Et voilà qu’on apprend, après le dépoussiérage de quelques archives secrètes, que le régime de Franco confisquait les lettres d’amour que les Espagnoles écrivaient à leurs amants marocains, tout au long de la première moitié du 20ème siècle. C’est le genre de révélation qui vous rend triste et amer quant à la cruauté humaine. L’amour a toujours été considéré comme une affaire sérieuse avec laquelle on ne badine pas. Et ce n’est pas seulement le fait des religieux de tous bords…
Bien sûr, il y avait le contexte de la guerre, ou plutôt des guerres: celle du Rif, ensuite la guerre civile espagnole qui allait couper le pays en deux: républicains d’un côté, franquistes de l’autre.
L’ironie de l’Histoire a fait que beaucoup de Marocains qui ont combattu avec Abdelkrim, et se sont dressés contre l’Espagne, se sont par la suite retrouvés du côté de Franco, à défendre cette même Espagne loyaliste. Ils ont même constitué un corps redouté de tous, les fameux «regulares», dont le souvenir demeure aujourd’hui vivace dans bien des contrées espagnoles.
Quelques-uns avaient peut-être des idéaux auxquels ils croyaient et adhéraient. Mais la plupart ont pris les armes et combattu comme ça vient. À la guerre comme à la guerre. Ils ont fait le jihad, comme on disait à l’époque pour motiver toutes les troupes indigènes. Et au final, jihad ou pas jihad, avec des idéaux ou sans, ils ont largement contribué à faire triompher l’Espagne nationaliste et loyaliste, au détriment de la républicaine.
C’était une autre époque, celle de nos grands-pères. Certains parmi eux ont fait la guerre, cette guerre, et pas seulement. Mais ils n’ont pas fait que la guerre. Ils ont aussi connu des amours et des histoires inachevées. Des histoires que Franco et ses hommes leur ont volées.
C’est une histoire triste et cruelle.
C’est triste pour ceux qui ont versé leur sang pour l’Espagne. Et c’est encore plus triste pour ceux qui ont survécu aux carnages et qui sont rentrés chez eux sans avoir la possibilité de continuer leurs histoires, et sans jamais revoir leurs amoureuses, ni probablement les enfants qu’ils ont conçus ensemble.
Certains ont refait leur vie au Maroc. D’autres n’ont jamais fondé de famille. Pour comprendre la cruauté de cette histoire, il suffit de penser à un homme, un seul de ces «regulares». Pensez donc à cet homme revenu de toutes les horreurs, avec des traumatismes non soignés, devenu insomniaque et marginal, attendant désespérément un signe de son amoureuse qui ne vient pas. Il a attendu et attendu, avant de s’éteindre à petit feu, dans le dénuement et la solitude. Il ne savait pas, il n’a jamais su que de l’autre côté de la Méditerranée, une femme lui a longtemps écrit, non pas une, mais plusieurs lettres pour lui dire qu’elle l’attendait avec un enfant dans les bras, leur enfant.
«On t’attend… Où es-tu ?», devait-elle lui écrire dans sa dernière lettre. Une petite phrase qui aurait pu lui sauver la vie.