Comment la France a créé et administré l’Algérie

L’Afrique réelle

ChroniqueLa France créa l’Algérie en unifiant des territoires qui n’avaient jamais eu de destin commun et elle donna un nom à l’ensemble ainsi créé.

Le 17/01/2023 à 11h00

Le 14 octobre 1838, dans une instruction au maréchal Valée, gouverneur général de l’Algérie, le général Schneider, ministre de la Guerre, écrivit ainsi:

«Jusqu’à ce jour, le territoire que nous occupons dans le nord de l’Afrique a été désigné dans les communications officielles soit sous le nom de Possessions françaises dans le nord de l’Afrique, soit sous celui d’Ancienne régence d’Alger, soit enfin sous celui d’Algérie. Cette dernière dénomination plus courte, plus simple et en même temps plus précise que toutes les autres (…) a semblé dorénavant prévaloir (…) je vous invite en conséquence (…) à substituer le mot Algérie aux dénominations précédentes».

Dans un premier temps, la conquête fut administrée selon la Loi du 24 avril 1833 qui créa les Etablissements français d’Afrique. Ce fut une colonie militaire dont le régime fut défini par l’Ordonnance du 22 juillet 1834. Rattachée au ministère de la Guerre, elle fut dirigée par un gouverneur général.

Sous l’impulsion du général Bugeaud, le Service des Bureaux arabes fut créé par l’Arrêté ministériel du 1er février 1844 et son premier commandant en fut le général Daumas. Formé d’officiers appartenant à toutes les armes et placés en «hors cadre» ou détachés, les Bureaux arabes furent composés par de bons connaisseurs des langues et des mœurs des populations dont ils eurent la charge. A la tête du corps se trouvait un Bureau Politique stationné à Alger et qui commandait à trois directions provinciales territorialement alignées sur les trois divisions militaires d’Alger, Oran et Constantine.

Les directions provinciales étaient composées de bureaux de «première» et de «deuxième» classes placés auprès des commandants des subdivisions militaires, et subdivisés en postes et cercles. A la base, sur le terrain, chaque Bureau arabe était composé d’un officier chef du Bureau, d’un ou de plusieurs officiers adjoints, d’un interprète, d’un ou de plusieurs secrétaires, généralement des sous-officiers français; d’un secrétaire indigène ou khodja, d’un chaouch, d’un médecin, d’un détachement de spahis et de moghaznis qui étaient des auxiliaires militaires recrutés localement.

Les chefs de bureau étaient en même temps administrateurs, médiateurs, juges, officiers d’état civil, gendarmes. Ce service composé d’un personnel d’élite combattit la politique dite du «cantonnement» qui visait à exproprier les tribus et il s’attira donc l’hostilité des partisans de la colonisation agricole. Conscient des réalités, soucieux de ne pas déraciner les populations, il respecta la religion musulmane.

En 1863, l’Empereur Napoléon III définit une politique algérienne originale quand il en parla de «royaume arabe», concept qui fit couler beaucoup d’encre et dont la primeur est contenue dans une lettre en date du 6 février 1863 qu’il écrivit au maréchal Pélissier, alors Gouverneur général de l’Algérie:

«L’Algérie n’est pas une colonie proprement dite, mais un 'royaume arabe'. Les indigènes ont comme les colons un droit égal à ma protection et je suis aussi bien l’Empereur des Arabes que l’Empereur des Français».

Sensible aux arguments des militaires qui ne voulaient pas d’une colonisation massive, Napoléon III déclara qu’il n’avait pas l’intention de sacrifier «deux millions d’indigènes à deux cent mille colons» et il eut une politique reposant sur l’idée d’un double statut.

C’est ainsi que les natifs algériens devinrent des «sujets français» sans toutefois perdre pour autant leur statut civil musulman. Ils eurent accès à tous les emplois civils et militaires sous réserve de compétence et obtinrent d’être représentés dans les conseils municipaux et généraux. Quant aux tribus, elles se virent reconnaître la propriété inaliénable de leurs territoires.

Cette politique fut farouchement combattue par les colons qui, par réaction, se rallièrent à l’opposition républicaine et exigèrent la suppression du Bureau arabe.

Le fond du problème était que la population européenne était passée de moins de 600 à la fin de l’année 1830 à 160.000 en 1856 et à plus de 200.000 en 1870. Or, pour nombre de colons, le corps des Bureaux arabes était un obstacle qu’il importait de supprimer.

Par Bernard Lugan
Le 17/01/2023 à 11h00