Comment la France amputa territorialement le Maroc au profit de l’Algérie (1)

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueLa consultation des archives françaises concernant ce que les milieux coloniaux de l’époque désignaient alors sous le terme de «Question des Confins», lire plus exactement «régions du Maroc oriental que la France voulait rattacher à sa possession algérienne», est claire.

Le 14/03/2023 à 11h01

Dans ma précédente chronique, j’avais montré que, pour les autorités françaises du Protectorat, l’appartenance du «Sahara oriental» au Maroc était une évidence.

Dans les deux chroniques qui vont suivre, je vais montrer comment ces régions furent détachées du Maroc, qui n’était pas une possession de la France, afin de favoriser territorialement l’Algérie qui, elle, était alors française.

La consultation des archives françaises concernant ce que les milieux coloniaux de l’époque désignaient alors sous le terme de «Question des Confins», lire plus exactement «régions du Maroc oriental que la France voulait rattacher à sa possession algérienne» est claire. Une fois encore, la chronologie permet de le démontrer.

Tout débuta en 1859 quand le général de Martimprey intervint contre les Béni Snassen (Aït-Iznasen), une importante tribu berbère marocaine dont la fraction la plus orientale, celle des Aït Khaled, possédait des terrains de parcours s’étendant loin vers l’est, dans l’actuelle Algérie.

Puis, en 1864, la tribu arabe des Ouled Sidi Cheikh, divisée en deux groupes, celui des Cheraga vivant à l’est, et celui des Gharaba vivant à l’ouest, se dressa contre les empiétements français. À l’appel de leur chef Si Slimane, les deux composantes de la tribu s’unirent et elles attaquèrent le détachement du lieutenant-colonel Beauprêtre, commandant du cercle de Tiaret.

Le soulèvement prit fin en 1869, à la suite de l’expédition décidée par le Gouverneur Général Mac Mahon et réalisée par le général Louis-Joseph de Colomb qui, parti de Géryville, établit un poste militaire provisoire en territoire marocain, à l’endroit qui, plus tard, portera son nom, Colomb-Béchar.

Au mois de mars 1870, le général de Wimpffen commandant la province d’Oran s’empara d’Aïn-Chaïr et de la région de l’Oued Ghir, coupant ainsi à la fraction orientale des Ouled Sidi Cheikh l’accès au Maroc. En 1884, une partie de la tribu se soumit à la France, cependant que, dirigée par Bou Amama, un marabout fondateur d’une zaouia, la majorité de ses membres demanda la protection effective du sultan du Maroc sur les oasis du Touat.

Le 5 août 1890, aux termes d’une convention secrète, la France et la Grande-Bretagne délimitèrent leurs sphères d’influence en Afrique. En échange de la reconnaissance du protectorat britannique sur les îles de Zanzibar et de Pemba, dans l’océan Indien, Paris se vit reconnaître la possibilité d’occuper les régions marocaines du Touat, du Gourara et d’Igli dans la vallée de la Saoura, axe par lequel il était envisagé de relier l’Afrique occidentale à la Méditerranée par un chemin de fer transsaharien. Or, le territoire était marocain puisque le sultan du Maroc avait à Figuig un caïd chargé de le représenter dans les oasis du Touat.

La France n’occupa pas immédiatement ces régions. Théophile Delcassé, ministre des Affaires étrangères de juin 1898 à juin 1905, dont la priorité était d’isoler diplomatiquement l’Allemagne en s’appuyant sur la Grande-Bretagne, désirait en effet éviter toute intervention militaire contre le Maroc qui aurait pu donner à Berlin une occasion de briser cet «encerclement».

Cependant, et nous le verrons dans ma prochaine chronique, les événements mirent le gouvernement français devant un quasi fait accompli et il dut accepter l’occupation des oasis, prélude à un démembrement du Maroc au profit de l’Algérie alors territoire français.

Par Bernard Lugan
Le 14/03/2023 à 11h01