Le ton est patelin, comme le qualifie Yves Thréard dans son précieux éditorial publié dans Le Figaro du mercredi 26 février 2025. Prononcée avec quelques maladresses attendrissantes, la phrase du premier ministre français François Bayrou n’en tombe pas moins comme un couperet. Si l’Algérie ne respecte pas ses engagements, notamment en récupérant ses citoyens indésirables en France, Paris s’arrogera le droit de considérer comme caducs tous les accords passés avec le voisin de l’Est. Alger a entre quatre et six semaines pour agir. Plus qu’un délai, c’est un véritable ultimatum que la France impose à un État devenu ingérable. Le compte à rebours a commencé. Top chrono. Faute d’une réaction favorable d’Alger, c’est toute la structure des relations franco-algériennes qui risque de s’effondrer.
La goutte qui a fait déborder le vase est l’affaire d’un ressortissant algérien de 37 ans, accusé d’avoir assassiné une personne et blessé sept autres à l’arme blanche, samedi 22 février, dans la ville de Mulhouse. L’homme, en situation irrégulière en France, faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), à laquelle les autorités algériennes ont opposé une fin de non-recevoir à quatorze reprises. Certains, surtout en Algérie, auraient parié sur une nouvelle guerre des mots. Pari perdu.
«Face aux ressentiments, aux provocations et à la volonté de nuire à la France d’Alger, Paris a enfin décidé de passer à l’action», résume Yves Thréard.
Reset
Le nouveau positionnement français est inédit. Nous assistons à une rupture radicale dans les relations en dents de scie qui ont caractérisé jusque-là les rapports entre Paris et Alger. La confrontation est frontale, avec un calendrier précis et une exigence claire: l’Algérie doit récupérer ses ressortissants frappés d’OQTF. Une première liste des concernés est d’ores et déjà définie.
«Jamais le rapport de force entre la France et l’Algérie n’a été à ce point exacerbé. L’idée d’un ultimatum fixé par la France est une grande nouveauté et traduit un repositionnement de Paris dans sa relation avec Alger. La terminologie est guerrière et renvoie directement à un calendrier impératif imposé à une partie adverse lors d’un affrontement qui, si l’agenda n’est pas respecté, débouchera sur une offensive», explique le politologue Mustapha Sehimi.
En prélude à cet ultimatum, Paris a donné le ton en annonçant des mesures de restriction de circulation et d’accès au territoire national pour certains dignitaires algériens. Alger a réagi en oscillant dans un premier temps entre la minimisation des décisions françaises et des menaces de mesures réciproques, strictes et immédiates, aux conséquences incalculables. Mais depuis la déclaration de François Bayrou, elle semble trop groggy pour apporter ne serait-ce qu’un semblant de réponse.
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Pris de court, le régime algérien semble désemparé par le rapport de force publiquement assumé par le gouvernement français. Il faut dire que le régime algérien n’est absolument pas habitué à un rapport de force et encore moins à ultimatum, adressé par l’ancien pays colonisateur qui l’a doté d’un vaste territoire en amputant les pays voisins, dont le Maroc, lui a offert un Sahara qu’il n’a jamais possédé et l’a même baptisé, en 1839, du nom qu’il porte encore aujourd’hui. Le père géniteur semble las de l’interminable ingratitude du fils mal élevé et veut le corriger.
«Désormais, c’est la ligne dure vis-à-vis de l’Algérie qui prime. Elle est portée par les faucons d’une droite totalement décomplexée par rapport au passé, alors que l’Algérie ne dispose que de ce même passé comme atout. Plus de 63 ans après l’indépendance, la France d’aujourd’hui est dirigée par une nouvelle génération politique qui ne se sent nullement responsable du temps révolu de la colonisation. Cette classe politique refuse l’humiliation et est traversée par un élément émotionnel important: l’embastillement par la junte de l’écrivain Boualem Sansal», explique encore Mustapha Sehimi.
La fin de la martyrologie
À l’arrivée, un nouveau discours français, qui veut s’affranchir du poids du passé. La dette mémorielle est effacée. La martyrologie, véritable doctrine politique algérienne, est désormais caduque. On imagine donc aisément la stupeur du voisin. L’Algérie se retrouve déshabillée de son seul et unique bouclier, et elle n’a pas l’habitude d’être à ce point vulnérable.
Que fera le régime d’Alger, mis dos au mur? Trois options s’offrent à lui, explique ce fin connaisseur du dossier. La première consiste à se soumettre discrètement aux exigences de la France, comme il l’a fait avec l’Espagne après la crise née suite à l’appui de Madrid à la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Sans rien obtenir, on bat en retraite en catimini, à la faveur de la nuit, et on distille aux médias inféodés des éléments de normalisation de façon graduelle. La seconde serait de céder publiquement, ce qui représenterait une ultime humiliation pour un régime qui fait de l’hostilité envers la France – et le Maroc – un instrument de pouvoir. Cette réponse à l’ultimatum serait évidemment maquillée par des discours lénifiants au nom de la médiation que ne manqueront pas de proposer les rares voix qui défendent encore le régime d’Alger en France, comme l’ancien premier ministre Dominique de Villepin, et au nom de la persévération des intérêts de la communauté algérienne en France qui pâtirait d’une rupture des relations diplomatiques entre les deux pays.
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Enfin, la troisième option serait de persévérer dans son irrationalité et son hystérie totale. Ce qui va immanquablement exacerber les dissensions entre les différents clans au pouvoir en Algérie et très probablement précipiter la fin du mandat d’Abdelmadjid Tebboune.
Le média Algérie Patriotique, porte-voix du clan des généraux proches du criminel de guerre Khaled Nezzar, prône clairement ce dernier choix. «La réponse de l’Algérie est connue d’avance: c’est non», lit-on. Au demeurant, Algérie Patriotique prétend que l’Algérie aurait déjà pris des mesures radicales en réponse à l’ultimatum français, telles que le retrait des enfants d’officiels algériens des universités françaises, la suppression des soins médicaux en France et l’abrogation de l’accord de 1968. Et plus aucun officiel algérien, en exercice ou à la retraite, ne met désormais les pieds en France. Fort bien. Mais, on s’en doute, c’est du pipeau. La folie prospère.
Une équation fermée
Mustapha Sehimi souligne que rien ne saura raisonner un régime enfermé dans sa propre logique. «L’Algérie est allée trop loin dans sa posture de défi pour reculer. Elle a elle-même créé une équation fermée et sa rigidité ne fera que se renforcer. La haine de la France est devenue un substitut de légitimité politique dont elle ne peut pas se passer», analyse-t-il.
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Avec l’Espagne, Alger a finalement reculé. Mais avec la France? «Le cas de l’Espagne est différent. Avec la France, le facteur X reste le passé colonial, absent dans les relations avec Madrid», explique l’expert.
Pendant ce temps, un véritable processus est enclenché en France. Le Comité interministériel de contrôle de l’immigration, qui a lancé les hostilités contre Alger, a posé les bases d’une série de mesures de rétorsion «à la carte». Parmi ces mesures, et après l’imposition de visas aux dignitaires algériens qui bénéficiaient jusque-là de passeports diplomatiques leur garantissant un accès facile au territoire français, la France prévoit de limiter drastiquement l’octroi de visas à tous les ressortissants algériens. Au bout, l’abrogation des accords de 1968 qui régissent les relations migratoires entre les deux pays. Enfin, nous affirme une source bien informée, la France entend ouvrir des enquêtes visant les biens mal acquis des oligarques et autres hauts dignitaires algériens en France.
«Les listes existent déjà. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour les rendre publiques et déclencher une avalanche de procès», confie notre interlocuteur.
Spectacle en vue.