D’habitude, l’exercice est l’occasion rêvée pour la junte au pouvoir en Algérie de montrer ses muscles et de remuer littéralement ciel et terre à coups de tirs nourris, d’explosions… et de vidéos de propagande dignes de l’époque soviétique. Mardi 9 mai 2023, il n’en fut presque rien. Il y a certes eu de la flagornerie, mais «l’exercice tactique» avec munitions réelles (pompeusement baptisé El-Fasl 2023, soit le jour décisif ou de vérité en arabe) a brillé en premier lieu par sa grande… sobriété.
Exécuté par la 40ème division d’infanterie mécanisée, «appuyée par des unités interarmes de différentes forces», l’exercice a eu lieu dans la 3ème région militaire, frontalière avec le Maroc, et a été supervisé par, évidemment, Saïd Chengriha, chef d’état-major de la junte. Autant dire que c’était la grand-messe de la démonstration de force à l’algérienne. Secondé par Moustapha Smaili, commandant de la même 3ème région militaire, Chengriha a eu beau s’exciter, sautiller et applaudir chaque «show», le fait est que l’exercice était exceptionnellement calme. Et très peu de munitions ont été utilisées ce jour-là. Une parcimonie inhabituelle pour une junte aux pétants coups de bluff et qui interpelle. L’Algérie serait-elle déjà en train de faire les frais de sa trop grande dépendance à l’armement russe? Compte-t-elle ses munitions alors que le conflit ukrainien est devenu un ogre insatiable autant pour les ogives, obus et missiles russes que ceux des pays de l’OTAN? L’armée algérienne a-t-elle peur de ne plus pouvoir s’approvisionner chez son fournisseur traditionnel?
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Si l’Algérie figure à la troisième place des clients de la Russie en matière d’armement, avec un récent contrat de plus de 7 milliards de dollars à la clef, elle subit directement les effets de la guerre en Ukraine. Les stocks d’armes et de munitions de la Russie sont mises à rude épreuve par un conflit à haute intensité. De plus, elles ont été sévèrement entamées par des attaques ciblées ukrainiennes. Des vidéos et des images satellites analysées en novembre 2022 (déjà) par le quotidien français Le Monde montraient que les dépôts de munitions russes ont été massivement pris pour cible par Kiev. On y voit notamment des soldats russes détaler sous le feu des bombardements. Autour d’eux, des dizaines de caisses remplies de munitions et d’obus explosent les unes à la suite des autres, dans une réaction en chaîne qui pulvérisera les bâtiments et les véhicules environnants.
Dans certaines grandes bases à ciel ouvert en Russie, les stocks sont en baisse rapide. La situation ne fait que s’aggraver même si la Russie est un grand pays, disposant de ressources considérables et d’une industrie résiliente.
Mardi 9 mai dernier, le patron du groupe paramilitaire Wagner et homme d’affaires Evgueni Prigojine s’est indigné de l’incapacité de l’État à fournir suffisamment de munitions à son groupe. Selon lui, Wagner n’aurait, jusqu’à présent, reçu que «10%» du matériel réclamé. «Ce matin, le chef d’état-major général a personnellement corrigé tous les chiffres et les a réduits de 10 fois. C’est dommage. Si cela continue, nous ne pourrons pas poursuivre les combats», s’est-il exclamé.
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«Le manque de munitions s’inscrit dans la suite de nombreux dysfonctionnements dont souffre l’armement russe. La guerre en Ukraine en apporte plus d’une illustration. À la vétusté de certains équipements, techniquement et technologiquement dépassés, s’ajoutent les pannes en série de certains appareils. Dernier exemple en date: les avions Mig. Les pièces de rechange sont également un sérieux problème. Pays où l’armement est un outil de puissance, la Russie en arrive actuellement à devoir acheter des drones auprès de l’Iran», explique Mohamed Chiker, politologue et expert en affaires militaires.
Pour lui, la Russie est un pays qui mène une guerre aussi intense que large et a donc besoin de tous ses moyens militaires et munitions. «S’il a du mal à en fournir même à Wagner, une milice qui fait partie intégrante de ses troupes, que dire d’un client étranger comme l’Algérie. Au vu de cette réalité, le voisin aurait même dû s’abstenir de mener des exercices équivalent gaspillage pur et dur. Mais quand on sait que la rationalité n’est pas le point fort du régime en place, il faut s’attendre à tout», note le politologue.
N’empêche, l’Algérie cherche désormais à diversifier son portefeuille de fournisseurs d’armes. Et cela explique à plus d’un titre les 23 milliards de dollars réservés par le régime algérien à l’armement au titre de la seule année 2023 (+120% par rapport au budget 2022). Il y a aussi la dernière visite du chef de l’armée algérienne en France. En dehors de la symbolique et des considérations d’apparat, cette visite de Saïd Chengriha, le 23 janvier 2023 à Paris, et le tapis, honteusement tenu caché, que lui a déroulé Emmanuel Macron à l’Élysée servaient d’autres desseins, dont des contrats d’armement. Mais là aussi, basculer d’un armement russe à des armes d’un pays de l’OTAN ne sera pas simple et nécessitera plusieurs années et un programme rationnel de mise à niveau, aux antipodes du mode opératoire des généraux algériens.
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En avril dernier, le chef d’état-major de l’armée algérienne s’est également rendu au Brésil sous couvert d’une participation au Salon de la défense et la sécurité LAAD-2023. Objectif: renforcer la coopération entre les forces armées des deux pays, et donc: achat d’armes. Pour précision, le Brésil est classé au 17ème rang des armées les plus puissantes de la planète. En Amérique, il s’agit de la seconde armée du continent, derrière les États-Unis.
Assez pour permettre à l’Algérie de se défaire de sa dépendance vis-à-vis de l’armement russe? Rien n’est moins sûr. «Lorsqu’un pays est traditionnellement le client d’une source d’approvisionnement donnée en armement, il devient conditionné. L’armement vient avec une technologie spécifique, une formation précise et la possibilité d’une interopérabilité. Il est ainsi difficile de changer de fournisseur du jour au lendemain et on ne peut le faire que progressivement», nous expliquait Mohammed Loulichki, ancien ambassadeur représentant du Maroc à l’ONU, aujourd’hui Senior fellow au Policy Center for the New South (PCNS), spécialiste en diplomatie et résolution des conflits. La Russie restera donc le principal fournisseur de l’Algérie.
En attendant cette improbable diversification de ses sources d’approvisionnement, l’armée algérienne compte ses munitions et appréhende une panne sèche en cas de conflit.