Deux décisions majeures ont marqué l’histoire politique du Maroc au cours des années 90: la signature de l’Accord de libre-échange (ALE) avec l’Union européenne et l’avènement du gouvernement d’alternance. La première nous a obligés à porter un regard différent sur le monde, à revoir notre approche du développement économique et à adapter une grande partie de notre système juridique. La seconde, en plus de contribuer à une transition dynastique harmonieuse, a crédibilisé notablement les institutions démocratiques.
Le règne actuel, désireux de capitaliser sur la dynamique créée par ces deux décisions, a approfondi le processus d’ouverture de l’économie en signant davantage d’ALE -nous en sommes à plus de 60- et a encouragé la mise en conformité progressive de notre système juridique avec les normes internationales, en incluant, cette fois-ci, les droits de l’Homme, la famille et la gouvernance au sens large.
Après l’intermède Driss Jettou, le retour à l’alternance issue des urnes fut acté. Bien mieux, le passif des violations des droits de l’Homme fut liquidé à travers une approche originale que fut l’Instance équité et réconciliation (IER), le respect des échéances électorales est devenu la règle et les pouvoirs dévolus à l’exécutif et le législatif furent renforcés dans la Constitution de 2011.
Bref, bien qu’ardue, au vu de nos réalités économiques et culturelles, la mise en place de l’État de droit a réalisé des avancées significatives.
Plusieurs initiatives ont été lancées pour inciter les acteurs politiques à améliorer leur participation à l’espace public. Citons ainsi la loi sur les partis politiques, les recommandations directes faites par le Roi aux élites politiques pour une implication de qualité dans la vie publique, la lutte contre la corruption et la création de la Commission pour un nouveau modèle de développement comme lieu de contribution. Reconnaissons des résultats loin des attentes dans ce domaine.
Selon notre lecture, les avancées les plus significatives dans ce processus de modernisation politique auront été celles opérées dans la relation entre l’État et le citoyen. Durant ce règne, cette relation a entamé le long chemin conduisant à terme à une appropriation de l’État par le citoyen, avec le renforcement des légitimités qui en découle. La nouvelle conception de l’autorité, la régionalisation et surtout l’État social ont tracé les contours du nouveau paradigme de ces relations. L’État se met progressivement au service du citoyen.
L’objectif de la modernisation politique et les changements qu’elle requiert dans les institutions, le comportement des acteurs et les relations entre l’État et le citoyen visent à offrir le meilleur accompagnement possible au développement économique et social d’une part, et le renforcement des institutions, l’amélioration de la gouvernance et l’inclusion du citoyen dans le processus démocratique d’autre part. Pour parler le langage des politistes, elle tend vers un niveau supérieur de développement politique du système de gouvernance. Développement politique qui, rappelons-le, a pour objectif de rendre les systèmes politiques stables, inclusifs et efficaces.
Arrêtons-nous sur cette dernière dimension: l’efficacité. Les deux autres ont, nous l’avons vu, connu un sort meilleur.
L’efficacité d’un système de gouvernance est tributaire d’une vision claire (ce à quoi nous aspirons à terme), d’une stratégie bien définie, d’un plan d’action détaillé, d’une communication efficace, d’une participation inclusive des citoyens et d’un mécanisme de suivi et d’évaluation pour assurer la mise en œuvre et l’ajustement continu.
Dans cet ensemble, quel est l’élément qui n’a pas apporté sa pleine contribution, empêchant d’atteindre de meilleurs résultats?
Le roi Mohamed VI a montré tout au long de son règne qu’il avait les qualités visionnaires d’un grand chef d’État, que ce soit à l’intérieur ou dans la conduite de notre diplomatie.
Très certainement, par contre, nous avons eu à payer au prix fort la faiblesse d’autres maillons de la chaîne. Il est possible de citer l’incapacité à formuler clairement les stratégies traduisant la vision, les défaillances dans l’élaboration des plans d’action et un manque de suivi et d’évaluation permettant les ajustements continus.
Deux acteurs endossent la responsabilité directe des faiblesses diagnostiquées: les exécutifs qui se sont succédé et l’administration. Les premiers pour leur manque de qualités de leadership, la seconde pour son incapacité manifeste, dans sa situation actuelle, à assurer la mise en place et le suivi optimaux pour la réussite des projets mis en chantier.
Notre développement politique ne pourra atteindre les niveaux souhaités sans que les deux instances citées ne subissent de profondes révisions de leur mode de fonctionnement. C’est un des grands chantiers des prochaines années.