Quelque 22,7 milliards de dollars. C’est le budget prévisionnel établi par la junte algérienne, voué à être inscrit dans le projet de loi de finances de l'exercice 2023, et qui sera dédié à la seule armée. Généralement établi autour de 10 milliards de dollars annuellement, soit plus du septième du Produit intérieur brut algérien (un PIB estimé à 147 milliards de dollars en 2020), ce montant fait ainsi un bond de plus de 120%. Cela fait plus de 15,6% du PIB de l’Algérie consacré à l’armée. Un pourcentage stratosphérique, qui distingue l’Algérie du reste du monde: aucun pays au monde ne consacrant 15% de son PIB au budget de son armée.
Comme décidé par décret par Abdelmadjid Tebboune en septembre dernier, le budget de l’armée (et de la diplomatie) est exclu de tout débat au sein du Parlement algérien, lequel est, au demeurant, acquis à la junte et à son diktat. Cette forte augmentation devra donc passer comme une lettre à la poste. «C’est d’ailleurs la preuve que ce sont les généraux qui fixent les priorités de l’Etat algérien et qui en déterminent non seulement les politiques mais aussi la ventilation du budget», commente à ce propos Mohamed Bouden, politologue, président du centre Atlas d’analyse des indicateurs politiques et institutionnels.
Des sources algériennes tentent de légitimer ce budget record. La visite prévue en Russie du président Tebboune et les contrats d’achats d’armes qui seront conclus pourraient expliquer cette hausse vertigineuse, indique un site algérien, proche des services de renseignements menadefense, qui s’interroge sur le fait de savoir si cette augmentation sera reconduite pour les prochaines années.
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De fait, l’enjeu est ailleurs. Cette hausse du budget de l’armée défie toute logique, dans un pays où les habitants manquent de tout, à commencer par les produits de première nécessité (huile, lait, semoule, etc.), qui étaient largement importés.
Pour Mohamed Chiker, professeur universitaire et spécialiste en affaires militaires, le régime algérien entend, avec ce lourd investissement, rattraper son grand retard technologique en matière d’armement. «Jusqu'ici, l’armée algérienne a toujours privilégié l’artillerie lourde russe, qui a prouvé son inefficacité dans le conflit avec l’Ukraine. Le régime [algérien, Ndlr] voit que le Maroc, lui, investit dans du matériel moderne, comme des F-16 ou des drones turcs ou israéliens, dans des partenariats solides, basés sur des transferts de technologie, et dans des équipements de pointe concernant la surveillance et le renseignement militaire. Il [le régime algérien, Ndlr] entend ainsi changer de cap et marcher dans les pas du Royaume», explique-t-il.
Riche de sa manne gazière et pétrolière, et profitant du contexte de la hausse du prix des hydrocarbures à l’échelle mondiale à cause du conflit Russie-Ukraine, la junte dépense sa nouvelle fortune là où elle sait déjà bien le faire: dans l'achat d'armes, au détriment du développement de son économie et de la création de richesses. «Sa visée est également d’entraîner le Maroc dans une épuisante course à l’armement, sachant les moyens financiers limités du [Royaume] qui est dépourvu de ressources naturelles», tente d'expliquer Mohamed Chiker. En 2022, le Maroc, ayant bien d’autres priorités, a cependant dû consacrer 4,8 milliards de dollars à l’armement (c'est l'équivalent de 4% de son PIB). Loin, bien loin, de l’emballement algérien pour un armement pour l’heure quasi-exclusivement russe, aussi budgétivore qu’à l’évidence inefficace.
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Pour Mohamed Bouden, les pontes du régime algérien se retrouvent actuellement minés par le constat qu'ils font des évolutions géopolitiques en cours, pour lesquelles ils n’ont pas trouvé d’autre réponse que le surarmement, essentiellement pour un usage interne, à un moment où le Hirak semble marquer son retour. «La réaction du pouvoir algérien est paradoxale, puisqu’au lieu de répondre aux attentes des citoyens, il préfère mobiliser ses moyens à d’autres fins et plus les dépenses militaires augmentent, plus la précarité du peuple algérien se creuse et plus la colère gronde», explique-t-il.
Il est utile de rappeler que dans une lettre, le 29 septembre 2022, adressée par 27 congressmen au secrétaire d’Etat Antony Blinken, des Républicains et des Démocrates, ont interpellé l’administration de leur pays, et appelé à des sanctions contre le régime algérien, accusé d’être le vassal d’une Russie de plus en plus au ban de la communauté internationale, soulignant le fait que Moscou soit aujourd'hui le plus grand fournisseur d'armes militaires à Alger. Rien que l'année dernière, en effet, l'Algérie a finalisé un achat d'armes avec la Russie, pour un total de plus de 7 milliards de dollars. Ce transfert militaire a fait de l'Algérie le 3ème récipiendaire d'armes russes dans le monde.
Avec un budget de près de 23 milliards de dollars, il fait peu de doute que l’Algérie va une fois encore améliorer son classement sur le podium des meilleurs clients des armes russes.