Maroc 2030, sérieusement? (Partie I)

Rachid Achachi.. LE360

ChroniqueL’année 2030, celle de la tenue de la Coupe du monde de football, nous est présentée comme un horizon qui, une fois atteint, nous permettra d’opérer un saut qualitatif au niveau de notre développement économique et de notre rayonnement à l’international. Malheureusement, des obstacles cachés, telle la poussière sous le tapis, font de ce rendez-vous une rencontre périlleuse.

Le 15/08/2024 à 11h12

Dès lors qu’il s’agit du Maroc, je n’ai pas pour habitude de jouer au rabat-joie ni aux Cassandre. Bien au contraire, j’essaie dans la mesure du possible de mettre en avant les réussites et les exploits durement acquis par notre pays. Mais une médaille a toujours deux faces, dont l’une est un peu plus sombre. Et un patriote est aussi celui qui sait pointer du doigt, de manière constructive, ce qui ne marche pas ou marche mal, en vue d’aider dans le bon sens. Dans le cas contraire, ce n’est pas un patriote, mais un courtisan, un flatteur. Souvenons-nous de La Fontaine qui fit dire au renard: «Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute». Tâchons donc cette fois de n’être ni le renard ni le corbeau.

Ainsi, 2030 nous est présentée comme une date très spéciale, comme un horizon qui, une fois atteint, nous permettra d’opérer un saut qualitatif au niveau de notre développement économique et de notre rayonnement à l’international. C’est l’année de la Coupe du monde de football, et la date-butoir de nombre de stratégies mises en avant (Green generation 2020-2030, Digital Morocco 2030, etc.).

Tout cela est bien beau, mais malheureusement, 2030 est trop proche pour être lointaine, et le temps ne pardonne pas.

Des obstacles cachés, telle la poussière sous le tapis, font de notre rendez-vous avec 2030 une rencontre périlleuse. On en citera quelques-uns qui, s’ils demeurent encore là d’ici 2030, risquent grandement de neutraliser les potentiels acquis de notre pays.

Il ne sera pas question ici de macroéconomie ou de géopolitique, mais du point de vue d’un simple citoyen tentant de braquer les projecteurs sur certains aspects qui empoisonnent le quotidien de millions de Marocains et qui risquent de donner de notre pays l’image d’un pays du tiers-monde.

La mendicité et les gardiens de voitures

Selon le rapport du CESE, il y aurait en 2020 au Maroc pas moins de 200.000 mendiants. Peut-être même davantage. À cela, il faudrait ajouter la mendicité déguisée, celle des mendiants qui vendent des chewing-gums, de roses et nombre de choses dont vous n’avez pas besoin, mais que vous vous sentez obligé d’acheter par sentiment de culpabilité. Si une partie d’entre eux a recours à la mendicité franche ou déguisée en raison d’une pauvreté réelle, il s’agit pour les autres d’un métier, parfois très rentable.

À cela il faudrait ajouter les soi-disant gardiens de voitures, les «bardin lktaf», comme les appelle un célèbre groupe sur Facebook (Boycott moul gilet ضد مول جيلي أصفر), comptant plus de 260.000 membres. De qui s’agit-il? De ces personnes qui s’improvisent maîtres des lieux dans nos boulevards et rues, pour vous soutirer de l’argent en prétendant y avoir loué le droit de stationnement. Rien que ça! Souvent agressifs, ils n’hésitent pas à vous bloquer de manière totalement illégale jusqu’au paiement du tribut. Dans la longue histoire du Maroc, on les appelle «Al Zettata». On croyait cette époque révolue, mais non. Leur nombre? Seul Dieu le sait, peut-être le ministère de l’Intérieur aussi. Dans chaque rue, même la plus étroite, on en trouve au moins un, sinon deux ou trois dans les avenues et boulevards. Ça ne m’étonnerait pas que leur nombre soit supérieur à 300.000 personnes.

Ainsi, allons-nous accueillir le monde entier en 2030 en lui offrant ce spectacle désolant? Et surtout, va-t-on continuer à livrer quotidiennement des millions de Marocains à ces micro-mafias?

L’insécurité

Véritable fléau des grandes villes, mais pas seulement, l’insécurité sous ses différentes formes continue de sévir chez nous. Si les statistiques officielles montrent une baisse du nombre de crimes d’année en année, elles ne peuvent cependant prendre en compte tous les cas où les victimes ne portent pas plainte, pour différentes raisons. La généralisation des caméras de sécurité sur la voie publique sera-t-elle à même de réduire ces méfaits? Peut-être, si elle est combinée à des peines beaucoup plus sévères, à travers une révision du Code pénal, et à la construction de nouvelles prisons. Si ça ne tenait qu’à moi, les agressions armées seraient requalifiées en «actes terroristes» à l’encontre des citoyens. Car, au fond, c’est une forme de terrorisme qui menace quotidiennement la sécurité de chacune et chacun de nous.

Les barrages routiers

Soyons honnêtes: qui d’entre nous n’a pas été confronté cet été, et même durant le reste de l’année, à la multiplication des barrages de police et de gendarmerie qui s’alternent dans certains cas tous les 4 ou 5 kilomètres? Et j’exagère à peine.

Si les forces de l’ordre réalisent un travail salutaire et souvent ingrat pour notre sécurité, il n’en demeure pas moins légitime de nous interroger sur une telle présence sécuritaire le long des routes (nationales et autoroutes) et à l’entrée et à la sortie de chaque ville. Des «mèmes» circulent actuellement sur Internet à ce sujet et des Marocains résidant au Maroc autant que des MRE se plaignent d’une présence aussi dense des forces de l’ordre sur nos routes, qui non seulement ralentissent une circulation déjà très dense, mais amènent des gens à se poser des questions. Des MRE écrivent par exemple qu’ils ont pu traverser l’Espagne du nord au sud sans rencontrer le moindre barrage, alors qu’au Maroc, entre Tanger et Tétouan, ils en ont croisé plus de cinq.

Sommes-nous en guerre sans le savoir? Même entre Rabat et Casablanca, il faut passer 3 ou 4 barrages, essentiellement de gendarmes, à chaque station de péage. Citons l’exemple du péage de Bouznika, qui dispose d’une dizaine de guichets, mais qu’on n’atteint qu’après avoir franchi un goulot d’étranglement en amont, causé par un barrage de gendarmes. Et si vous avez le malheur de ne pas avoir de cash sur vous en cas de contravention (excès de vitesse, visite technique, etc.), votre permis vous sera confisqué et vous devrez perdre la journée du lendemain à aller payer l’amende à la perception de la Trésorerie générale, puis à récupérer votre permis… Pas très bon pour le PIB et la productivité, tout ça. Sachant qu’au lieu de vous confisquer votre permis, une contravention peut simplement vous être envoyée.

De nombreux étrangers de passage au Maroc me posent des questions à ce sujet et, honnêtement, je ne sais quoi leur répondre. Cette situation va-t-elle durer jusqu’en 2030? Personnellement, j’espère que non.

Les taxis: de conducteurs à milice de représailles

Qu’ils soient grands ou petits, les taxis au Maroc n’ont pas bonne presse. Et dans beaucoup de cas, à juste titre. Je ne généralise naturellement pas, mais entre les chauffeurs malhonnêtes qui surfacturent le trajet aux étrangers, ceux qui refusent de prendre 2 ou 3 passagers en prétextant ne pas aller dans telle direction, et ceux qui, même en étant libres, refusent de prendre un client qui veut aller dans un lieu qui ne leur convient pas, il y a de quoi se poser des questions sur la pertinence d’un système aussi archaïque qui limite l’activité de taxi aux détenteurs d’agréments.

Et si vous osez recourir à une compagnie privée de VTC (véhicule de tourisme avec chauffeur), parce qu’aucun taxi n’a voulu vous embarquer, sachez que vous le faites parfois en risquant votre vie, et je n’exagère pas. Je n’aime pas raconter des anecdotes privées, mais cela m’est arrivé à Tanger. Ce jour-là, je devais aller à Tanger Automotive City. Les taxis postés devant la gare demandèrent pas moins de 300 DH pour m’y emmener. N’étant pas né de la dernière pluie, je voyais bien que le tarif était pour le moins frauduleux. J’ai donc commandé un VTC et l’application m’a affiché un tarif de 75 DH pour le même trajet. Ayant saisi la situation, des chauffeurs de taxi nous ont pris en chasse, le conducteur du VTC et moi. Au risque de provoquer un très grave accident, en manoeuvrant de manière à forcer le conducteur à quitter sa voie et à rouler dans le sens inverse de la route, où circulaient des voitures et des camions.

Qu’en sera-t-il quand un supporter allemand, argentin ou japonais décidera d’appeler un VTC lors de la Coupe du monde? Va-t-il être percuté par des chauffeurs de taxi qui s’érigent en milices défiant l’État de droit? Ou bien va-t-on enfin décider de légaliser une pratique désormais banale dans le reste du monde réellement développé? C’est aux décideurs de choisir.

Croyez-moi, la liste est encore longue et j’en ai gros sur le cœur, mais je m’arrêterais là pour cette chronique, en espérant être de meilleure humeur pour la prochaine.

Par Rachid Achachi
Le 15/08/2024 à 11h12