Au pays du régime militaire par excellence, l’Algérie n’ayant jamais connu d’autre pouvoir que celui des «issabas» successives de généraux et de colonels depuis son indépendance en 1962, c’est bien évidemment l’armée qui continue à accaparer le premier poste budgétaire dans les lois de finances annuelles. Ces deux dernières années, le budget militaire a même connu une explosion sans précédent, passant du simple au double, soit de 9,3 milliards de dollars en 2022 à plus de 18 milliards de dollars en 2023.
Cette hausse vertigineuse a été maintenue par le projet de loi de finances 2024, qui prévoit un budget de la Défense de 21,6 milliards de dollars pour l’année prochaine. Avec le premier budget militaire d’Afrique, ce dont elle se vante sans rougir, l’armée algérienne devient par conséquent le plus lourd fardeau pour l’Etat dans un pays où les citoyens font encore la queue pour se procurer, au prix d’une interminable attente, un sachet de lait, un kilo de semoule, un litre d’huile ou un sceau d’eau potable, alors que les viandes rouges et blanches, et même les œufs, sont devenus un luxe, hors de portée des petites bourses qui forment la très vaste base de la pyramide des revenus en Algérie.
En vue de faire passer la pilule amère de ce budget mirobolant de 21,6 milliards de dollars, au regard des problèmes socio-économiques auxquels est confronté actuellement le pays, les médias du pouvoir ont pris les devants pour avancer des justifications farfelues à cette explosion indécente des dépenses militaires pour la seconde année consécutive.
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Selon le site du groupe médiatique Echorouk, qui confirme que l’armée «reste le premier poste budgétaire de l’Etat» algérien, une grande partie de ces 21,6 milliards de dollars, soit 2.962 milliards de dinars algériens, consacrés au ministère de la Défense nationale au titre de l’année 2024, «va servir à financer les marchés d’acquisition de nouveaux armements et à moderniser l’arsenal de l’armée à travers l’achat de systèmes de défense modernes et de moyens électroniques de plus en plus sophistiqués».
Cette boulimie de l’armée algérienne se justifie, toujours selon Echorouk, par l’intérêt particulier que «les autorités algériennes accordent à la défense du territoire, face à un environnement régional et international marqué actuellement par de vives tensions, ce qui les oblige à prévoir les pires scénarios». En réalité, en plus de chercher à financer une corruption à grande échelle et des pratiques mafieuses bien ancrées, le régime algérien a d’autres visées à travers l’explosion de son budget militaire.
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D’abord, la junte algérienne compte allécher, avec la diplomatie des marchés, les industriels de l’armement dans les pays occidentaux, comme les Etats-Unis, la France, l’Italie et le Royaume-Uni, et ce, en vue de leur servir de lobbys pour infléchir leurs gouvernements respectifs vers une politique favorable à l’Algérie, dont l’image à l’international est loin d’être reluisante.
Ainsi, lors de sa visite en France en janvier dernier, le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chengriha, a promis de signer de gros contrats d’armement avec Paris, alors qu’en filigrane, il cherchait en échange la livraison des opposants algériens exilés en France. Finalement, tout est tombé à l’eau quelques jours plus tard, suite à l’éclatement de l’affaire de la journaliste et opposante franco-algérienne Amira Bouraoui, interdite de quitter le territoire algérien mais qui a été exfiltrée en février dernier par les autorités françaises lors d’une opération où le régime algérien n’a vu que de l’humiliation.
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Mais les pays occidentaux ne sont pas vraiment intéressés par la vente d’armes sophistiquées à l’Algérie, dont ils savent qu’elle maintient toujours son positionnement, hérité de la Guerre froide, dans le giron de Moscou et de l’axe Téhéran-Damas. Dans le contexte actuel, ce qui les intéresse, c’est d’obliger l’Algérie à diversifier ses fournisseurs d’armement afin de ne pas contribuer financièrement à l’effort de guerre russe en Ukraine. L’autre visée du régime algérien est celle d’engager, sur le plan régional, une course effrénée à l’armement avec le Maroc en vue d’obliger ce dernier à investir davantage dans le domaine du marché militaire et se détourner ainsi de la dynamique soutenue de développement de ses infrastructures et de son tissu socio-économique.
Mais est pris à son propre piège qui croyait prendre, puisque c’est finalement l’armée algérienne qui continue à prendre en otage le développement de son pays en le privant de l’essentiel de ses ressources. Un chiffre récent suffit à illustrer ce gâchis. Le 10 octobre dernier, dans la déclaration de politique générale du gouvernement, déclinée devant les parlementaires algériens, le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane a affirmé que l’Algérie a engrangé, de janvier à septembre 2023, des recettes de 38 milliards de dollars tirées de ses exportations d’hydrocarbures. Or, 21,6 milliards de dollars, soit quasiment les deux tiers de cette manne divulguée par le chef du gouvernement, sont tombés dans l’escarcelle des généraux. Il convient de rappeler que les recettes en devises de l’Algérie proviennent quasi exclusivement de la vente des énergies fossiles.