MINURSO en pilotage à vide: un théâtre de guerre fantôme, le Polisario kaput

Karim Serraj.

ChroniqueRetranché dans les camps poussiéreux de Tindouf, le Polisario n’est plus que l’ombre de lui-même. À l’aube de l’automne 2025, la MINURSO peut contempler ce paysage sans lendemain: elle y voit les vestiges d’un conflit figé, dans le silence et l’effacement. Le Sahara, lui, a retrouvé son été marocain.

Le 10/08/2025 à 11h13

Cet été, la MINURSO s’est enlisée dans une torpeur quasi contemplative. À l’est du mur, là où, jadis, se hasardaient les pick-up du Polisario, mitrailleuses bâchées et slogans martiaux hurlés au vent, ses patrouilles ne croisent désormais plus âme qui vive — ni berger égaré, ni milicien bravache, ni même un dromadaire sans maître. Le désert, redevenu un éponyme, semble avoir effacé jusqu’à la trace des ambitions armées. Parfois, dans le ciel pâle, un drone marocain zèbre l’horizon au-dessus d’un patrouilleur onusien et poursuit sa trajectoire mécanique, aussi indifférent au silence qu’un satellite à la solitude. Depuis que les miliciens ont déserté la zone tampon, ravalée à sa réalité géologique — un chaos de pierre et d’attente —, la mission onusienne occupe ses journées à faire semblant de poursuivre ses activités. Une présence sans objet, une surveillance sans menace. Comme une horloge qui continuerait de tourner dans une pièce vide. Les observateurs militaires, en uniforme impeccable, perpétuent les rituels: rondes du matin, rapports de situation, vérifications de terrain. Mais les véhicules blindés ne croisent plus que le vent, les cartes ne signalent que l’immobilité et les jumelles scrutent un vide abyssal. Les nouvelles recrues de l’ONU, venues avec l’espoir d’un frisson d’adrénaline, de clichés héroïques ou d’un rôle à jouer dans une partition de paix, découvrent qu’on leur a confié non pas un rôle, mais un décor. Un no man’s land sidéral, où les «terres libérées» ne libèrent plus rien, sinon des soupirs. Quelques cratères dans la rocaille témoignent d’une époque où l’on prétendait encore se tirer dessus. C’était il y a à peine quelques mois.

Dans les 9 teams sites de la MINURSO, éparpillés dans la zone tampon, c’est le règne du rituel et de l’attente. On célèbre les fêtes nationales avec une rigueur protocolaire: le 14 juillet pour les Français, le 23 juillet pour les Égyptiens, le 1er août pour les Suisses. Une fois les drapeaux hissés et les hymnes diffusés sur les haut-parleurs grinçants, on partage un repas, quelques discours, des décorations. Le 25 juin 2025, la représentante spéciale du Secrétaire général a présidé la passation de commandement de l’unité médicale bangladaise, décorant l’équipe sortante dans un cérémonial aussi soigné qu’inutile.

Ce ballet multicolore, rythmé par les dates nationales et les médailles d’ancienneté, tient lieu de narration. Il remplit le silence comme un orchestre jouerait à bord d’un navire à l’arrêt, amarré dans un port sans départ. La MINURSO entretient ainsi, dans une chorégraphie d’apparat, l’illusion d’un sens. Un théâtre de la paix sans spectateur ni immolation tragique.

«Le Sahara sort de la fable guerrière pour entrer dans la prose des faits. Le Polisario, kaput, n’a plus d’autre horizon que la poussière de ses slogans»

—  Karim Serraj

Ce sont plus de vingt nationalités qui composent cette mission: soldats bangladais, techniciens russes, officiers chinois, ingénieurs ghanéens, logisticiens honduriens. Un échantillon miniature du monde, rassemblé sous une bannière bleue, pour observer une guerre qui a pris la clé des champs. Le soir, chacun tue le temps à sa manière. Des matchs de foot improvisés sur un terrain poussiéreux, des films projetés dans la tente mess, des discussions interminables qui se résument toujours à la même phrase: «Rien à signaler». Une routine désertique, où l’inaction n’est plus une phase, mais une fonction. C’est dans ce calme plat, dans cet entre-deux absurde, que la MINURSO accomplit de nos jours sa mission: attester d’un conflit spectral, être la gardienne d’un sablier vidé, chroniqueuse d’un présent survivant sur scène après la chute du rideau.

Hassi 75: la frontière comme étau

La fermeture brutale du poste algéro-mauritanien de Brika, en mai 2025, a signé la fin d’un cycle logistique pour le Polisario. Par ce passage informel s’écoulaient naguère les flux souterrains de la guérilla: armes dissimulées, miliciens infiltrés, contrebande vivace. Depuis, la MINURSO n’observe plus un front en tension, mais un étouffement lent, une asphyxie logistique.

Ne demeure aujourd’hui qu’un seul point de passage officiel entre l’Algérie et la Mauritanie: le corridor de Hassi 75, fragile épine dorsale qui relie Tindouf aux confins nord de la Mauritanie. Il fait face au poste frontalier algérien, appelé «Mustapha Ben Boulaid». Mais ce dernier cordon est désormais étroitement enserré par le gant de fer de Nouakchott. Ce qui devait faciliter les échanges commerciaux et désenclaver les populations nomades sert, dans la pratique, de poste de filtrage ultra-sécurisé. La frontière, jadis poreuse, est devenue un goulot d’étranglement militaire. La Mauritanie s’est muée en vigile zélé dans le jeu saharien, forte d’un arsenal mis à jour: patrouilles mécanisées, surveillance par drones, scanners pour véhicules, fichage systématique.

Sur la piste brûlante qui mène à Cheggat, le poste-frontière Hassi 75 ne laisse plus rien passer sans examen minutieux. Chaque camion, chaque pick-up, chaque sac de farine est retourné comme un document suspect. Les Sahraouis venant des camps de Tindouf doivent désormais présenter patte blanche, papiers en règle, autorisations vérifiables, itinéraires justifiés. Le moindre faux pas, la moindre plaque d’immatriculation douteuse, comme celles interceptées lors des incidents du 3 juin, sont repérés à distance par l’œil froid des drones mauritaniens.

La militarisation de la frontière est totale. La Mauritanie exige des laissez-passer spéciaux, délivrés au compte-goutte à Tindouf, et vérifiés par un officier de liaison algérien lui-même encadré dans ses marges de manœuvre. Ce contrôle serré marque un basculement géopolitique. La Mauritanie, longtemps spectatrice, devient l’acteur dynamique d’une reconfiguration stratégique: elle ferme la porte à la guerre nomade, et impose un ordre nouveau dans ce bout de désert où l’anarchie servait de camouflage. Ainsi, dans le silence du Sahara, avance la clôture du champ de bataille.

Fin de partie

Le Sahara sort de la fable guerrière pour entrer dans la prose des faits. Le Polisario, kaput, n’a plus d’autre horizon que la poussière de ses slogans. La MINURSO demeure témoin d’une pièce remballée. Ce qu’elle consigne désormais, c’est un basculement: frontière tenue à Hassni 75, zone tampon désertée, référendum défunt. Reste l’essentiel: le temps. Il travaille, silencieux, en faveur de l’irréversible. Ce dossier n’attend plus un baroud, mais une rédaction finale — pas une fanfare, une phrase. Le théâtre de guerre fantôme s’éteint par extinction des feux, non par chute de rideau. Et lorsque la poussière retombera, il ne restera que l’évidence: le Sahara aura cessé d’être un champ de bataille pour devenir un espace de solutions. Le reste — les slogans, les menaces, uniformes — rentrera au musée des illusions.

la MINURSO peut contempler ce paysage sans lendemain: elle y voit les vestiges d’un conflit figé, dont la résolution semble ne plus pouvoir passer que par la voie tracée depuis Rabat. Ainsi s’achève, dans le silence et l’effacement, ce qui devait être un baroud d’honneur. Le Sahara, lui, a retrouvé son été marocain. Et la MINURSO un: «On fait quoi, maintenant?».

Par Karim Serraj
Le 10/08/2025 à 11h13