Ce que les chancelleries européennes baptisèrent du nom de «Question marocaine» fut en réalité l’entreprise de dépeçage du Maroc, qui commença sous le règne du sultan Mohammed IV (1859-1873) avec l’occupation de Tétouan par l’Espagne et qui fut réalisée à travers six étapes principales:
1- Le 5 août 1890, selon les termes d’une convention secrète, la France et la Grande-Bretagne se mirent d’accord pour délimiter leurs sphères d’influence en Afrique. En échange de la reconnaissance du protectorat britannique sur les îles de Zanzibar et de Pemba, dans l’océan Indien, Paris se voyait reconnaître la possibilité d’occuper le Sahara centre occidental, afin de posséder un passage vers le sud, c’est-à-dire vers le Niger et le lac Tchad.
Londres accorda alors toute liberté à Paris d’occuper les régions marocaines du Touat, du Gourara, du Tidikelt et d’Igli dans la vallée de la Saoura. C’est par cet axe transsaharien que la France envisageait en effet de relier l’Afrique occidentale à la Méditerranée et d’y faire passer son chemin de fer transsaharien.
2- En 1902, par un traité secret, la France et l’Italie s’engagèrent à se partager le littoral sud de la Méditerranée. À l’Italie la Tripolitaine et le Fezzan, à la France le Maroc. Le sultan Moulay Abdelaziz, qui avait été tenu à l’écart de ces tractations, s’y opposa fermement, soutenu par l’empereur Guillaume II qui se déplaça à Tanger le 31 mars 1905.
3- Cette visite déclencha une crise diplomatique réglée par une conférence internationale qui se tint du 7 janvier au 6 avril 1906 à Algésiras, en Espagne. L’Allemagne s’y trouva isolée et I’Angleterre soutint la France, qui en retira tout l’avantage. L’indépendance et l’intégrité du Maroc étaient certes reconnues solennellement, mais Paris obtenait le contrôle des ports de Rabat, Mazagan, Safi et Mogador. Quant à Tanger et Casablanca, elles étaient partagées avec les Espagnols, qui obtenaient Tétouan et Larache.
4- En 1909, un accord fut conclu entre Français et Allemands, ces derniers reconnaissant le rôle politique de la France au Maroc, mais obtenant en contrepartie des avantages économiques.
5- En mai 1911, le sultan Moulay Hafid, assiégé dans la ville de Fès par des sujets révoltés, demanda l’intervention française. La colonne Moinier entra dans Fès le 21 mars. Meknès fut investie le 8 juin, Rabat le 9 juillet et des postes furent créés dans les tribus des Zemmour et des Zaër. L’Allemagne réagit en envoyant le croiseur Panther à Agadir le 1er juillet 1911.
À ce moment, l’on frôla la guerre. Afin de l’éviter et pour tenter de trouver un terrain d’entente entre Paris et Berlin, les diplomates s’agitèrent, discutèrent, proposèrent et surtout marchandèrent. La France posait un préalable: les droits français sur le Maroc n’étaient pas négociables. Ceci étant, afin de «calmer» l’Allemagne, il convenait de lui offrir des compensations, ce qui fut fait en Afrique équatoriale. Aussi, le 4 novembre 1911, une convention fut signée qui réglait le contentieux colonial entre les deux pays, mais à l’avantage de la France. Désormais, la France avait «les mains libres» au Maroc.
6- Le 30 mars 1912, sous la pression de cinq mille soldats français qui campaient sous les murs de son palais, Moulay Hafid signa le Traité de Fès, qui instaura le protectorat français au Maroc.