Le problème économique de l’Algérie est bien connu: le pays ne produisant quasiment rien, il doit tout acheter à l’étranger (nourriture, vêtements, médicaments, électroménager, pièces de rechange, etc.). Or, ces achats étant payés en devises, et non pas en dinars, il faut donc encaisser des devises…
Tant que le prix des hydrocarbures était haut, l’Algérie a pu faire comme la cigale de la fable et chanter tout en regardant les précieux dollars emplir ses coffres. Entre 2000 et 2015, avant donc la chute des cours en 2016, la vente des hydrocarbures lui a ainsi rapporté 800 milliards de dollars. Une manne colossale qui a permis au «Système» de prospérer, d’acheter la paix sociale et d’alimenter le tonneau des Danaïdes du Polisario.
Mais ces énormes rentrées en devises n’ont pas été transformées en capital productif, parce que, comme il vient d’être dit, l’Algérie doit tout importer. Résultat, durant la même période, les flux sortants ont atteint 700 milliards de dollars, auxquels se sont ajoutés plus de 100 milliards de dollars qui furent dépensés «à la discrétion des gouvernements» (El Watan, 31 janvier 2016).
Depuis l’indépendance de 1962, l’Algérie vit donc sur la rente des hydrocarbures qui fournissent, bon an mal an, entre 95 et 98% de ses exportations et environ 75% de ses recettes budgétaires. Et comme la leçon des crises des années 1986, 1990, 1994 et 2016 n’a pas été retenue, son économie n’a pas été diversifiée. D’où l’impasse actuelle.
En économie réelle, la question est donc de savoir, aux cours actuels des hydrocarbures, combien de devises cette manne rapporte à l’Algérie. La réponse est claire: les chiffres sont loin de l’époque des temps bénis du baril à 140 ou 150 dollars. Les recettes algériennes en devises furent en effet de 59 milliards de dollars en 2022, de 50 milliards en 2023 et de 45 milliards en 2024, une baisse s’expliquant à la fois par la diminution des quantités disponibles à écouler sur le marché international, tant en raison de l’épuisement des gisements que de l’augmentation de la consommation intérieure.
Le drame algérien est qu’en 2024, le quart des 45 milliards de dollars de recettes tirées des hydrocarbures servit à la seule importation de produits alimentaires de base dont l’Algérie était exportatrice avant 1962.
En 2024, 8,5 millions de tonnes de blé furent ainsi importées, la récolte n’en ayant été que de 3 millions de tonnes, pour des besoins de 11 millions de tonnes (Centre national de l’informatique et des statistiques-douanes-CNIS). L’Algérie n’exporte plus d’oranges, alors qu’avant 1962, ses exportations étaient de 200.000 tonnes. Elle n’exporte plus de tomates, de carottes, d’oignons, de haricots verts, de petits pois, de melons, de courgettes, etc. Avant 1962, les primeurs algériennes débarquaient à Marseille, en France, par bateaux entiers, notamment les pommes de terre nouvelles dont les exportations annuelles oscillaient entre 500.000 et un million de quintaux. Sans parler des 600.000 quintaux de grains et des 700.000 de semoule, des légumes secs et même des figues séchées dont l’Algérie exportait environ 120.000 quintaux par an. Toujours avant 1962, l’Algérie exportait 100.000 hectolitres d’huile d’olive et 50.000 quintaux d’olives, tandis qu’aujourd’hui, la production nationale ne permet même pas de satisfaire la demande locale.
«Le “Système” algérien ne pourra pas continuer à financer le Polisario, à consacrer des sommes colossales à ses forces armées, tout en achetant la paix sociale.»
La sécurité alimentaire de l’Algérie n’est donc assurée dans aucune des filières alimentaires stratégiques que sont les céréales, les laitages, les viandes, les sucres et les graines oléagineuses qui pourraient pourtant être produits sur place.
Le naufrage est donc évident, car l’Algérie n’est plus en mesure de satisfaire les besoins élémentaires d’une population dont le taux d’accroissement annuel est de 2,15%, avec quasiment 900.000 bouches supplémentaires à nourrir chaque année. Au mois de janvier 2024, le pays comptait ainsi 46,7 millions d’habitants (contre 12 millions en 1962).
La survie du «Système» algérien dépend donc du prix des hydrocarbures. Ses dirigeants ne peuvent en effet pas avoir oublié que le «contre-choc pétrolier» de 1986 a débouché sur les manifestations d’octobre 1988, puis sur la guerre civile des années 1990. De même, le cours du pétrole a commencé à baisser au milieu des années 2010, et quatre ans plus tard, il y eut le Hirak…
Or, il vient d’être dit que l’Algérie, qui n’a pas retenu la leçon des crises des années passées, n’a pas diversifié son économie. Une situation qui faisait dire, il y a déjà dix ans de cela, à Sid-Ahmed Ghozali, ancien ministre et président-directeur général de la Sonatrach:
«Je crains un effondrement. Il est inéluctable (…) Après 53 ans d’indépendance, notre société vit par la grâce d’une richesse épuisable et unique, de surcroît non créée par nous. L’Algérie est l’un des rares pays, sinon le seul, à se retrouver dans cette si grande et si dangereuse précarité: 99% de nos importations, y compris le blé de notre pain quotidien, sont payées par les revenus des hydrocarbures! Qui est responsable de cet état de choses? Un pouvoir vautré dans l’économie de la rente.» (El Watan, 28 septembre 2015).
Si les décisions du président américain Donald Trump concernant les prix des hydrocarbures se concrétisaient, avec un prix du baril entre 50 et 60 dollars, l’Algérie serait alors aux abois, car, d’après le FMI, l’équilibre budgétaire algérien nécessite un baril entre 130 et 140 dollars.
En 2024, le budget de l’État algérien fut bâti sur la base de 113,15 milliards de dollars de dépenses et de 67,44 milliards de dollars de recettes, soit un déficit d’environ 45,71 milliards de dollars, le budget de la défense étant quant à lui de 25 milliards de dollars. Dans la loi de finances prévisionnelle 2025, les dépenses budgétaires prévues s’élèvent à 127,40 milliards de dollars, soit une hausse de 10% par rapport à 2024, avec des recettes budgétaires de 63,13 milliards de dollars, d’où un déficit budgétaire de 64,27 milliards de dollars.
L’heure des choix déchirants approche donc pour le «Système» algérien qui ne pourra pas continuer à financer le Polisario, à consacrer des sommes colossales à ses forces armées, et tout cela en achetant la paix sociale.