Dans cette actualité liée à la position du PJD sur la normalisation des relations entre Rabat et Tel Aviv, l’on aurait pu s’en tenir à deux actes: le premier avec le communiqué de la formation islamiste, le dimanche 12 mars, le second avec la ferme réaction du Cabinet royal, le lendemain, pour critiquer et dénoncer même la «sortie» de ce parti. Or, cette formation ne s’en tient pas à cela, elle a réagi de nouveau le 14 mars en s’en prenant de nouveau au ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita.
Le rappel des faits aide à mieux appréhender un certain nombre de paramètres. Pour commencer, ceci: quoi de bien nouveau et pratiquement d’alarmant dans la présente conjoncture pourrait expliquer le brûlot de ce parti? Au vu de la tension qui règne toujours dans les territoires occupés, il était fondé à demander au responsable de la diplomatie de venir informer les parlementaires, en particulier les membres de la commission compétente. Or, une voie extra-institutionnelle a été cette fois-ci empruntée. Cela s’est déjà fait par le passé. Alors quoi? Faire le buzz? Redonner quelque visibilité à un parti et à son dirigeant, Abdelilah Benkirane, l’opportunité de revenir dans l’actualité. Les dossiers nationaux de politique intérieure ne manquent pas pourtant pour interpeller le gouvernement Akhannouch: cherté de la vie, inflation, détérioration du pouvoir d’achat des ménages... Ce cabinet ne manque pas en réplique d’arguments d’inégale valeur sans doute mais qui ne sont pas irrecevables. L’inflation importée en est un, le bilan d’une décennie de gestion du PJD en fournit un autre, sans parler du vote sanction d’octobre 2021 des électeurs pour la fin d’une séquence islamiste et une forte aspiration au changement.
«Dépassements irresponsables, approximations dangereuses, surenchères politiciennes, campagnes électorales étriquées» et d’autres amabilités: la charge du communiqué officiel du méchouar est lourde. Jusqu’à plus ample informé, la mise en cause d’un parti de cette manière-là est inédite. Il n’y a eu précédemment qu’un autre communiqué en date du 13 octobre 2016 visant plus précisément la personne du responsable du PPS, Mohamed Nabil Benabdallah, à propos de sa mise en cause d’un conseiller du Roi, Fouad Ali El Himma, en sa qualité d’’un des fondateurs du PAM...
En l’espèce, le fond est là: l’appréciation de fait de la normalisation avec Tel Aviv. Le PJD s’en prend au ministre des Affaires étrangères: il critique le fait qu’il a «défendu l’entité sioniste» lors de réunions avec des responsables africains et européens. Ce parti rebondit sur ses déclarations à l’occasion de la visite du commissaire européen chargé du voisinage et de l’élargissement, Oliver Varhelyi, voici trois semaines, sur les avantages de la coopération tripartite entre l’UE, le Maroc et Israël qui offre des «opportunités». Et d’en tirer cette conclusion: «Alors que l’occupation israélienne poursuit son agression criminelle contre nos frères palestiniens, notamment à Naplouse, le ministre marocain des Affaires étrangères apparaît comme un défenseur d’Israël.» Mauvais procès, mauvais périmètre. La position du Royaume sur la question palestinienne a été constante: elle est chère au cœur des Marocains depuis toujours; le Roi n’a cessé de réitérer qu’elle était au premier plan des priorités au même titre que la question nationale des provinces sahariennes récupérées.
Où est le problème? Par-delà le ministre, n’est-ce pas le Roi qui est visé en sa qualité de président du Comité Al-Qods qui lui imposerait de dénoncer la politique d’agression israélienne? Le PJD se garde de faire quelque référence à l’accord tripartite (les Accords d’Abraham) signé à Rabat le 22 décembre 2020. Il n’est pas en mesure de les contester puisque c’est son dirigeant en responsabilité, Saâdeddine El Othmani, alors Chef du gouvernement et secrétaire général du parti, qui avait apposé sa signature. Abdelilah Benkirane lui-même, son prédécesseur à ces deux fonctions, y avait apporté son appui en soulignant qu’il fallait prendre en compte des «intérêts d’Etat». Cette même exigence aurait-elle perdu de sa pertinence et de sa justification en mars 2023?
Enfin, reste un dernier aspect: la politique étrangère du Royaume doit-elle faire l’objet d’une interpellation critique? Le débat, oui, sans doute; les décennies écoulées, notamment sous le précédent règne, témoignent de lectures différentes mais pas sur les fondamentaux considérés comme les intérêts supérieurs. Aujourd’hui, force est de relever qu’avec Mohammed VI prévaut un consensus: une diplomatie rayonnante, traduisant un rang de puissance influente. Un retour sur investissement, dira-t-on, dans la région, sur le continent et à l’international. Le leadership du Roi est reconnu et salué. La Constitution lui confie des prérogatives en la matière. Nasser Bourita est membre du gouvernement, mais jusqu’où peut-il être «critiquable» comme le soutient le PJD sans que cela ne remonte d’échelle jusqu’au Roi?
Le PJD feint de ne pas se préoccuper de cette éventuelle escalade institutionnelle en précisant que le ministre «est sujet de critiques et de contrôles sur la base du programme gouvernemental». En même temps, il apprécie les critiques du communiqué du Cabinet royal en soulignant qu’il «n’éprouve aucune difficulté à accepter les observations et mises en garde émises par SM le Roi». Critiquer le ministre des Affaires étrangères et le présenter comme défenseur de l’«entité sioniste» -pas l’Etat d’Israël reconnu internationalement- en appréciant les positions du Roi sur la question palestinienne est un exercice d’«équilibriste» qui ne trompe personne. Le PJD, en dernière analyse, est opposé à la normalisation avec Tel Aviv. Il la rejette, mais il doit aussi acquitter le coût politique et idéologique même de son approbation des Accords d’Abraham.
Pour l’heure, la formation islamiste fait montre d’une position irréfléchie, d’un manque de discernement et de sagacité. Du «populisme» embrassant à bon compte la question palestinienne. Abdelilah Benkirane a un parcours politique et militant de près d’un demi-siècle. Il a été parlementaire durant trois législatures (1997-2011), Chef du gouvernement aussi (2011-2016). Il n’a pas l’excuse d’ignorer la pratique institutionnelle d’hier et d’aujourd’hui avec des périmètres et des prérogatives balisés par la Constitution. L’équation normalisation avec Israël-question palestinienne que son parti enfourche aujourd’hui lui paraît intenable – un ressort sans doute d’une culture d’arrière-garde du «front du refus». Que ne se préoccupe-t-il pas au passage de ces mêmes termes de référence du côté du Bosphore et de la Turquie de l’AKP d’Erdogan qu’il considère comme un «modèle»?