Après François Bayrou, c’est au tour de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, de s’exprimer dans les colonnes du quotidien Le Figaro, le 1er mars. Le ministre de l’Intérieur est longuement revenu, au cours de cet échange, sur les rapports franco-algériens, lesquels sont en proie depuis plusieurs mois à une crise sans précédent.
Bruno Retailleau, qui a toujours appelé à la fermeté vis-à-vis du régime d’Alger et à la mise en œuvre de mesures tant économiques que diplomatiques, voit aujourd’hui sa ligne adoptée par le gouvernement de son pays et sa position confortée par l’ultimatum de 4 à 6 semaines fixé, par François Bayrou (en accord avec Emmanuel Macron), à l’Algérie pour respecter les accords entre les deux pays.
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Ainsi, face à «l’agressivité (qui) n’a cessé de monter en puissance» côté algérien, la France est enfin déterminée à réagir afin de pousser le pouvoir algérien à faire son choix dans ce que présente Bruno Retailleau comme étant «l’épreuve de vérité». D’un côté, le retour au droit et à une juste réciprocité, de l’autre le non-respect des engagements par Alger et des provocations qui entraîneront une riposte.
Car, questionne à juste titre, le ministre de l’Intérieur: «Pourquoi maintenir les accords qui nous lient, si l’Algérie ne les respecte pas?»
La nomenklatura algérienne dans le viseur des autorités françaises
Preuve que le gouvernement français est bien déterminé à ne plus attendre une énième provocation pour agir, des mesures ont d’ores et déjà été mises en œuvre.
«Nous avons déjà mis en œuvre une riposte à nos frontières, à Roissy notamment, où l’on exige désormais un ordre de mission pour les Algériens présentant un passeport diplomatique à nos postes-frontières», annonce ainsi Bruno Retailleau. D’ailleurs, poursuit-il, «des ressortissants algériens ont ainsi dû être renvoyés dans leur pays».
Parmi ces ressortissants, figure l’épouse de l’ambassadeur d’Algérie au Mali, révèle l’agence de presse algérienne APS, qui ne décolère pas face à ce qu’elle qualifie de «provocation». En effet, dans une dépêche diffusée le 1er mars, APS affirme que «l’épouse du diplomate était (pourtant) en règle, elle a présenté son certificat d’hébergement, un document d’assurance et la carte de crédit de son époux». Une explication paperassière qui prouve à quel point le régime d’Alger est prêt à avaler toutes les couleuvres et à montrer patte blanche rien que pour pouvoir entrer en France qu’il passe, pourtant, son temps à vilipender. Mais il ne faut pas chercher à comprendre avec des éléments rationnels le comportement des caciques d’Alger qui relève d’un trouble psychologique.
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«C’est la provocation de trop de ce ministre de l’Intérieur, conseillé par ses amis intimes», se lamente le porte-voix du pouvoir algérien.
Du côté du ministère de l’Intérieur français, c’est précisément cette colère algérienne qui était escomptée, car on juge cette «riposte graduée» comme étant «la plus efficace», celle-ci ayant justement pour but de cibler «des membres de la nomenklatura algérienne», identifiées par Bruno Retailleau comme ces élites qui «viennent en France», y «possèdent des biens immobiliers, des sociétés», qui y «font étudier leurs enfants» et «viennent s’y faire soigner».
Autant d’avantages que de moyens de pression
En frappant là où ça fait mal, la France rappelle à l’Algérie que son principal moyen de presse s’appuie sur les «avantages exorbitants» dont disposent les Algériens grâce, notamment, à l’accord de 1968 et qui leur permet de jouir d’un droit «beaucoup plus favorable qu’aux autres ressortissants des pays du Maghreb». Or, «plus rien ne justifie ces privilèges aujourd’hui», estime Bruno Retailleau.
En guise de bonne foi, le régime d’Alger est ainsi invité à passer un premier test, en acceptant de délivrer des laissez-passer consulaires pour une liste de dangereux individus, établie par la France en ciblant des profils «connus des autorités algériennes». Mais cette mesure ne sera pas isolée, car pour Bruno Retailleau, «ce travail n’est d’ailleurs qu’une étape». En effet, prévient-il, «il ne faut pas perdre de vue que, si l’éloignement doit concerner en priorité les individus dangereux, le droit commun doit s’appliquer à tous ceux qui sont en situation irrégulière dans notre pays, et ont vocation à être éloignés».
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Et si d’aventure le régime d’Alger s’obstinait à refuser de coopérer et à multiplier les provocations? Les exemples des nombreux avantages dont disposent les Algériens en France constitueraient alors autant de moyens de pression, à commencer par le fait que les Algériens disposent jusqu’à présent du même régime que les pays de l’UE pour la santé, ou encore qu’un Algérien ne peut se voir retirer son titre de séjour en cas d’infraction, contrairement à un Marocain ou un Tunisien.
Au cas où le régime d’Alger ne l’aurait pas encore compris, c’en est fini de la politique de la main tendue appliquée jusqu’à présent par la France, de sa position «de mesure et de responsabilité» ou encore de «sa posture consistant à fermer les yeux sur les actes d’hostilité» qui n’ont été d’aucune utilité, martèle Bruno Retailleau.
Une longue et profonde détérioration
Bruno Retailleau qui appelle de ses vœux la France «à se faire respecter», précise que les difficultés rencontrées avec l’Algérie «ne datent pas d’hier». Ainsi, si l’arrestation arbitraire de l’écrivain et essayiste franco-algérien Boualem Sansal, le 16 novembre dernier, a considérablement envenimé les relations entre les deux pays, le ministre de l’Intérieur rappelle que «dès 2021, lorsqu’Emmanuel Macron avait parlé de rente mémorielle, l’ambassadeur français à Alger avait été rappelé». Une «lente et profonde détérioration» des rapports franco-algériens s’en est suivie, analyse le ministre de l’Intérieur, avec en 2023, l’affaire de l’opposante franco-algérienne Amira Bouraoui, les «entreprises françaises (qui) font l’objet de tracasseries en Algérie; un couplet très anti-Français a été réintégré dans l’hymne national algérien en 2023; et le français à l’école primaire a été éradiqué au profit de l’anglais», liste Bruno Retailleau.
«Depuis plusieurs semaines, je plaide pour que la France assume un rapport de force», déclare-t-il, se réjouissant que cette fermeté ne soit plus seulement la sienne, mais aussi celle du premier ministre et du gouvernement.
En affirmant que des Algériens, présentant un passeport diplomatique, ont d’ores et déjà été interdits d’accéder au territoire français, le ministre français de l’Intérieur montre que la France est déterminée à faire mal à la nomenklatura algérienne. Le plus cocasse, c’est que deux jours auparavant, des responsables et médias algériens affirmaient que les dignitaires et leurs familles allaient boycotter la destination France. Alors, pourquoi pousser des cris hystériques après l’interdiction dont a fait l’objet la femme de l’ambassadeur au Mali?