L’information n’étonnera pas le voyageur européen. La firme chinoise équipe déjà 26 des 27 États membres de l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni, et nombre d’aéroports européens, de Florence à Luton; une analyse des marchés publics de l’UE par Politico sur la période 2014-2019 relevait déjà 58 contrats avec des autorités frontalières et douanières, ministères, services de police et autres organisations gouvernementales européennes.
Mais elle interroge. Non pas sur les succès commerciaux de Nuctech, liés à une politique de prix agressive et efficace.
Mais sur le profil d’une entreprise très proche du pouvoir et du complexe militaire chinois, sur les liens de Nuctech avec l’université Tsinghua, le «MIT chinois» qui, d’après une note de services européens, jouerait un rôle dans le cyberespionnage, sur la gestion des données de millions de voyageurs et de leurs bagages, sur l’extraterritorialité de la loi chinoise sur le renseignement national qui peut faire craindre que des données personnelles de citoyens étrangers, détenues par des entreprises chinoises, soient transmises aux services de renseignement chinois.
En Europe, rares sont les États qui apportent une réponse. Seule la Lituanie a clairement exclu Nuctech des appels d’offres au motif que ses équipements «ne répondaient pas aux intérêts de la sécurité nationale».
Plus récemment, en Belgique, le Conseil d’État a jugé que le Service Public Fédéral des Finances pouvait invoquer les «intérêts essentiels de sécurité» pour exclure Nuctech d’un appel d’offres de scanners mobiles des douanes… mais sans que soit remis en cause par les autorités belges le scan mobile chinois des bagages de Zaventem, l’aéroport des eurocrates!
Collectivement, l’Europe reste impuissante face à l’influence croissante de la Chine sur le continent… incapable, à l’automne 2022, d’empêcher l’installation du rayon X chinois à l’aéroport de Strasbourg, qui accueille chaque mois les valises des parlementaires européens, comme de simplement relayer la prudente mais vaine demande de trois (!) eurodéputés, aux autorités locales, d’une enquête indépendante pour s’assurer que la technologie de Nuctech ne donne lieu à aucun risque d’espionnage.
Il est bien un rapport d’initiative, sans valeur législative, qui a dénoncé en janvier dernier les implications en matière de sécurité et de défense de l’influence de la Chine sur les infrastructures critiques dans l’Union européenne, nommant expressément Huawei, Nuctech et TikTok.
Mais le Parlement européen y répète les rôles qu’il affectionne: l’incantation -le même Parlement votait déjà, en 2019, une résolution non contraignante sur la menace chinoise en matière de sécurité dans les domaines technologiques… et il avoue aujourd’hui que Huawei a participé à plus de 10 projets au titre d’Horizon Europe jusqu’en 2023, recevant ainsi 3,89 millions d’euros de financements européens- et la leçon, invitant la Commission et le Service européen pour l’action extérieure à veiller à ce que les mesures prises pour «renforcer la résilience de l’Union face à l’influence chinoise» soient étendues aux partenaires les plus proches de l’Union, en particulier aux pays de la politique de voisinage.
À noter que dans un hémicycle dénonçant, le 17 janvier 2024, de manière quasi unanime l’ingérence chinoise, la gauche radicale européenne, emmenée par Podemos et Izquierda Unida, se distinguait par son veto au texte, vote orwellien d’allégeance à Big Brother.