La restitution officielle par la Belgique d’une dent de Patrice Lumumba, le 20 juin 2022, a été l’occasion d’une nouvelle réécriture de l’histoire. En effet, si nous savons comment et par qui le leader nationaliste congolais fut mis à mort le 17 janvier 1961, en revanche, les véritables raisons de son assassinat ont une fois de plus été passées sous silence. Parce qu’il s’agit avant tout d’une affaire ethno-politique. Retour sur les faits.
Dans les années 1957-1959, à la veille de l’indépendance du Congo belge, tous les partis politiques congolais étaient constitués sur des bases ethniques et régionales. Tous étaient partisans du fédéralisme, à l’exception du MNC (Mouvement national congolais) de Patrice Lumumba. Ce Tetela avait en effet une approche unitaire, centralisatrice et même jacobine, une nécessité électorale «sublimée» en une volonté politique. Il est en effet essentiel de bien voir que les Tetela, qui se rattachent à l’ensemble mongo et dont le homeland est situé dans la province du Sankuru, ne constituaient à l’époque qu’une ethnie de faible importance numérique, à savoir quelques centaines de milliers de membres par rapport aux grandes masses représentées par les Kongo de l’Ouest et les Luba du Sud.
Or, dès le début de la période belge, les Tetela, qui sont des guerriers, furent recrutés par les forces belges avant de devenir les auxiliaires privilégiés de l’administration coloniale. Des Tetela étaient donc présents dans tout le Congo, partout où la Belgique avait des implantations administratives. Ce point est essentiel si nous voulons comprendre la suite des évènements, car, à la différence de tous les autres partis politiques qui étaient territorialement ancrés sur leurs zones ethniques, le MNC de Lumumba avait donc ses bases électorales réparties dans l’ensemble du pays. Seul à pouvoir jouer la carte nationale, il s’employa donc à le faire avec un grand opportunisme, et comme il était détesté par l’ensemble des autres partis congolais, il chercha et obtint le soutien du bloc soviétique.
Le problème fut alors que les pusillanimes dirigeants politiques belges, au lieu de prendre appui sur l’immense majorité des Congolais fédéralistes et modérés, capitulèrent devant les exigences révolutionnaires de Lumumba. Cela provoqua la fureur des grands leaders ethno-régionaux congolais comme l’étaient Joseph Kasavubu, chef des Kongo, Albert Kalondji, chef des Luba Kasai, ou encore Moïse Tschombé, leader du Katanga. Là est le point de départ du drame congolais.
L’engrenage sanglant se mit en place au début de l’année 1960. Du 20 janvier au 20 février, une Table Ronde se tint ainsi à Bruxelles où la tension fut extrêmement vive entre les partis fédéralistes, qui défendaient l’idée de la constitution d’un Congo très largement décentralisé, et Patrice Lumumba. Or, ayant trouvé des alliés de circonstance dans l’est du pays, ce dernier imposa à la fois à la Belgique une approche centralisatrice et une indépendance immédiate totalement improvisée fixée au 30 juin suivant.
Entretemps, au mois de mai, se tinrent des élections législatives. Comme ils avaient un maillage national et non uniquement local, le MNC de Lumumba et ses alliés de l’est du pays les remportèrent. Au mois de juin, Patrice Lumumba devint Premier ministre cependant que le président de la République, le Kongo Joseph Kasavubu, était son farouche adversaire fédéraliste.
Le 30 juin, le Congo belge accéda à l’indépendance dans une situation de total chaos. De plus, le pays fut au bord du démembrement, car le 11 juillet, refusant la création d’un Etat unitaire, le Katanga se proclama indépendant. Puis, le 8 août, le Luba Albert Kalondji proclama l’indépendance du Sud-Kasaï.
A la fin du mois d’août 1960, afin de réduire ces deux sécessions, Patrice Lumumba, lança une opération militaire contre l’avis du président Kasavubu. L’expédition fut sanglante, notamment au Kasaï, où, le 27 août, l’armée nationale massacra des centaines de civils. Devenu «l’assassin des Luba-Kasaï», Patrice Lumumba n’allait plus avoir que quelques jours à vivre.
Le 5 septembre 1960, il fut en effet révoqué par le président Kasavubu, puis mis en état d’arrestation. Il fut ensuite «transféré» – en réalité livré– au Katanga où il fut assassiné le 17 janvier 1961 après avoir été maltraité durant son transport en avion par des soldats Luba originaires du Kasaï et qui voulaient venger le massacre des leurs.