Aymeric Chauprade, géopolitologue français, ancien député européen et ex-conseiller de la leader du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, analyse, dans cette entrevue avec Le360, les résultats du 1er tour des élections législatives françaises, et passe au peigne fin les conséquences sur les relations de Paris avec Rabat et Alger, en cas d’accession du RN au pouvoir.
Le360: votre lecture des résultats de ce premier tour des législatives françaises qui donnent le Rassemblement national et ses alliés de droite en tête avec plus de 33% des voix…
Aymeric Chauprade: je pense que c’est à la fois un résultat clair, fort et qui crée un grand bouleversement sur la scène politique française et en même temps, c’est un résultat qu’il faut décrypter et analyser parce qu’il est complexe. C’est une élection à deux tours, il y a des combinaisons d’alliances, de barrages, etc. Donc, je pense qu’il faut regarder cela avec beaucoup d’attention. On connaît les chiffres. Si l’on prend au pourcentage le Rassemblement national (RN) et ses alliés, c’est 33,15%, donc assez nettement en tête devant un deuxième bloc, qui est celui de la gauche radicale, le Nouveau Front populaire (NFP) avec 28% et ensuite un troisième bloc, disons le bloc de la majorité présidentielle, qui fait 20%.
L’on n’est pas dans une élection à la proportionnelle, il faut regarder combien de députés potentiels sont qualifiés. Je rappelle qu’il y a 577 circonscriptions en France, et que pour avoir la majorité absolue il faut 289 députés sur 577. Pour l’instant, sont qualifiés pour le deuxième tour 446 RN, 405 NFP, 310 Ensemble (majorité présidentielle) et 63 LR (Les Républicains). Et on s’attend à un peu plus de 300 triangulaires à l’issue du premier tour et avant le dépôt des listes du deuxième tour. Donc, aujourd’hui, le RN est dans la capacité d’être majoritaire. Cela est très probable. Mais ce sera beaucoup plus difficile pour lui d’avoir la majorité absolue, c’est-à-dire plus de 289 députés. Tout simplement parce qu’il semble qu’il y ait une dynamique de barrages qui se met en place à l’initiative du président Macron qui veut empêcher une majorité absolue de se former.
«S’agissant de l’Algérie, le RN veut remettre à plat la relation et renégocier un certain nombre d’accords.»
— Aymeric Chauprade.
Si demain le RN accède à Matignon, quelles seraient les premières répercussions sur les relations de la France avec les pays du Maghreb, notamment le Maroc et l’Algérie?
Je pense que ça va être difficile pour lui d’y accéder. Je pense qu’il aurait une majorité large, mais encore une fois, ça va être compliqué d’avoir une majorité absolue. Évidemment, il peut toujours y avoir des surprises, mais mathématiquement, je vois ça se profiler. En tout cas, si le RN dispose d’une majorité, c’est-à-dire qu’il est en capacité de gouverner, que le président Macron désigne Jordan Bardella comme Premier ministre, il sera donc au gouvernement. Là, on peut penser qu’il va essayer de mettre en place les éléments essentiels de sa politique, même si, il faut le rappeler, s’agissant de la politique étrangère et de la politique de défense, ça reste aussi très largement une prérogative présidentielle. En mode de cohabitation, le RN ne sera pas en capacité de faire totalement ce qu’il veut faire sur le plan international. En revanche, il sera en capacité de peut-être freiner, bloquer, modérer le président Macron sur un certain nombre d’initiatives qui pourraient être les siennes.
«Le RN veut mettre en avant la relation avec le Maroc, c’est à dire qu’il le considère comme l’allié stratégique le plus fiable et le plus solide au Magrheb.»
— Aymeric Chauprade.
Pour le Maghreb, on sait que s’agissant de l’Algérie, le RN veut remettre à plat la relation et renégocier un certain nombre d’accords qui existent sur une base complètement différente, parce qu’il estime que l’Algérie, depuis très longtemps, culpabilise la France et utilise cette relation un peu malsaine pour pousser son avantage. Le RN veut donc remettre au carré cette relation.
Il veut mettre en avant la relation avec le Maroc, c’est-à-dire qu’il le considère comme l’allié stratégique le plus fiable et le plus solide au Maghreb, et parce que la relation la plus équilibrée, la plus saine est celle avec le Maroc. Vous savez que sa position sur le Sahara marocain est claire. Le RN l’a dit clairement depuis toujours et ses députés au Parlement européen ont toujours voté en ce sens-là, à la fois dans les résolutions et les amendements. Ils ont toujours agi dans ce sens-là de manière claire. Il s’agit de reconnaître de manière claire et nette la marocanité du Sahara. Pourra-t-il le faire s’il est aux commandes, en mode de cohabitation? Ce n’est pas certain, mais en tout cas c’est la volonté. Et il est clair que si en 2027 Marine Le Pen est candidate et qu’elle est élue Présidente de la République, ce sera l’une des premières mesures qui seront faites pour plusieurs raisons. D’abord parce que le RN a aussi besoin de casser un certain nombre de clichés, de montrer qu’il n’est pas contre les pays du Maghreb, qu’il n’est pas contre le monde arabe d’une façon générale, qu’il a une politique internationale. Mais ensuite, il voudra montrer qu’il considère le Maroc comme l’allié stratégique le plus fiable.
Le régime algérien, par le biais des recteurs de la Grande Mosquée de Paris et celle de Lyon, a donné des consignes de vote anti-RN aux Franco-algériens. Comment voyez-vous cette ingérence?
Malheureusement, ce n’est pas la seule ingérence. Il y en a d’autres. Je la trouve très choquante, évidemment. Le recteur de la Grande mosquée est tenu à une certaine neutralité. Il s’occupe des âmes. Il s’occupe de la foi des gens, de la religion. Il n’est pas censé s’occuper de politique, ni sur la scène française, ni ailleurs. Il est donc sorti de son rôle et il envoie aussi le message clairement qu’il se fait le relais du gouvernement algérien pour essayer de s’ingérer dans la politique française, parce que le régime algérien a très peur d’une arrivée du RN au pouvoir. Il considère, à juste titre, que le RN veut consolider, cimenter une alliance très forte avec le Maroc. Il craint cela et préfère, évidemment, la perspective d’un NFP qui puisse être très puissant à l’Assemblée nationale, puisque une grande majorité des élus du NFP sont très pro-Algérie, très anti-français dans leur rhétorique très favorable à celle du FLN algérien.