La volte-face, une fois de plus, a eu lieu à l’occasion de l’entretien accordé par le président algérien au quotidien L’Opinion, publié le 2 février dernier. Alors qu’il déversait jusqu’ici sur Israël, qu’il nommait «entité sioniste», la haine d’un régime ouvertement antisémite, Abdelmadjid Tebboune a changé de fusil d’épaule pour désormais évoquer ouvertement la normalisation – un mot qui sentait le souffre jusque-là. «L’Algérie est prête à normaliser ses relations avec Israël le jour même où un État palestinien sera créé», a déclaré le chef d’État désigné. «Mes prédécesseurs, les présidents Chadli et Bouteflika, que Dieu ait leurs âmes, avaient déjà expliqué qu’ils n’avaient aucun problème avec Israël», a ajouté, sans sourciller, celui qui jurait par tous les saints que son pays ne reconnaitrait jamais «l’entité» et qui parlait à peine six mois plus tôt d’envoyer l’armée algérienne libérer Gaza. Une révolution. Le retour à la Maison Blanche de Donald Trump semble (déjà) faire son effet et face aux États-Unis, le régime d’Alger n’ose guère moufter.
Du côté des autorités israéliennes, on a décidément mieux à faire que de commenter les verbiages d’un président qui change de position comme on changerait de chemise et dont la parole compte pour du beurre. Pour saisir le peu de cas fait de cette sortie pour le moins stupéfiante, et qui suscite l’ire générale en interne, il faut lire l’éclairage d’Edy Cohen, célèbre journaliste et académicien israélien, expert du monde arabe, mais aussi et surtout porte-voix officieux de Tel-Aviv, avec plus de 843.000 followers sur X.
«Non à la normalisation du pays des généraux. Oui à la République kabyle», écrit sur la même plateforme le fin connaisseur des rouages du pouvoir en Israël.
Il ne se prive pas non plus de tourner en ridicule la nouvelle posture de l’Algérie et son «léchage de bottes» intensif.
Plus édifiant, Edy Cohen fait sien un texte d’une rare justesse: «Les récentes déclarations du président algérien sur une éventuelle normalisation avec l’État d’Israël révèlent une étroitesse de vision stratégique et une incapacité structurelle à percevoir les profondes transformations du paysage géopolitique régional et international», lit-on.
Promouvoir l’idée qu’Israël pourrait être intéressé par la normalisation de ses relations avec l’Algérie reflète selon la même analyse une aliénation intellectuelle enfermée dans des récits obsolètes et un cloisonnement dans une logique d’État rentier, convaincu que son statut symbolique suffit à lui conférer une importance géopolitique imméritée.
«Si le président algérien croit pouvoir instrumentaliser la question de la normalisation comme un levier de pression ou un atout diplomatique, il se trompe lourdement, car Israël ne reconnait que les intérêts réels et non les surenchères politiques déconnectées de toute réalité», peut-on lire.
«Purification ethnique»
Du point de vue d’Israël, l’Algérie ne représente qu’une page sombre de l’Histoire, étant tenue pour responsable d’une des plus grandes opérations d’expulsion massive et de purification ethnique des juifs à l’époque moderne. Entre autres chefs d’accusation, la confiscation de leurs biens, l’éradication de leur présence culturelle et leur exclusion systématique.
Le document rappelle que la présence juive en Algérie n’était pas marginale et qu’elle constituait un élément structurel du tissu social et économique du pays depuis plusieurs siècles, de l’époque romaine à l’Empire ottoman, puis durant la période coloniale française. «Cependant, avec le déclenchement de la guerre d’indépendance et l’essor du nationalisme algérien dans sa version radicale, la communauté juive est devenue victime d’un système d’exclusion ne distinguant pas entre juifs et Français, les considérant tous comme des prolongements du colonialisme». Après l’indépendance, l’État algérien a procédé à une éradication systématique des juifs d’Algérie, en pillant leurs biens, en nationalisant leurs lieux de culte et en démantelant totalement leurs symboles, en violation flagrante des principes juridiques et des normes internationales relatives aux droits des minorités et des peuples autochtones.
Pour se représenter l’intensité de la politique antisémite du régime d’Alger, il suffit de rappeler que la maison d’édition algérienne Frantz Fanon, pourtant forte d’un catalogue de 150 titres en dix ans, a été fermée par le pouvoir algérien le 14 janvier 2025 – à peine deux semaines avant l’appel du pied de Tebboune à Israël. La raison de cette mise à mort: la maison d’édition Frantz Fanon a publié, pour ne pas dire commis, un livre intitulé «L’Algérie juive». L’auteure de ce livre, l’écrivaine franco-algérienne Hédia Bensahli, ainsi que la préfacière et romancière franco-israélienne Valérie Zenatti, ont été vouées aux gémonies par le pouvoir algérien, parce qu’elles ont osé évoquer l’héritage juif de l’Algérie.
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«Compte tenu de ce lourd passif historique, toute discussion sur une éventuelle normalisation entre l’Algérie et Israël ne peut se faire sans une reconnaissance publique de ces crimes et une révision fondamentale de la doctrine politique algérienne, qui repose sur le déni, la falsification et l’instrumentalisation idéologique de la question juive», poursuit le texte diffusé par Edy Cohen. L’État algérien est appelé à présenter des excuses officielles aux juifs d’Algérie, à revoir les législations ayant légitimé la confiscation de leurs biens et à ouvrir de véritables canaux de communication dans le cadre d’une approche de réconciliation sérieuse fondée sur la justice historique, et non sur des manœuvres diplomatiques creuses. On peut toujours essayer.
Un pays isolé, sans poids ni valeur
Du point de vue des intérêts israéliens, l’Algérie n’est pas un acteur influent. La normalisation n’a ainsi aucune valeur. «L’Algérie manque de poids dans le système régional et demeure un État isolé, replié sur lui-même, incapable de produire une politique étrangère rationnelle et équilibrée», écrit-on. De quoi rappeler les arguments ayant nourri le refus par les BRICS de l’intégrer et la désormais célèbre phrase du chef de la diplomatie russe, Serguei Lavrov, qui a défini les critères pour rejoindre les BRICS: «le poids, l’autorité et la position du pays candidat sur la scène internationale». L’Algérie ne cochant aucun de ces critères, elle a été recalée.
L’Algérie, commente Edy Cohen, toujours prisonnière de la mentalité des années 1960, continue de s’enfermer sur elle-même et persiste à rester en marge de l’Histoire, sous l’emprise d’un régime en panne de pensée et de vision, s’appuyant sur un discours figé qui ne trouve même plus d’écho.
Son économie ne se porte guère mieux. Sa fragilité structurelle due à un modèle rentier en déclin, reposant sur les revenus des hydrocarbures sans aucune capacité de diversification ou de développement de secteurs productifs, n’arrange rien. «Sur le plan militaire, le régime algérien est tributaire d’une doctrine sécuritaire dépassée, fondée sur une hostilité mécanique envers Israël sans disposer d’aucune capacité réelle d’influence dans les équilibres régionaux», abonde l’analyse.
Les grandes mutations du système international imposent aux États de redéfinir leurs intérêts, loin des surenchères idéologiques et populistes. Sur cela, en l’occurrence, «le monde n’attend pas l’Algérie». Et «Israël n’a nullement besoin d’établir des relations avec un régime politique dépourvu de légitimité interne et utilisant des slogans creux pour masquer son incapacité à assurer le développement et la stabilité».