Maroc–UE: le procès des euro-députés de la Commission mixte

Mustapha Sehimi, politologue. . DR

ChroniqueIl faut interpeller la Commission parlementaire mixte (CPM) UE-Maroc! Et les motifs sont légitimes: comment a-t-elle pu valider et autoriser l’audition de deux séparatistes, mardi 7 février, la dénommée Sultana Khaya et deux jours plus tard, Aminatou Haidar? Et sur quoi?

Le 12/02/2023 à 12h59

Les atteintes présumées aux droits de l’homme et aux libertés pour la première, et pour espionnage par le Maroc avec le logiciel Pegasus! Des allégations auxquelles le Maroc a réagi, dans tous les secteurs de l’opinion publique mais également par la voie d’une réunion-débat des deux Chambres du parlement, mercredi dernier.

Cette CPM appelle assurément une mise au net de son action et de son rôle. Elle a été constituée, voici une douzaine d’années, sur la base d’une communication spécifique du Parlement européen au Sommet UE/Maroc, tenu à Grenade les 6/7 mars 2010 sous la présidence espagnole -le Royaume était présent avec Me. Abbas El Fassi, alors Premier ministre.

L’on avait parlé à cette occasion d’un «évènement majeur» marquant dans l’histoire du partenariat euro-marocain; un «véritable saut qualitatif dans l’histoire des relations parlementaires». C’était inédit, novateur. Pour la première fois en effet, les deux parties, l’UE et le Maroc, allaient institutionnaliser leur dialogue, durablement. Un processus continu donc. Ouvert. Et sans exclusive politique.

Du côté de Bruxelles, c’était là «une nouvelle preuve de l’engagement résolu et irréversible du Royaume sur la voie de la modernité et du développement»; une traduction aussi de la «réaffirmation» de son adhésion à un référentiel commun de valeurs (démocratie, Etat de droit, libertés). N’est-ce pas là le socle de l’ancrage du Maroc à l’Europe et le fondement de son partenariat stratégique avec l′Union européenne?

Au départ, la CPM était constituée de 10 membres de chaque parlement; ce chiffre a été porté à 13 membres. Depuis 2010, cinq co-présidences et co-vice-présidences se sont succédé. Depuis l′automne 2021, la CPM Maroc est présidée par Lahcen Haddad, ancien ministre et député du parti de l’Istiqlal, tandis que la coprésidence européenne est assurée par l’euro-député social-démocrate Andrea Cozzolino; les coprésidents sont Mohammed Moubdi (MP) et Emmanuel Maurel (euro-député français, Gauche unitaire européenne/ Gauche verte nordique -GUE/NGL).

Jusqu’à ce jour, la CPM a tenu douze réunions annuelles, alternativement à Bruxelles/Strasbourg et à Rabat -celle du 26 mars 2014 a eu lieu à Dakhla. Par suite de la pandémie de Covid-19, celles de 2020 et de 2021 n’ont pas pu être honorées. La 11ème réunion en date du 12 mai 2022 n’a pas -encore?- été suivie par celle prévue normalement en 2023.

Or, aux termes des dispositions de l’article 5 du règlement, «la Commission se réunit au moins une fois par an, alternativement dans l’un des lieux de travail du Parlement européen et du Parlement marocain».

À cette occasion, les membres de la Commission ont notamment traité de deux thèmes principaux: celui de la régionalisation et de l’intégration maghrébine et de la contribution à la construction d’un espace nouveau dans la région sur les plans économique et politique; et celui du dialogue et de l’ouverture entre les deux rives de la Méditerranée.

La CPM devait être un dispositif efficient de l’élargissement et de la consolidation du partenariat privilégié entre l’Union européenne et le Maroc. Le document de référence dans ce domaine est le Plan d’action Maroc adopté par le Conseil de l’UE le 9 décembre 2013 pour la mise en œuvre du statut avancé (2013-2017).

Une politique européenne de voisinage (PEV) adossée à des objectifs ambitieux: attachement à des valeurs communes et réciproquement reconnues de démocratie, d’Etat de droit, de bonne gouvernance et de respect des droits de l’homme; principes de l’économie de marché, du libre-échange, du développement durable; réduction de la pauvreté, mise en œuvre de réformes politiques, économiques, sociales et institutionnelles; établissement d’une zone de paix et de stabilité; gestion des crises, prévention et résolution de conflits dans la région.

Ce partenariat, rappelons-le, a été initié avec l’Accord commercial de 1969; il a été suivi par l’Accord d’association signé en 1996 ainsi qu’avec la PEV. En octobre 2008, a été adopté le document conjoint sur le renforcement des relations bilatérales avec l’accord sur le Statut Avancé. Il a été complété par un Accord d’association approfondi visant la mise en œuvre de l’intégration économique à travers un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA).

L’objectif fixé est d’améliorer l’efficacité et l’adéquation au niveau d’intégration que le Maroc et l’UE pourront atteindre. Des actions prioritaires ont été définies. Elles couvrent les domaines suivants: dialogue politique et stratégique; Etat de droit, démocratie et gouvernance; réforme économique et sociale; commerce, marché et réforme règlementaire; infrastructures; environnement et développement durable; éducation, enseignement supérieur et formation professionnelle. Toutes ces références devaient être rappelées pour bien mettre en relief ceci: il y a un cadre institutionnel régissant non seulement les relations globales UE/Maroc et en particulier la place et le rôle de la CPM.

Ce qui s’est passé ces dernières semaines témoigne d’actes contraires à l’esprit et aux bonnes pratiques d’un partenariat privilégié bien compris. La résolution du 19 janvier dernier, marquée du sceau de l’hostilité et d’une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures du Royaume, a été un manquement majeur à cet égard.

Elle a été suivie ces derniers jours par l’audition de deux séparatistes. Quand elle fonctionnait dans des conditions normales, la CPM a pu déjouer des amendements visant l’intégrité territoriale du Maroc et contrarier ainsi les manœuvres de certains euro-députés connus pour leur hostilité au Royaume. Mais aujourd’hui, tel n’est plus le cas: tant s’en faut. La CPM est pratiquement devenue le cadre d’expression et de mobilisation de ceux qui persistent dans ce registre.

Elle souhaitait des informations sur des problèmes et des questions intéressant la vie politique nationale? Elle avait la possibilité de saisir la partie marocaine et de demander leur inscription à l’ordre du jour d’une réunion. Elle aurait eu des réponses; un échange de vues aurait pu ainsi être utile et fécond.

Tel a été le cas en maintes circonstances: affaire de Gdim Ezzik, Aminatou Haidar, accord agricole, accord de pêche, jugement des civils devant le tribunal militaire, partenariat pour la mobilité et la facilitation de la circulation des personnes entre le Maroc et l′UE, projet de code pénal marocain, etc.

Or, que s’est-il passé aujourd’hui? La coprésidence marocaine n’a pas pu obtenir une seconde réunion de la CPM pour 2022, comme le prévoit le Règlement. Des correspondances ont été adressées à la coprésidente européenne présidente du Parlement européen, l’euro-députée maltaise, Roberta Metsola -aucune réponse... Qu’en penser?

Une mauvaise volonté manifeste. Un refus de dialogue traduisant bien les conditions et le climat d’une hostilité. De deux choses l′une: ou bien le Parlement européen reste attaché au cadre institutionnel et politique existant avec le Parlement marocain; ou bien il entend y mettre fin! L’ambigüité n’est pas une hypothèse de travail à retenir, ni une conduite recevable et acceptable.

Les douze groupes composant le Parlement européen doivent prendre leurs responsabilités dans la clarté et la cohérence; les partis nationaux qu’ils représentent aussi, sans oublier les 27 Etats membres de l’UE représentés dans le Conseil, organe décisionnaire.

Par Mustapha Sehimi
Le 12/02/2023 à 12h59