La loi française «immigration métiers en tension» va accélérer le pillage de la «matière grise» des pays du Maghreb

Bernard Lugan

ChroniqueDécidée au nom du marché, du travail global et de la mobilité de la main d’œuvre, la nouvelle loi française «immigration métiers en tension» va accélérer encore davantage la fuite des cerveaux maghrébins.

Le 31/01/2023 à 11h01

En France, l’assistanat institutionnalisé est le frein principal à l’emploi. Cependant, au lieu de prendre les impopulaires mais nécessaires mesures de fond qui permettraient de remettre les Français au travail, par peur des syndicats, le gouvernement a choisi d’encourager les élites maghrébines à quitter un continent où elles sont pourtant indispensables, afin de venir s’employer en France.

«Nous avons la volonté de simplifier l’accès au territoire pour des compétences particulières, dont l’économie a besoin», a ainsi annoncé Olivier Dussopt, ministre français du Travail, le mercredi 2 novembre 2022, dans un entretien au journal Le Monde.

Or, décidée au nom du marché, du travail global et de la mobilité de la main d’œuvre, cette loi va accélérer encore davantage la fuite des cerveaux maghrébins. Il suffit en effet de lire Global Talent Comptitiveness.net pour comprendre que le Maghreb va automatiquement subir une hémorragie de ses talents. Dans le classement des pays qui réussissent à garder leurs cadres, l’Algérie occupe en effet la 105° place sur 125 pays, le Maroc la 100° et la Tunisie la 84°. La loi «immigration métiers en tension» va donc servir de déversoir des compétences de ces trois pays vers la France, alors que des dizaines de milliers de cadres ont déjà été déjà perdus par ces derniers, soit, selon les études, au moins 30% du total de leur «matière grise».

En 2022, 60.000 cadres supérieurs maghrébins étaient ainsi employés ailleurs que dans leurs pays respectifs, dont 6000 Tunisiens (2300 ingénieurs, 1000 médecins, 2300 enseignants-chercheurs et 450 informaticiens). Le Maroc, qui perd quant à lui des dizaines de médecins par an, connaît un déficit global de plusieurs dizaines de milliers de cadres médicaux partis exercer à l’étranger (Syndicat marocain des médecins, avril 2022).

En 2021, les médecins exerçant en France et titulaires de diplômes étrangers hors Union européenne, étaient à 31,5% originaires d’Afrique du Nord, dont 22,2% d’Algérie, 5,8% du Maroc, 2,5% de Tunisie et 1% d’Egypte. Ces chiffres ne tiennent pas compte des médecins maghrébins ayant obtenu des diplômes français.

Avec le plus grand cynisme, les pays du Nord «importent» donc des personnels médicaux d’un continent qui, en moyenne globale, compte moins de 15 médecins pour 100 000 habitants, pour les installer dans des pays qui, comme la France, en comptent 380 pour 100 000 habitants… (Center for Global Development CGD).

En 2020-2021, la France accueillait 91 064 étudiants venus du Maghreb, dont 46 371 Marocains, 31 032 Algériens et 13 661 Tunisiens. Il est naturellement tout à fait essentiel et même hautement enrichissant réciproquement que des étudiants maghrébins puissent venir se former en France. Cependant l’obligation de retour au terme de leurs études devrait être la Loi. En cas de non-retour, c’est en effet la matière grise de leurs pays respectifs qui est en quelque sorte perdue car sont offerts au marché des hommes et des femmes nécessaires à leurs pays et qui seront employés ailleurs que chez eux.

Le phénomène ne touche pas que le milieu médical. Bien des officines ou intermédiaires vivent en effet de l’achat de sportifs. Une pratique connue et observable par tous, notamment dans le domaine du football comme l’a démontré Maryse Ewanjé-Epée, dans son livre Les Négriers du foot (Editions du Rocher, 2010), ou encore dans celui de l’athlétisme.

Par Bernard Lugan
Le 31/01/2023 à 11h01