditionnelles comme l’or, l’argent ou les récoltes?

Pourquoi ce texte est important

«On avait besoin d’un texte clair et officiel, car la question revient constamment. Avec la diversité des revenus et des activités économiques aujourd’hui, il fallait une réponse solide et structurée», explique-t-il. Le texte, préparé par le Conseil supérieur des oulémas, constitue désormais une référence unique et accessible à tous.

Notre interlocuteur ajoute que la fatwa repose principalement sur le rite malikite et traite de quatre axes essentiels. Elle définit les types de biens soumis à la zakat, fixe le montant dû en prenant comme base de calcul l’argent tout en laissant aux fidèles la possibilité de se référer à l’or, précise le moment où la zakat devient exigible et détermine les catégories sociales qui en sont bénéficiaires.

L’autre grande nouveauté, et non des moindres, est que le texte ne se limite plus aux formes classiques de richesse comme les céréales ou le bétail, mais prend désormais en compte une réalité économique beaucoup plus large. Il inclut les produits agricoles autres que les céréales, les ressources forestières et maritimes ainsi que les secteurs modernes du commerce, de l’industrie et des services.

Lahcen Sguenfle souligne que cette évolution répond à une nécessité bien réelle, celle d’adapter la pratique de la zakat à une économie de plus en plus diversifiée et en perpétuelle mutation. Elle permet aux fidèles de disposer d’un cadre clair et actualisé, en harmonie avec les principes de la charia et les réalités économiques contemporaines, pour s’acquitter de cette obligation religieuse dans des conditions transparentes et uniformes.

Que dit le texte de la fatwa?

Interrogé sur le contenu de la fatwa, le président du Conseil local des oulémas de la préfecture de Skhirate-Témara tient à préciser tout d’abord que la zakat, pilier fondamental de l’islam, est une aumône obligatoire que tout musulman doit verser lorsque sa richesse atteint un seuil appelé nissab.

Elle représente un droit des pauvres sur les biens des riches et a pour but de purifier les biens, de renforcer la solidarité sociale et de réduire les inégalités. Elle s’applique à différents types de biens comme l’argent, l’or, l’argent liquide, les récoltes agricoles, les biens commerciaux ou encore les revenus professionnels. «C’est pourquoi le texte rappelle que toute personne qui atteint ce seuil et conserve la somme pendant une année doit s’en acquitter, à l’exception des biens agricoles qui obéissent à des règles spécifiques au moment de la récolte», fait-il savoir.

Les avoirs monétaires sont aujourd’hui très diversifiés et reflètent l’ampleur de l’activité économique nationale. Les statistiques du Haut-commissariat au plan (HCP) montrent que plus de 600 secteurs économiques génèrent des revenus, qui doivent être pris en compte dans le calcul de la zakat, tant pour la détermination du montant que pour la fixation du seuil imposable.

7.438 dirhams, le nissab actuel pour l’argent

Le texte rappelle que, en dehors de la zakat sur les céréales et le bétail, l’évaluation du nissab concerne la zakat sur l’argent, y compris les biens commerciaux, et qu’elle est fixée en fonction du nissab de l’or et de l’argent.

Le nissab de l’or est, indique-t-on, fixé à l’équivalent de 85 grammes, tandis que celui de l’argent correspond à 595 grammes. En se basant sur les prix actuels, la valeur du nissab pour l’argent est estimée à 7.438 dirhams (12 dirhams le gramme) et celle de l’or à 68.000 dirhams (800 dirhams le gramme).

À ce titre, la fatwa propose d’adopter le nissab de l’argent comme référence principale, tout en laissant à chaque fidèle la liberté d’opter pour l’or s’il le souhaite.

«Une personne donc qui détient une somme d’argent équivalente ou supérieure au nissab est tenue, une fois écoulée une année lunaire complète, de s’acquitter de la zakat. Le taux appliqué est de 2,5% sur le montant total détenu, à condition que ce capital soit resté au-dessus du seuil durant toute la période», détaille le président du Conseil des oulémas de Skhirate-Témara.

Pour Lahcen Sguenfle, ce choix reflète une vision à la fois spirituelle et sociale de la zakat. «Il rappelle que l’objectif de cette prescription religieuse est d’encourager une redistribution plus large et plus équitable des richesses, en intégrant un plus grand nombre de fidèles dans le cercle de ceux qui s’acquittent de la zakat. Opter pour le nissab de l’argent permet donc d’élargir la base des personnes concernées, ce qui se traduit par une augmentation des ressources destinées aux bénéficiaires, notamment les catégories vulnérables», explique-t-il.

Notre interlocuteur souligne également que cette approche s’inscrit dans la continuité de l’esprit de la charia, qui vise à soutenir les plus démunis et à renforcer la cohésion sociale. Ce choix, précise-t-il, «n’est pas contraignant, mais il constitue une orientation recommandée pour maximiser les bienfaits sociaux et économiques de la zakat dans un contexte où les disparités se creusent. En laissant aux fidèles la possibilité d’opter pour l’or, la fatwa offre une souplesse qui respecte les capacités de chacun, tout en donnant une préférence claire à une approche plus inclusive et solidaire».

La fatwa précise, par ailleurs, que la zakat en se basant sur le nissab or/argent s’applique à plusieurs domaines économiques. Dans le secteur agricole, elle concerne les produits non céréaliers destinés au marché, tels que les fruits, les légumes, les plantes aromatiques comme le safran, les fleurs et plantes ornementales, les semences, les plantes médicinales, les épices, ainsi que les produits assimilés et leurs dérivés.

Elle s’étend également aux récoltes forestières comme le bois et les champignons, ainsi qu’aux produits issus de la pêche maritime et fluviale. Pour ces activités, la zakat est calculée non pas sur le poids, mais sur la valeur marchande des produits lorsqu’ils atteignent le nissab or/argent. Le montant à verser correspond au quart du dixième de cette valeur, soit 2,5%.

La fatwa inclut également la richesse animale à vocation commerciale, qu’il s’agisse de chevaux, de volailles, de dindes, de lapins, d’abeilles pour la production de miel ou d’animaux domestiques. Là encore, la zakat est prélevée sur la valeur nette de ces biens après déduction des coûts liés à l’activité. Quant aux chameaux, brebis, bovins, ovins et caprins, le texte fixe des seuils précis et des montants clairs.

Le secteur du commerce est lui aussi concerné, notamment les transactions sur les biens, les marchandises, les devises, les actions, les produits des entreprises commerciales ou tout autre actif générateur de revenus. La zakat est due dès lors que la valeur atteint le nissab or/argent, après déduction des frais de gestion tels que les salaires, les loyers ou les impôts échus avant la date de prélèvement.

Dans le secteur industriel, la fatwa englobe un large éventail d’activités: l’agroalimentaire, la transformation des produits agricoles, l’industrie des matériaux de construction, les industries métalliques, mécaniques, chimiques, électroniques, textiles, du cuir, l’imprimerie, l’énergie et la fabrication de mobilier. Pour toutes ces activités, la zakat est calculée sur la valeur globale, après déduction des coûts de production, toujours en se basant sur le nissab or/argent.

Le secteur des services est également concerné. Il comprend notamment les revenus issus des activités salariales dans les secteurs public et privé. Après déduction du salaire minimum en vigueur au Maroc (3.266 dirhams mensuels), la zakat est due sur le reste si le montant atteint le nissab or/argent, que ce soit mensuellement ou à la fin de l’année. La fatwa précise que ce mécanisme a été conçu pour protéger les bas revenus tout en maintenant le principe de solidarité.

Sont également concernés les services bancaires, les assurances, les télécommunications, la propriété intellectuelle, les droits d’auteur et de marque, les services de santé, d’énergie, d’eau, de traitement des déchets, ainsi que les services juridiques, culturels, publicitaires et artistiques.

Tous ces revenus sont soumis à la zakat au taux de 2,5% s’ils atteignent le nissab or/argent et après déduction des frais nécessaires à leur production, insiste Lahcen Sguenfle.

Quid des céréales?

Pour les céréales, la fatwa précise que la zakat devient obligatoire dès que la récolte atteint le nissab, fixé à cinq awsaq, soit environ 300 saâ prophétiques, ce qui correspond à 653 kilogrammes.

Lorsque la culture est irriguée naturellement, par exemple par la pluie, le prélèvement s’élève à 10% de la récolte. En revanche, si le propriétaire engage des frais d’irrigation, le taux est réduit à 5%. Le texte ajoute qu’il est tout à fait possible de s’acquitter de cette zakat en espèces, en se basant sur la valeur marchande des céréales au moment où elles deviennent imposables. «Cette disposition permet aux agriculteurs de verser leur contribution de manière souple et adaptée à leurs moyens, tout en respectant les prescriptions religieuses», note le président du Conseil local des oulémas de la préfecture de Skhirate-Témara.

Quand faut-il s’acquitter de la zakat?

L’un des principes de base de la zakat est qu’elle doit être versée dès qu’elle devient obligatoire. Il est déconseillé de la retarder sans raison valable. La durée de détention (hawl) qui conditionne l’obligation de s’acquitter de la zakat varie selon la nature des biens concernés, détaille la fatwa.

Pour les récoltes agricoles, la zakat est exigible au moment de la moisson ou de la cueillette, et cela peut intervenir plusieurs fois dans une même année. Pour la richesse animale, elle devient obligatoire à l’issue d’une année complète, en prenant comme référence la durée écoulée pour le cheptel reproducteur.

Pour les ressources minières, la zakat est due dès l’extraction, mais son paiement peut être différé à condition que ce délai ne dépasse pas une année. Pour les biens commerciaux (marchandises, stocks ou produits destinés à la vente), la zakat est due après une année, sur la base d’un prélèvement de 2,5%.

À qui revient la zakat?

Les bénéficiaires de la zakat sont définis dans sourate At-Tawbah - verset 60: «Les aumônes (As-Sadaqât) ne sont destinées que pour les pauvres, les indigents, ceux qui y travaillent, ceux dont les cœurs sont à gagner (à l’islam), l’affranchissement des jougs, ceux qui sont lourdement endettés, dans le sentier d’Allah, et pour le voyageur (en détresse)

Les premiers bénéficiaires sont les pauvres et les nécessiteux, deux catégories qui reflètent des niveaux différents de précarité et de besoin. Donner la priorité à ces deux catégories en tête de liste signifie que la zakat vise avant tout à combler les besoins vitaux et urgents des personnes en situation de précarité, les autres catégories venant ensuite, peut-on lire.

Trois catégories mentionnées dans le verset ne sont plus d’actualité dans notre contexte: ceux qui collectent la zakat, ceux dont on cherche à rallier les cœurs et les esclaves à affranchir. Restent les débiteurs incapables de rembourser leurs dettes, le voyageur dans le besoin, ainsi que la catégorie dite «dans la voie de Dieu», qui englobe toute action d’utilité publique au service de l’islam.

Il est interdit de verser la zakat aux personnes dont la subsistance incombe au donateur, comme les parents démunis, les enfants mineurs ou l’épouse. Par ailleurs, les biens personnels destinés uniquement à l’ornement, tels que les bijoux, ne sont pas soumis à la zakat, sauf s’ils sont vendus: dans ce cas, la zakat devient obligatoire si le prix atteint le seuil imposable et que l’année s’est écoulée, précise le texte.

C’est donc un message d’équité et de clarté que cette fatwa porte, comme le précise Lahcen Sguenfle, pour qui ce texte constitue une réponse structurée aux interrogations récurrentes des fidèles.

Par Hajar Kharroubi
Le 24/10/2025 à 19h51