Iran, Hezbollah: le Maroc face à la menace

Mustapha Sehimi, politologue.

Mustapha Sehimi, politologue. . DR

ChroniqueLa veille, toujours, la vigilance aussi. Le temps est à la prise en compte conséquente de la menace que font peser sur le Royaume l’Iran et le Hezbollah. L’interview exclusive accordée ces derniers jours à la chaîne israélienne i24 News, à Salé, par Habboub Cherkaoui, Directeur du Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ) est éclairante à cet égard.

Le 05/03/2023 à 13h06

Ce responsable -dont la communication est étudiée- a tenu ainsi à mettre l’accent sur cette situation. Qu’a-t-il déclaré en substance? Que «l’Iran fournit à la milice du «Polisario» des missiles antiaériens et des drones par l’intermédiaire du Hezbollah et avec l’aide de l’Algérie»; que la République islamiste cherche à s’implanter en Afrique du Nord et au Sahel; et que le rapprochement entre l’Iran et le Hezbollah d’un côté, et l’Algérie et le mouvement séparatiste de l’autre est fortement préoccupant: il «représente une menace pour la stabilité et la sécurité du Maroc».

Rien ne va plus donc avec le régime actuel des mollahs de Téhéran. Depuis plus de quatre décennies, une normalisation n’a pu se faire durablement. À preuve, pas moins de trois ruptures diplomatiques (1979, 2009 et 2018) et des tensions bilatérales récurrentes donc.

Au début 1979, le Roi Hassan II avait rompu les relations diplomatiques avec ce pays. Le défunt Souverain avait accueilli durant deux mois le Shah d’Iran qui s’était enfui de Téhéran, via l’Egypte avant Rabat. Le Souverain chérifien avait alors qualifié l’imam Khomeiny d’«hérétique»...

Les relations ont ensuite été rétablies mais elles sont restées chaotiques. En 2009, c’est à propos du Bahreïn qu’une nouvelle crise éclate. Le 22 février 2009, un conseiller du Guide Ali Khamenei, le mollah Ali Akbar Natiq Nouri, déclare que Bahreïn est bel et bien la «14e province de l’Iran», une thématique prégnante depuis le départ des Britanniques du Golfe dans les années soixante et début soixante-dix.

Rabat entend également mettre fin au prosélytisme iranien au Maroc, inspiré et soutenu par l’ambassade d’Iran. Des ingérences dans les affaires intérieures marocaines visant à altérer les fondamentaux religieux du Royaume et à tenter de menacer l’unicité du culte musulman et le rite malékite sunnite au Maroc.

Les relations sont de nouveau rétablies discrètement en 2015, dans le contexte de l’accord multilatéral sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015.

Trois ans plus tard, le 1er mai 2018, le Maroc annonce la rupture des relations diplomatiques avec Téhéran. Le motif? Une facilitation de livraison d’armes au mouvement séparatiste par le biais du Hezbollah libanais.

Lors d’une conférence de presse à Rabat, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, précise que «le Maroc dispose de preuves irréfutables, de noms identifiés et de faits établis qui corroborent cette connivence entre le Polisario et le Hezbollah contre les intérêts suprêmes du Royaume».

Il ajoute qu’il a séjourné dans la capitale iranienne et qu’il a présenté à son homologue, Mohammad Javad Zarif, un dossier complet mettant en cause un diplomate de son pays. Il s’agit de l’attaché culturel d’Iran à Alger, Amir Moussaoui. Ce même personnage se distingue quatre ans après par des menaces directes contre le Maroc. Le 30 octobre 2022, sur la chaîne satellitaire panarabe Al-Mayaden, le voilà qui déclare que si l’Iran apportait réellement son appui au «Polisario» par l’entremise du Hezbollah, «les choses seraient expédiées en quelques heures», autrement dit le Sahara marocain serait rapidement envahi...

Il y a bien un axe trilatéral Téhéran-Hezbollah-Polisario. Ce même responsable avait déjà allégué de liens établis à compter d’octobre 2016. Il était ensuite intervenu pour la fourniture, en avril 2018, des missiles Sam 7,9 et 11. Dernièrement, ce sont les fameux drones kamikazes Arash 2 qui ont fait l’objet de livraisons.

Le 30 septembre 2022, le «ministre» de l’Intérieur de l’entité fantoche séparatiste, Omar Mansour, après réception par le président mauritanien, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, à Nouakchott, a déclaré que son organisation allait bientôt utiliser ces drones. Ce qui allait conduire à une vigoureuse réaction de Rabat.

Celle-ci se traduit à New York, le 27 octobre dernier, par la voix de l’ambassadeur auprès de l’ONU, Omar Hilale, au cours de sa traditionnelle conférence de presse suivant l’adoption de la Résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara marocain. Il a évoqué la question des drones iraniens comme «un développement gravissime».

Et d’avancer à cet égard trois explications: l’une étant que sur le plan géopolitique, cela donnera raison au Maroc d’«avoir alerté la communauté internationale depuis deux ans sur le fait que l’Iran et le Hezbollah sont en train de s’infiltrer à Tindouf et en Afrique du Nord, et qu’ils sont passés de la formation à l’équipement du Polisario avec des drones». L’autre a trait à «un game changer sur le plan militaire» et que «le Maroc réagira en conséquence et d’une manière appropriée».

Enfin, cela poserait «un problème moral»: au moment où l’ONU demande aux organisations internationales d’augmenter leurs contributions à Tindouf -et où l’on parle de risque de famine et de pénuries-, voilà que le mouvement séparatiste «se targue d’avoir acquis des drones»...

Une situation d’alerte qui ne peut que préoccuper la communauté internationale. Voici près de cinq mois, un eurodéputé espagnol, Antonio Lopes Isturis White, secrétaire général du Parti populaire européen (PPE), avait interpellé Josep Borrell, chef de la diplomatie de l’UE, pour dénoncer l’octroi par l’Iran de drones kamikazes au Polisario.

Cette semaine, c’est outre-Atlantique que la presse américaine alerte de nouveau sur cette question et ce par la voix de Llewellyn King, célèbre chroniqueur, dans un article publié par les quotidiens The Boston Herald et New England Diary. Il considère que désormais, des drones iraniens sont déployés en Afrique du Nord et constituent «une menace directe pour le Maroc». Il explique aussi que Rabat n’a de cesse d’alerter les gouvernements occidentaux face à ce danger.

Dans ce même registre, Ilan Berman, vice-président senior de l’American Foreign Policy Council, rappelle que l’Iran privilégie désormais l’aide aux conflits asymétriques plutôt que la confrontation dans le cadre d’une guerre conventionnelle. Et d’expliquer pourquoi Téhéran finance le terrorisme et les programmes de missiles balistiques.

«Les drones, ajoute-t-il, sont une évolution de cette stratégie et participent au renforcement des capacités de leurs groupes mandataires».

Un défi qui concerne la région. Le Maroc n’est pas le seul pays concerné. L’Iran élargit son périmètre de déstabilisation. Comme l’a déclaré Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, «l’Iran, après avoir sapé la stabilité de la Syrie, du Yémen, de l’Irak et du Liban, est en train de déstabiliser notre région».

Dans cette optique, comme l’a relevé le responsable du BCIJ, Habboub Cherkaoui, «les accords d’Abraham ont permis le renforcement des relations stratégiques et sécuritaires, ils ont été établis pour rechercher la paix et la sécurité et contrer l’expansionnisme de l’Iran et du Hezbollah».

Des menaces réelles qui conduisent le Maroc à élargir des accords avec ses partenaires. La coordination et les échanges de renseignements ainsi que l’expertise de tous les Etats sont nécessaires.

Par Mustapha Sehimi
Le 05/03/2023 à 13h06