Chirurgie robotique: une opération à plus de 1.000 km de distance réussie au Maroc

Rochdi Talib, président-directeur général du groupe Akdital lors d'une conférence de presse tenue le lundi 5 mai 2025 au siège d'Akdital, à Casablanca. (S.Bouchrit/Le360)

Le 06/05/2025 à 17h11

VidéoLe groupe Akdital a marqué un tournant historique dans la médecine marocaine et africaine en réalisant, le 2 mai, la première chirurgie robotique à distance sur le continent. Depuis Casablanca, Adil Ouzzane a opéré avec succès un patient situé à plus de 1.000 kilomètres, à Laâyoune. Une prouesse technologique, médicale et logistique 100% marocaine, présentée lors d’une conférence de presse tenue ce lundi 5 mai au siège du groupe.

Le 2 mai marque un tournant majeur pour la médecine marocaine. Adil Ouzzane, chirurgien urologue et expert en chirurgie robotique, a réalisé depuis le Centre international d’oncologie de Casablanca (CIOC) une prostatectomie radicale robot-assistée à distance sur un patient pris en charge à la Polyclinique internationale de Laâyoune, deux établissements du groupe Akdital. Cette prouesse technologique et médicale fait du Maroc le premier pays africain et de la région MENA à accomplir une telle intervention, fruit d’un travail de longue haleine alliant expertise humaine, avancées technologiques et engagement logistique sans précédent.

Ce lundi 5 mai, Rochdi Talib, président-directeur général du groupe, est revenu en détail sur cette opération inédite, lors d’une conférence de presse au siège d’Akdital: «On a réalisé un de nos rêves. J’ai travaillé pendant 30 ans sans jamais imaginer voir cela se concrétiser au Maroc», a-t-il dit sans pouvoir cacher son émotion.

L’opération, rendue possible grâce à la mise en réseau de deux robots chirurgicaux situés à plus de 1.000 kilomètres l’un de l’autre, a nécessité une préparation minutieuse de plusieurs mois, menée dans la plus grande discrétion. Aucun acteur étranger n’a été impliqué dans cette intervention. «C’est un engagement purement marocain dont nous sommes fiers», a souligné Rochdi Talib.

Le Maroc s’inscrit désormais aux côtés des rares pays ayant réalisé des interventions robotisées à très longue distance, comme la Chine, mais se distingue en étant le premier pays en développement à atteindre ce niveau d’innovation.

Une infrastructure technologique inédite

Pour rendre cette intervention possible, les équipes techniques ont dû relever un immense défi: simuler un environnement chirurgical identique à celui de Casablanca, mais à Laâyoune.

Marwane Riachi, directeur du pôle Systèmes d’information, a détaillé les moyens déployés: «Nous avons recréé un réseau de type 5G malgré son absence au Maroc. Pour cela, nous avons combiné deux lignes privées – une fibre optique terrestre et une liaison hertzienne – grâce à la technologie SD-WAN.» Autrement dit, les ingénieurs ont utilisé une solution de réseau avancée pour agréger deux connexions haut débit indépendantes et garantir une stabilité maximale dont un débit rapide au sol et une liaison sans fil en cas de défaillance.

Résultat: une latence record de 20 millisecondes, soit 0,02 seconde, imperceptible pour le cerveau humain, permettant une synchronisation en temps réel des gestes du chirurgien et des mouvements du robot à distance. L’audio et la vidéo en haute définition ont aussi été intégrés pour garantir l’immersion complète du chirurgien dans le bloc opératoire distant.

Adil Ouzzane, pionnier de la chirurgie robotique au Maroc, a toutefois rappelé que cette technologie ne remplace en rien l’expertise humaine: «Le robot n’est pas autonome. Il obéit strictement aux commandes du chirurgien via des joysticks et des pédales.»

La prostatectomie radicale réalisée à Laâyoune représente une des interventions les plus complexes en urologie. La réussite de cette opération tient autant à la qualité du matériel qu’au transfert d’un protocole rigoureux.

Le chirurgien a d’ailleurs effectué lui-même un déplacement préalable à Laâyoune pour calibrer l’équipement et former les équipes locales, avant de revenir à Casablanca pour piloter à distance l’intervention dès le lendemain.

Sur le plan médical, les résultats sont remarquables. Le patient opéré n’a nécessité aucune transfusion, aucune prise d’antibiotique post-opératoire et a quitté la clinique seulement 48 heures après l’intervention, contre une hospitalisation classique de dix jours.

Cette technique permet également de préserver au mieux ce que les spécialistes appellent le «trifecta» lié à la prostatectomie: l’ablation totale du cancer, le maintien de la continence urinaire et la préservation de la fonction sexuelle.

Les instruments robotiques reproduisent avec précision les gestes du poignet humain dans des zones profondes et difficiles d’accès, tout en minimisant les incisions. Le robot apporte ainsi une meilleure dextérité, une vision 3D grossie du champ opératoire, et des sutures plus étanches.

Au-delà de l’innovation technologique, cette initiative porte une ambition forte: démocratiser l’accès aux soins de qualité, quel que soit l’endroit où réside le patient. «Il n’y a qu’une seule médecine. On ne devrait pas exercer une médecine différente à Casablanca ou au Sahara», a affirmé Rochdi Talib. L’objectif affiché par le président du groupe est clair: faire voyager l’expertise médicale à la vitesse de la lumière.

Un investissement humain et financier considérable

Pour Akdital, faire voyager l’expertise médicale à la vitesse de la lumière n’est pas un simple slogan, mais un engagement opérationnel. « On ne joue pas avec la vie des patients, une équipe locale était mobilisée pour prendre le relais en cas de problème», ajoute le président du groupe. Conscients des enjeux vitaux d’une telle intervention, les responsables ont mis en place un arsenal de sécurité: double réseau sécurisé, présence humaine sur place et protocoles de secours rigoureusement définis.

L’opération, qui aurait coûté 85.000 dirhams au patient en temps normal, a finalement été prise en charge en grande partie par la CNSS, soit 70.000 dirhams, à la suite d’une sollicitation de Rochdi Talib. Le patient n’a eu à s’acquitter que des 15.000 dirhams restants. Une première qui, selon le président d’Akdital, pourrait ouvrir la voie à une couverture plus large de ce type d’actes à l’avenir. Cette somme, bien qu’importante, ne représente qu’une fraction du budget mobilisé par le groupe pour démocratiser la chirurgie robotique: à titre d’exemple, un seul robot coûte près de 2 millions de dirhams.

Pour former les chirurgiens marocains, Akdital envoie régulièrement des médecins en Chine. Mais, comme l’a rappelé le docteur Adil Ouzzane, l’expertise ne s’acquiert qu’avec la pratique, à raison de 30 à 50 cas opérés pour atteindre un niveau optimal.

L’avenir de la chirurgie robotique au Maroc

La demande est forte, notamment pour la chirurgie de la prostate, où les patients constatent une nette différence d’issue par rapport à la chirurgie conventionnelle. En revanche, pour d’autres spécialités comme la chirurgie digestive, la perception du bénéfice est encore limitée, ce qui freine la demande.

Cela n’empêche pas Rochdi Talib de conclure avec optimisme: «Dans cinq ans, il y aura des robots partout et des médecins marocains formés pour les piloter. Nous ne sommes qu’un exemple. J’espère que d’autres suivront.»

Cette première dans un pays en développement illustre le potentiel phénoménal du capital humain marocain. En misant sur la formation, la technologie et la communication, le Maroc se positionne comme un modèle d’innovation médicale. Une vision que résume ainsi Rochdi Talib: «Nous n’avons pas de pétrole ni de gaz, mais nous avons une main-d’œuvre exceptionnelle et une matière grise extraordinaire.»

Par Camilia Serraj et Said Bouchrit
Le 06/05/2025 à 17h11