Souveraineté intellectuelle: le Maroc à la croisée des chemins

Jamal Belahrach, président-directeur général de DEO Conseil International, conférencier et président de la Maison de la diaspora marocaine.

TribuneDans un contexte de mutation accélérée, et alors que le Maroc se positionne en leader africain, Jamal Belahrach, acteur engagé dans la transformation des organisations et le développement des compétences, soulève une question cruciale: pourquoi les talents locaux sont-ils si souvent éclipsés au profit d’expertises étrangères? Plaidant pour une «souveraineté intellectuelle», il invite à reconnaître et mobiliser les compétences marocaines, afin de renforcer l’indépendance et l’excellence nationale.

Le 06/01/2025 à 09h00

Le Maroc est aujourd’hui un pays en pleine mutation. Des infrastructures de classe mondiale, une transition énergétique ambitieuse et une digitalisation accélérée positionnent le Royaume comme une locomotive économique en Afrique. Pourtant, une question stratégique reste en suspens: pourquoi, à compétences égales, les talents locaux sont-ils si souvent écartés au profit d’expertises étrangères?

Rappelons-nous le discours de Sa Majesté le Roi en octobre 2021 qui nous invitait déjà, post-covid, à développer notre souveraineté dans les domaines sanitaire et industriel, voire numérique:

«… Il faut se préparer pleinement à inaugurer une nouvelle ère industrielle portée vers et par la notion de souveraineté. Notre pays a besoin, pour réussir ce challenge, d’une industrie intégrant de nouvelles activités et de nouveaux savoir-faire et offrant plus d’opportunités d’emploi.»

«… Il faudra également mettre en place et élargir les dispositifs d’accompagnement en faveur du renforcement de l’infrastructure technologique et de la R&D (Recherche et Développement) au sein des entreprises marocaines et de la création d’un écosystème industrie-université-centres de recherche, pour soutenir l’innovation et en faire un moteur de croissance de l’industrie marocaine.»

Cette invitation est plus stratégique que jamais. De fait, la crise pandémique a révélé le retour en force du thème de la souveraineté. Qu’elle soit sanitaire, énergétique, industrielle, alimentaire ou autre, sa préservation est devenue l’enjeu d’une véritable compétition qui suscite des réactions fébriles chez certains.

Ce constat n’est pas anodin. Il reflète une forme de dépendance qui, si elle persiste, risque de freiner notre développement durable. Ce n’est pas une question de protectionnisme, mais de bon sens stratégique. Il est temps d’ajouter à cette invitation royale ce que l’on peut appeler la souveraineté intellectuelle: une vision ambitieuse et inclusive qui consiste à reconnaître, valoriser et mobiliser les talents marocains pour façonner notre avenir.

«Faisons confiance à nos talents. C’est un pari sur l’avenir, un investissement stratégique, mais surtout un acte de foi dans le potentiel immense du Maroc et de ses enfants.»

La souveraineté intellectuelle: une vision d’équilibre et d’excellence

La souveraineté intellectuelle n’est pas un rejet des partenaires étrangers, mais une réinvention de nos relations avec eux. Elle repose sur un principe simple: prioriser les experts locaux lorsque leurs compétences sont équivalentes à celles des acteurs internationaux. Cette démarche répond à trois impératifs majeurs:

- Une compréhension fine des réalités locales: les talents marocains maîtrisent les spécificités économiques, sociales et culturelles du pays, ce qui leur permet de proposer des solutions plus adaptées et durables.

- Une création de richesse et de savoir-faire national: en investissant dans les compétences locales, nous renforçons notre tissu économique, créons des emplois de qualité, et développons une expertise exportable.

-Une indépendance stratégique: dans des secteurs sensibles comme la santé, la technologie, l’énergie, le conseil stratégique, la dépendance à l’égard d’acteurs étrangers est un risque que nous ne pouvons plus nous permettre de prendre.

Déconstruire les idées reçues

Si cette idée peine encore à s’imposer, c’est en grande partie à cause de mythes bien ancrés du fait d’une forme de complexe qui perdure depuis l’indépendance.

- «Les compétences locales ne sont pas suffisantes.» Rien n’est plus faux. Les talents marocains brillent à l’étranger, dans des entreprises et institutions de renom. Pourquoi leur refuser les mêmes opportunités dans leur propre pays?

- «Faire appel à des étrangers garantit la qualité.» Cette perception, souvent héritée de l’époque coloniale, ne tient plus face à la réalité. Les ingénieurs marocains construisent des barrages qui figurent parmi les plus performants au monde. Nos médecins innovent dans les domaines de pointe. Nos entrepreneurs réussissent là où d’autres échouent. Et souvent, ce sont des consultants d’un niveau contestable qui sont envoyés au sein de nos entreprises.

- «Favoriser les locaux, c’est du protectionnisme.» La souveraineté intellectuelle n’est pas une préférence aveugle. Elle repose sur des critères objectifs: compétence, coût, impact local. Elle invite à collaborer avec des partenaires étrangers de manière complémentaire, et non dominante.

Des bénéfices clairs pour tous

Promouvoir la souveraineté intellectuelle, c’est investir dans l’avenir. Pour les entreprises, cela signifie réduire les coûts associés à l’expertise étrangère tout en gagnant en réactivité grâce à des solutions mieux adaptées. Pour l’État, c’est renforcer notre indépendance dans des secteurs critiques et valoriser les investissements réalisés dans l’éducation et la formation.

Mais les bénéfices les plus durables sont pour la société elle-même. Prioriser les talents locaux, c’est envoyer un message fort à nos jeunes générations: réussir au Maroc est non seulement possible, mais valorisé. C’est une manière de retenir nos cerveaux, trop souvent tentés par l’exil, de stimuler une dynamique d’excellence nationale et de mettre en place les conditions nécessaires pour identifier et renforcer nos acteurs de référence, tout en les accompagnant vers des associations stratégiques afin d’atteindre des tailles critiques.

Construire un cadre d’action concret

Pour faire de la souveraineté intellectuelle une réalité, des mesures pragmatiques sont nécessaires:

- La mise en place d’un «label souveraineté intellectuelle»: ce label valoriserait les projets qui impliquent des experts marocains, incitant les entreprises et institutions publiques à faire confiance aux talents locaux.

- La création de partenariats équilibrés: les collaborations internationales devraient inclure des clauses de transfert de compétences pour renforcer les capacités locales.

- La promotion de l’excellence locale: les médias, universités et think tanks ont un rôle clé à jouer pour mettre en lumière les réussites marocaines.

Un appel à la mobilisation

La souveraineté intellectuelle n’est pas une utopie, mais une nécessité. Elle n’est pas une fermeture, mais une ouverture vers un futur où le Maroc peut compter sur ses propres forces, tout en collaborant intelligemment avec le monde.

À iso-compétences, faisons confiance à nos talents. Offrons-leur les moyens de contribuer à la transformation de notre pays. C’est un pari sur l’avenir, un investissement stratégique, mais surtout un acte de foi dans le potentiel immense du Maroc et de ses enfants.

Ce moment est venu. Comme l’a dit feu Sa Majesté Hassan II, «le Maroc n’aura de grandeur que par la grandeur de ses fils.»

Par Jamal Belahrach
Le 06/01/2025 à 09h00