Le terrorisme jihadiste dans la bande sahélo-saharienne: entre «frontière de la foi» et fourre-tout révolutionnaire

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueL’islam d’inspiration wahhabite donne aux jihadistes la justification théologique de leurs actes. Il leur sert également de terreau de recrutement en permettant à certaines franges de la population ouest africaine de dépasser leurs déceptions, leurs désillusions et leurs frustrations. Un peu comme le fit hier le marxisme.

Le 28/02/2023 à 11h01

L’introduction de cet islam importé en Afrique remonte à l’époque de la guerre froide. Dans le contexte de la lutte que se livraient alors l’Arabie saoudite alliée de l’Occident, et l’Egypte laïciste du colonel Nasser, la dynastie des Saoud chercha à contourner l’Egypte par le sud, en exportant au sud du Sahara son idéologie d’Etat, le wahhabisme. Au mois de mai 1962, à la Mecque, fut ainsi créée la Ligue du monde musulman. Au mois de janvier 1973, se tint à Ryad une Conférence mondiale de la jeunesse musulmane. A cette occasion, fut définie une véritable politique missionnaire avec construction de mosquées et gratuité des écoles coraniques wahhabites.

La progression de cet islam fondamentaliste se fit en trois temps:

1-Elle fut d’abord silencieuse. Agissant dans une semi-clandestinité, les missionnaires wahhabites commencèrent par recruter des noyaux de fidèles au sein des communautés de l’ouest africain.

2-Dans un second temps, disposant de relais, ils utilisèrent leurs pétrodollars pour acheter des complicités dans l’administration, ce qui leur permit de construire mosquées, écoles, centres de santé, hôpitaux et ateliers, qui devinrent les vitrines de l’islam «authentique».

3-Durant la troisième phase, les normes visibles du wahhabisme s’affirmèrent au grand jour: burqa, séparation des sexes, nouveaux rites mortuaires, prière de nuit (tahajjud), toutes pratiques jusque-là inconnues au sud du Sahara. Ayant désormais pignon sur rue, les imams saoudiens, qataris et pakistanais expliquèrent aux populations africaines que leur sous-développement serait dû à ce que leurs dirigeants ont voulu imiter l’Occident. Le chemin du progrès et de la libération passerait donc par le renversement de ces derniers, par le rejet des valeurs impies et par l’adhésion à l’islam authentique.

Le succès de cet islam importé débouche peu à peu sur la fabrication d’une artificielle identité africaine arabophone musulmane qui encourage la revanche des anciens dominés. Au nom d’un islam purifié et égalitaire, ces derniers sont en effet encouragés à combattre leurs anciens maîtres adeptes d’un islam postulé être «corrompu». De plus en plus arabisée, la jeunesse musulmane de la zone sahélo-guinéenne voit ainsi dans cet islam révolutionnaire, le moyen de contester à la fois le pouvoir des anciennes ethnies dominantes (les Peul au Cameroun, les Maures et les Touareg au Mali, etc.), un système religieux confrérique qui les emprisonne, et les oligarchies qui sont au pouvoir depuis les indépendances.

Dans toute l’Afrique de l’Ouest, une opposition existe désormais entre anciens et nouveaux musulmans, entre descendants des conquérants d’hier et de ceux qui, jadis convertis de force, utilisent aujourd’hui le fondamentalisme pour renverser l’ordre établi. Nous sommes en présence d’un processus révolutionnaire dont nous ne percevons encore que les prolégomènes.

Par Bernard Lugan
Le 28/02/2023 à 11h01