Partir en vacances et essayer d’en profiter avec une dotation touristique de 100 dollars par personne et par an: c’est le challenge (insurmontable) que le régime algérien impose aux citoyens de son pays depuis 1997. Avec cette prime en poche, la carte du monde se flétrit à vue d’œil pour celles et ceux qui ne disposent pas des avantages diplomatiques et financiers des caciques d’Alger et de leurs proches à l’étranger. Car en Algérie, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, entre ceux qui disposent d’avoirs financiers en France par exemple – ceux-là mêmes qui se voient menacés par une éventuelle mesure de gel de leurs biens dans l’Hexagone –, les 40% d’Algériens frappés sans même le savoir d’une interdiction de quitter le territoire, et les autres, ceux qui peuvent encore rêver à des vacances, mais à moindre coût, après avoir bravé les affres de l’obtention d’un visa.
Pour remédier à cette situation intenable dans un pays pourtant riche de ses hydrocarbures et qui devrait être le mieux loti au Maghreb, voire du continent africain, Abdelmadjid Tebboune a revêtu sa cape de super 3ammi Tebboune afin d’annoncer une mesure très attendue, l’augmentation de la prime touristique.
Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras
Ainsi donc, en décembre 2024, le locataire d’El Mouradia annonçait-il lui-même lors d’une réunion du Conseil des ministres la revalorisation de l’allocation touristique à… 750 euros pour les adultes et 300 euros pour les mineurs, à compter de janvier 2025. Vue du Maroc et des autres pays nord-africains, la chose prête à sourire. Et pour cause, à titre de comparaison, un Tunisien a droit à l’équivalent de 1.900 dollars par an et par personne pour un voyage touristique, un Égyptien à 10.000 dollars, ex aequo avec un Libyen, tandis qu’un Marocain se voit bénéficier d’une prime touristique allant d’un minimum de 10.000 dollars à un maximum de 30.000 dollars, en fonction de l’impôt sur le revenu payé ou prélevé à la source au cours de l’année précédente.
Autrement dit, un Marocain bénéficie d’une dotation minimale 100 fois supérieure à celle de l’Algérien. Le gap est immense. Mais qu’à cela ne tienne, passer de 100 à 750 dollars est une avancée de taille qu’on attendait depuis 28 ans en Algérie.
Mais depuis cette annonce par Tebboune qui a suscité un immense émoi en Algérie, la mise en œuvre de cette mesure tant attendue est renvoyée aux calendes grecques. Abdelmadjid Tebboune est aux abonnés absents, sans doute très embarrassé par une annonce dont il n’avait pas mesuré les effets sur l’Algérie, l’autre monde sommes-nous tentés de dire, où il existe un double régime de change: l’un factice fixé par la banque d’Algérie et l’autre réel, déterminé par le marché noir. Au taux officiel, 1 euro s’échange contre 150 dinars. Au marché noir, 1 euro vaut 260 dinars. Il y a un gap de 110 dinars algériens pour 1 seul euro entre le taux de change officiel et le taux de change parallèle. Et c’est ce double taux de change qui rend l’annonce tonitruante de Tebboune difficilement réalisable comme nous le verrons plus loin.
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Résultat, Tebboune se cache et laisse ses ministres se jeter depuis le mois de janvier la patate chaude, incapables de mettre en œuvre une mesure complètement irréfléchie car pas anticipée, lancée à la volée par un président passé maître dans l’art de faire des promesses qu’il ne tient pas.
Après l’effet d’annonce, l’effet papillon
Avec l’approche de l’été, la grogne qui monte au sein de l’opinion publique depuis plusieurs mois s’est donc exprimée lors de la séance parlementaire du mercredi 4 juin. Ce jour-là, Abdelkrim Bouzerd, ministre des Finances, a été interpellé par plusieurs députés au sujet de la date d’entrée en vigueur de la mesure présidentielle. Acculé, sans élément de réponse concret à fournir, ledit ministre a donc renvoyé la balle vers la Banque d’Algérie. Cette question relèverait en fait des prérogatives de l’institution financière, car celle-ci dispose d’une autonomie de gestion d’un cadre réglementaire spécifique.
L’argument aurait pu être un tant soit peu crédible si ce même ministre des Finances n’avait pas avancé lui-même au mois de mars, que la mesure était sur le point d’aboutir, que les préparatifs techniques étaient presque finalisés, s’avançant même sur une date de lancement pour les premiers versements, à savoir aux alentours du 15 avril. Il n’y avait d’ailleurs pas lieu d’en douter, à en croire la mise en place de guichets dédiés dans les aéroports, les ports et les postes-frontières. Mais à ce jour, les guichets ne sont que des coquilles vides, car pour l’heure, la formule magique visant à transformer 100 dollars en 750 dollars n’a toujours pas été trouvée.
Un président mégalomane face à une monnaie de singe
Avec la mesure de Tebboune, les Algériens allaient marcher par dizaines de millions vers les postes-frontières avec la Tunisie, les traverser pour tamponner leur passeport et regagner le jour même ou le lendemain leur pays. Ils vont acheter 750 dollars à 99.142 dinars et les revendre au Square d’Alger (nom du haut lieu de change parallèle) à 171.340 dinars. En une journée, ils gagnent 72.198 dinars. Quand on sait que le Salaire national minimum garanti (SNMG) en Algérie est de 20.000 dinars, le tour de passe-passe grâce à la mesure de Tebboune permet de gagner en passant d’un bureau de change au Square l’équivalent de trois mois et demi du salaire minimum. Et c’est le Trésor public qui va supporter le coût de la reconversion des précieuses devises en dinars algériens sur le marché parallèle.
Car il faut savoir que le dinar algérien est une monnaie qui ne se change pas. En France par exemple, où l’on dit que vivent plus de quatre millions de personnes d’origine algérienne, aucun bureau de change n’accepte les dinars algériens, à l’opposé du dirham marocain et même du dinar tunisien. En Algérie même, dès les aéroports, le dinar n’est pas accepté dans les commerces.
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Tebboune qui parle de «force de frappe», de «puissance continentale» et d’autres balivernes, devrait savoir que l’un des premiers outils de la projection de la puissance, à savoir la monnaie, fait cruellement défaut à cette «Algérie nouvelle» dont il vante les réalisations factices.
Que Tebboune soit un mégalomane et un fieffé menteur, cela est avéré et documenté. Il suffit de rappeler qu’il a affirmé en lisant un texte devant l’Assemblé générale de l’ONU que l’Algérie allait dessaler 1,3 milliard de mètres cubes d’eau de mer, par jour, pour comprendre que la place du président algérien est plutôt dans un asile psychiatrique qu’à Al Mouradia. Mais le problème avec les 750 dollars, c’est qu’ils ont fait rêver les Algériens, certains faisant déjà des projets à la rentrée pour améliorer la scolarité de leurs enfants grâce au pactole généré par leur reconversion en dinars. L’amertume de leur déception risque de délier les langues qui vont pointer un doigt accusateur sur 3ammi Tebboune qui parle pour ne rien dire.