Selon la définition qu’en donne le Parlement européen, «les intergroupes sont le lieu d’échanges de vues informels, sur des sujets précis, entre différents groupes politiques ainsi qu’entre les députés et la société civile». Les intergroupes sont transversaux et transpartisans, c’est-à-dire qu’ils dépassent à la fois la thématique de chaque commission parlementaire et l’étiquette des groupes politiques: le but étant que, sur un sujet précis, les députés se retrouvent pour réagir à l’actualité, réfléchir à l’évolution des textes, auditionner des «parties prenantes», ONG, organisations professionnelles… Rejoignent les intergroupes, dans une démarche individuelle et sans mandat impératif, les députés qui souhaitent acquérir ou approfondir une spécialité, souvent en lien avec leur circonscription électorale, parfois éloignée de leurs commissions thématiques (qui, elles, sont obligatoires, et pas toujours choisies).
C’est ainsi qu’au fil des mandatures, ont été créés puis reconduits des intergroupes qu’on peut classer par thèmes, et à titre d’exemple: sur les questions sociales et sociétales, «Lutte contre la pauvreté», «Handicap», «Cancer», «LGTBI»; pour parler d’économie, «PME», «Économie sociale», «Syndicats», d’environnement «Biodiversité, Chasse, Campagne», «Changement climatique, biodiversité et développement durable»; ou encore, pour se retrouver entre élus de territoires singuliers: «Zones rurales, montagneuses et isolées» comme «Mers, rivières, îles et zones côtières».
Ces intergroupes sont évidemment réglementés, car se réunissant à Strasbourg durant les sessions plénières, et permettant d’accueillir, dans les locaux du Parlement, des représentants d’intérêts publics ou privés, en même temps que d’autres, institutionnels, membres de la Commission, décideurs de la présidence en cours de l’UE, de celles à venir… Leur création et leur fonctionnement sont codifiés à la fois par l’article 35 du règlement intérieur du PE et dans un règlement ad hoc, adopté par les présidents de groupes politiques en décembre 1999, inchangé depuis.
Dans cet inventaire à la Prévert (27 intergroupes inscrits dans la dernière mandature), l’intergroupe «Sahara occidental» étonne par son intitulé «extracommunautaire», questionne par sa composition partisane, tandis que l’inventaire de ses travaux confirme la violation, par une poignée de députés (moins de 10% de l’hémicycle), des règles du Parlement européen.
Quant au titre… récent, substitué au non moins engagé «Paix pour le peuple sahraoui» (!), il dit cependant tout de ses soutiens et de ses objectifs; quand pour les Européens, le Sahara occidental est d’abord, d’un point de vue géographique, extraeuropéen, et d’un point de vue politique, une question onusienne!
Au Parlement européen, il existe, dans le cadre des relations de l’UE avec les pays tiers, une structure officielle, la «délégation pour les relations avec les pays du Maghreb et l’Union du Maghreb arabe» qui permet d’aborder l’ensemble des sujets relatifs aux cinq pays du Maghreb et d’accueillir au PE les parties prenantes maghrébines, laquelle délégation inclut trois commissions parlementaires mixtes (CPM), dont une CPM UE-Maroc, qui se retrouve alternativement à Bruxelles et à Rabat, et une CPM UE-Algérie, de création récente, réunie une seule fois à Alger.
Cette délégation interparlementaire est la seule institution officielle, transpartisane, reflétant l’exact équilibre du Parlement européen dans sa composition (bureau, titulaires et suppléants) et transparente: son agenda et l’ensemble de ses travaux sont publiés sur le site du PE. Depuis la révision du règlement intérieur du Parlement, pour contrer les risques d’ingérence de pays tiers, il n’y a plus de confusion possible entre la diplomatie parlementaire et des groupes informels ou groupes d’amitié, puisque l’article 35 bis nouveau précise que «les groupements non officiels liés à des pays tiers pour lesquels il existe une délégation interparlementaire permanente ne bénéficient d’aucune des facilités du Parlement pour leurs activités». Il est d’ailleurs précisé que le lien avec le pays tiers peut découler du nom ou des activités du groupement non officiel. Quid de l’intergroupe Sahara occidental, qui va jusqu’à susciter cette confusion en utilisant le logo du PE, ce que le règlement interdit, sans autre réaction que les injonctions de quelques eurodéputés?
Quant à sa composition partiale, qui tranche avec la diversité de sensibilités politiques réunies dans les autres intergroupes, voire leur équilibre parfait (12 PPE et autant de socialistes dans l’intergroupe Cancer, 21 PPE, 21 S&D et 21 Renew pour la coalition de défense des vins, spiritueux, et produits alimentaires): à gauche toute pour les 59 membres de «Sahara occidental»! (hors 1 député PPE, sur les 177 que compte le plus grand groupe de l’hémicycle). Du bureau de l’intergroupe, sa présidence socialiste et ses deux vice-présidents espagnols, l’un issu des Verts/ALE, l’autre élu Izquerda Unida –rare parti qui porte expressément dans son programme européen le «soutien à l’indépendance du Sahara»-, jusqu’à la surreprésentation du groupe politique «The Left» en son sein. Sur la dernière mandature, 54% des membres de ce groupe de gauche ont adhéré à l’intergroupe, dont ses deux co-présidents, l’un allemand, l’autre française. Fort de sa représentation dans l’intergroupe (1/3 des membres), The Left joue indifféremment des canaux et outils du groupe et de l’intergroupe pour relayer les revendications du Polisario, en plénière, vers la Commission Commerce international, ou jusqu’à présenter la candidature de Sultana Khaya au Prix Sakharov.
Mais c’est bien le bilan de l’intergroupe en tant que tel qu’il convient de juger: communiqués de presse, webinaires, choix des invités, courriers au haut représentant Borrell, tous parfaitement et systématiquement alignés sur l’agenda politique de l’Algérie-Polisario, et une communication à l’unisson, d’El Guerguerat à la Maison Blanche, ici pour condamner la position de Trump sur la marocanité du Sahara… sans jamais ouvrir par ailleurs l’intergroupe à la contradiction, ni même à la nuance. Une partialité qui devrait finalement causer sa perte si l’on considère que «les intergroupes ne peuvent mener des activités susceptibles d’affecter les relations avec les pays tiers» (art. 3 du règlement de 1999) et qu’on reconnaît que le Maroc est de facto la cible permanente d’un groupement d’élus «parrainé» par le Parlement européen… Pour combien de temps?
Au début de chaque législature, les intergroupes sont tenus de renouveler leur demande de constitution aux conditions des règlements déjà évoquées. Les requêtes doivent être présentées par des députés à la signature d’au moins trois groupes politiques. Comment les grands groupes, dont les chefs de file en campagne auront battu les estrades en promettant la fin des ingérences étrangères, pourraient démarrer la mandature en soutenant cet ultime vestige de l’ancien monde?