Subir ou construire: quel positionnement du Maroc face aux crises

Adnan Debbarh.

ChroniqueLe monde vit ces dernières années une série de crises inédites (Covid, guerre en Ukraine, édification d’un nouvel ordre mondial) qui demandent des exécutifs des solutions souvent innovantes. Elles offrent, pour leurs meilleurs gestionnaires, des occasions d’exceller dans la construction d’alternatives prometteuses.

Le 26/02/2023 à 10h57

La crise des relations avec la France est une des multiples crises auxquelles le Maroc est confronté actuellement. Ses enjeux sont importants. Économiquement, la France –forte d’une présence ancienne et d’une implication profonde dans le tissu économique (cf. l’ouvrage de feu Aziz Belal, L’investissement au Maroc 1912-1964)– occupe la place de premier investisseur étranger et second partenaire commercial.

Culturellement, elle continue –grâce à une politique culturelle, généreuse et intéressée– à former des dizaines de milliers de cadres marocains qui contribuent, entre autres, à l’aider, naturellement, à maintenir ses positions dans leur pays d’origine. Enfin dans l’action diplomatique, elle a été pendant longtemps un soutien essentiel, toujours intéressé, à notre cause nationale au sein du Conseil de sécurité de l’O.N.U. La présence française au Maroc a su se rendre utile, allant jusqu’à acquérir «un statut de privilégiée». Statut qu’elle ne souhaite pas délaisser, quitte à provoquer une crise diplomatique avec le Maroc, qui lui considère son maintien économiquement contreproductif.

En quoi le maintien de l’ancien statut de la France est contreproductif? Pendant longtemps, le Maroc est demeuré sourd aux protestations de nombre de pays, européens et autres, visant le comportement des entreprises françaises dans notre pays. Considéré par celles-ci comme une «chasse gardée». Cette posture traditionnelle du Maroc, dictée par le souci de ne pas froisser un partenaire «précieux», a découragé un nombre important d’investissements directs étrangers non français à venir s’installer.

Aujourd’hui, le Maroc a décidé de changer de position. Assumant les conséquences d’une éventuelle crise avec son partenaire et s’engageant à traiter l’ensemble des investisseurs sur un pied d’égalité. Si la présence française est toujours considérée comme très utile, elle ne peut prétendre à un quelconque privilège. Cette décision, longuement attendue, n’a pas manqué de susciter un regain d’intérêt pour le Maroc chez plusieurs investisseurs européens. En tête, les investisseurs espagnols –qui ont été pendant longtemps «le porte-étendard» des dénonciateurs et pourfendeurs des «privilèges» accordés aux entreprises françaises– ont ouvert le bal en proposant un nouveau programme d’investissements. Cette nouvelle attractivité va-t-elle suffire à combler l’ensemble de nos besoins en matière d’investissement étranger? Faut-il croire qu’un changement de posture avec une «bonne charte de l’investissement» et une amélioration de l’environnement juridique et fiscal feront que les investissements vont «se ruer» chez nous en quantité, comme semble le suggérer un ex-haut responsable? Notre crainte est que les résultats escomptés risquent de ne pas atteindre le significatif.

N’est-il pas temps –pour valoriser nos avantages concurrentiels dans certains métiers mondiaux, notre «prise d’autonomie» à l’égard de l’investissement français, la nouvelle charte de l’investissement– d’avoir une démarche plus construite, plus globale et volontariste? La création d’un «Haut Comité Stratégique pour l’Investissement» composé des ministres concernés, des dirigeants des grandes entreprises publiques économiques nationales, du Fonds Mohammed VI, des grandes banques et des représentants du secteur privé chargé d’identifier les secteurs cibles à développer et à se donner les moyens de les attirer, serait une première réponse d’envergure. En fait, il s’agit là d’initier la construction d’un système productif significatif. Le Brésil a mené une expérience similaire d’alliance des élites économiques publiques et privées dans la réflexion, la décision et l’action, avec à la clé des résultats très intéressants

Le Maroc n’a pas besoin de quelques milliards de dollars américains d’investissements étrangers, il a besoin de plusieurs dizaines et bien répartis. Car il s’agit d’enrichir et de diversifier notre offre exportable. Notre système productif demeure fragmenté et sans grande cohérence. Ce qui nous empêche d’attirer plusieurs métiers mondiaux. Actuellement, il y a un vaste mouvement de délocalisation de la Chine vers le Vietnam et d’autres pays asiatiques dans les industries chimiques, électroniques, électriques dont nous ne voyons pas la couleur. Les donneurs d’ordre sont des entreprises européennes et américaines. Pas toutes les délocalisations de la Chine retournent en Europe et en Amérique.

Retournons aux propositions de nos amis espagnols. Il est clair que leurs contributions sont intéressantes notamment dans les chemins de fer, l’agroalimentaire et la logistique. Toutefois, si le Maroc souhaite se doter d’un système productif varié, il doit mettre à contribution d’autres pays qui ont une offre industrielle plus large. En Europe, principal partenaire du Maroc, il y en a trois: la France que nous connaissons bien, l’Allemagne et l’Angleterre. Cette dernière a une assise industrielle aussi riche et variée que la France, on l’oublie souvent.

La bonne gestion d’une crise est celle qui débouche sur l’ouverture de nouveaux horizons plus riches. L’Europe a profité de l’interruption des livraisons de gaz russe pour s’engager dans la construction d’un modèle économique décarboné. Le Maroc devrait mettre à profit son différend passager avec la France pour chercher de nouveaux investisseurs afin de construire un système productif plus varié et plus riche.

Par Adnan Debbarh
Le 26/02/2023 à 10h57