Algérie: le régime très embarrassé par l’interception en Espagne d’une cargaison de cocaïne à destination d’Oran

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune (droite) et le chef d'Etat-major Saïd Chengriha (gauche).

Les autorités algériennes, d’habitude promptes à claironner que leur pays et sa jeunesse sont «la cible» de mains étrangères qui les noient de drogues, gardent aujourd’hui un silence assourdissant suite à l’interception par la police et la douane espagnoles d’une cargaison de 322 kg de cocaïne venant du Brésil et à destination du port d’Oran.

Le 28/05/2023 à 12h41

Cette affaire n’est pas sans rappeler, de par son mode opératoire, le scandale des 701 kg de cocaïne saisis en mai 2018 au port d’Oran, une affaire dans laquelle est impliqué Khaled Tebboune, fils de l’actuel président algérien, relaxé immédiatement après l’élection de son père.

Quelle est l’identité de l’importateur algérien de la cargaison de maïs brésilien où a été découverte, mardi dernier en Espagne, une quantité de cocaïne avoisinant les trois quintaux et demi? Voilà une question qu’ont évité de poser les deux ou trois médias algériens qui ont brièvement évoqué cette affaire, alors que les médias d’Etat ne lui ont même pas consacré un seul mot. Six jours après l’interception de ces 322 kg de poudre blanche dans le port d’Algésiras en Espagne, cachés dans un bateau de marchandises en route vers le port d’Oran, la réaction des officiels algériens se fait toujours attendre.

Ce silence quasi total prouve que ce nouveau scandale de narcotrafic est très gênant à plus d’un titre pour le pouvoir algérien. D’une part, il tombe au mauvais moment pour le chef d’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha, qui a effectué il y a tout juste quelques jours une visite officielle au Brésil, dont est originaire la drogue en question. L’embarras est encore plus grand pour Abdelmadjid Tebboune, qui fait actuellement les yeux doux aux généraux en vue de briguer un second mandat, et qui risque de voir son projet sabordé par cette nouvelle affaire de trafic de drogue, dans laquelle son fils, Khaled, pourrait bien être impliqué jusqu’au cou.

Et pour cause, la saisie de cette nouvelle cargaison de cocaïne à destination du port d’Oran ressemble à s’y méprendre au «scandale El Bouchi», du nom du magnat de l’immobilier Kamel Chikhi, qui a tenté d’introduire en Algérie plus de 7 quintaux de cocaïne, en mai 2018, dissimulés dans une cargaison de viande rouge importée du Brésil.

«El Bouchi» (littéralement le boucher) et ses complices dans cette affaire, dont le fils de Tebboune et de hauts gradés de l’armée, parmi lesquels on compte l’ex-puissant patron de la police algérienne à l’époque, le général Abdelghani Hamel, des magistrats et des hommes d’affaires, ont été condamnés et emprisonnés. Seul Khaled Tebboune, membre influent de ce gang de narcotrafiquants, a été extrait du pénitencier El Harrach en février 2020, suite à une révision de son procès dans le sillage de l’élection, largement boudée par les Algériens, de son père à la présidence.

Khaled Tebboune est-il derrière cette nouvelle tentative d’introduire une nouvelle cargaison de cocaïne en Algérie? Pourquoi le régime algérien est-il silencieux au sujet de cette scandaleuse affaire? Comment interpréter les similitudes troublantes (pays de départ de la cargaison, dissimulation dans de la nourriture, lieu de destination) entre le scandale El Bouchi et l’actuel scandale que cherche à étouffer la junte? Ce qui est certain c’est que les protagonistes, dont le fils du président algérien, n’ont absolument pas renoncé au trafic de cocaïne après l’affaire El Bouchi. Ce qui est aussi certain, c’est que plusieurs cargaisons sont passées entre début 2020 et avril 2023 sous les radars, avant d’être acheminées depuis l’Algérie vers le juteux marché européen. Il ne fait aucun doute que le cerveau de ce narcotrafic dispose d’une protection au plus haut niveau du système de pouvoir algérien.

Le président algérien sera d’autant plus contrarié, si l’implication de son fils est avérée dans cette affaire de drogue, qu’il a jeté en prison un journaliste, El Kadi Ihsane, coupable d’avoir appelé les hauts gradés de l’armée algérienne, à travers un article de presse, à barrer la route à un second mandat de Tebboune. Il vient également de prolonger jusqu’à 2025, soit une année après la prochaine présidentielle, la peine de prison d’un potentiel challenger qui aurait dû recouvrer sa liberté le 12 juin prochain. Il s’agit du général à la retraite Ali Ghediri, celui-là même qui, via une tribune dans les colonnes du journal Al Watan, avait appelé l’armée en 2018 à empêcher Abdelaziz Bouteflika de briguer un 5e mandat, tout en présentant sa candidature à la présidentielle. Il fut condamné à 5 ans de prison pour «atteinte au moral de l’armée»!

En tout cas, si les généraux veulent se débarrasser d’Abdelmadjid Tebboune, ils pourront lui brandir à la face, en guise de carton rouge, le dossier sulfureux de son fils, qui pourrait également être impliqué dans l’affaire, jamais élucidée, des 490 kg de cocaïne repêchés en juin 2021 au large d’Oran après leur découverte par des pêcheurs.

Par Mohammed Ould Boah
Le 28/05/2023 à 12h41