Repenser l’amont, valoriser l’aval: comment le Maroc entend dynamiser sa filière oléagineuse

Lors de la table ronde organisée par Lesieur Cristal, le 22 avril 2025, lors de la 17ème édition du Salon international de l'agriculture au Maroc, à Meknès. (A.Gadrouz/Le360)

Le 24/04/2025 à 13h58

VidéoLoin des cultures intensives gourmandes en ressources, le tournesol et le colza reviennent au cœur de la stratégie agricole marocaine. Portée par l’innovation agronomique, la relance de la filière oléagineuse s’appuie sur des bases solides: science, coopération, et vision long terme. Les détails.

Tournesol et colza, peu consommateurs d’eau, bien adaptés aux zones pluviales, intégrables dans les rotations céréalières, porteurs de valeur ajoutée locale… Ces cultures connaissent aujourd’hui un véritable renouveau. Portée par un contrat-programme ambitieux, soutenue par la recherche et accompagnée par des acteurs industriels engagés, la filière oléagineuse prend un nouvel élan. Et elle pourrait bien devenir, à terme, l’un des piliers de la souveraineté alimentaire du Royaume.

«C’est une filière composée d’un amont – les associations régionales, les agriculteurs – et d’un aval industriel, avec les trituriers. Elle est stratégique: aujourd’hui, nous ne couvrons que 2% de nos besoins. Pratiquement toutes les huiles et tous les tourteaux sont importés. Pourtant, il y a un potentiel immense, et une vraie stratégie de souveraineté alimentaire à mettre en œuvre», résume d’emblée Mohammed El Baraka, président de la Fédération interprofessionnelle des oléagineux (FOLEA), à l’occasion d’une table ronde organisée mardi 22 avril par Lesieur Cristal en marge de la 17ème édition du SIAM.

Avec quelque 30.000 hectares dédiés à ces cultures, principalement dans les régions du Loukkos, du Gharb, de Doukkala et de la Chaouia, où la pluie est suffisante en saison normale, le Maroc dispose de bases solides. Et surtout d’une marge de progression considérable. C’est pourquoi la FOLEA travaille main dans la main avec les agriculteurs, le ministère de l’Agriculture, les directions techniques, les centres de conseil, les instituts de recherche. «C’est une dynamique d’écosystème, où tout le monde est mobilisé. Il y a tout à faire, mais aussi une vraie volonté collective», assure-t-il.

«Nous venons de traverser six années de sécheresse, ce qui a beaucoup affecté la production. Il nous faut aujourd’hui adapter notre filière aux effets du changement climatique», signale le n°1 de la FOLEA. L’ambition est claire: rendre la culture oléagineuse résiliente grâce à l’innovation variétale.

Cultivées principalement en bour, c’est-à-dire en agriculture pluviale, les oléagineuses s’intègrent naturellement dans les rotations céréalières et permettent de diversifier les revenus des agriculteurs. Malgré leur potentiel, la filière ne couvre aujourd’hui qu’une part infime des besoins du pays en huiles végétales et en tourteaux. Cette réalité met en évidence la nécessité d’un investissement scientifique et technique plus poussé pour valoriser ces cultures de manière durable. Et c’est ici que l’expertise de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) prend toute son importance.

L’un des principaux verrous à lever reste alors l’adaptation des variétés actuellement utilisées. Les conditions climatiques changeantes, caractérisées par l’irrégularité des pluies, des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et une pression accrue des maladies, exigent une réponse au niveau génétique. Le développement de variétés résistantes devient ainsi une priorité de recherche. Il ne s’agit pas seulement de maintenir les rendements, mais de garantir une certaine stabilité de production malgré l’instabilité des conditions environnementales, fait observer Abdelghani Nabloussi, coordinateur de l’Unité de recherche amélioration de plantes à l’INRA-CRRA de Meknès.

Les institutions de recherche travaillent actuellement à l’identification et à la sélection de génotypes capables de mieux résister au stress hydrique et thermique. Ce travail se base sur des essais en conditions réelles, dans différentes régions agricoles du pays, notamment celles historiquement propices à la culture des oléagineuses comme le Loukkos, le Gharb, Doukkala ou encore la Chaouia. L’objectif est de disposer de variétés adaptées aux particularités locales de chaque zone, tenant compte de la structure des sols, de la fréquence des pluies et de la température moyenne.

La démarche scientifique adoptée s’inscrit dans une logique de long terme, où l’amélioration variétale va de pair avec la compréhension fine des besoins des producteurs. Elle repose sur une collaboration étroite entre les chercheurs, les techniciens agricoles, les centres de conseil et les agriculteurs eux-mêmes. L’enjeu est non seulement technique, mais aussi économique et social. Il s’agit de créer les conditions pour une filière oléagineuse plus attractive, plus productive et plus résiliente, capable de répondre aux défis environnementaux sans aggraver la pression sur les ressources naturelles, précise le chercheur.

Un marché national structurant et en croissance

Le secteur peut aussi compter sur une demande solide et durable: les huiles végétales occupent une place essentielle dans l’alimentation des Marocains. «L’huile de table est une denrée de base de la consommation quotidienne», rappelle Abdellah Dourou, Directeur du Capital Humain, Santé, Sécurité & RSE de Lesieur Cristal.

La consommation moyenne annuelle par habitant est passée de 5,9 litres en 1971 à 15,4 litres en 2014, pour se stabiliser autour de 12,4 litres en 2022. Les huiles végétales représentent aujourd’hui 9% du bilan nutritionnel national, preuve de leur poids stratégique dans l’équilibre alimentaire des ménages.

Quant aux tourteaux, co-produits de l’extraction des graines oléagineuses, ils jouent un rôle crucial dans l’alimentation animale, notamment en fournissant une source importante de protéines végétales aux provenderies locales. Un approvisionnement local permettrait de réduire les importations de matières premières et de renforcer la sécurité alimentaire globale, en lien avec les filières de viande, de lait et de volaille, poursuit Abdellah Dourou.

Au-delà de cet aspect nutritionnel, les cultures oléagineuses présentent de multiples avantages agronomiques: elles améliorent la structure des sols, favorisent la rotation culturale et accroissent la durabilité des exploitations agricoles. Cultivées en dérobé, après les céréales ou les betteraves, elles permettent aussi aux producteurs de diversifier leurs revenus sans empiéter sur les cultures principales.

Enfin, sur le plan industriel, la filière est tout aussi stratégique. La trituration des graines, maillon central de la chaîne de valeur, reste aujourd’hui sous-exploitée faute de volumes suffisants. «Le taux d’utilisation des capacités tourne autour de 5%, ce qui fragilise l’équilibre économique des unités locales», note Abdellah Dourou. Pour y remédier, un investissement massif est en cours afin de maintenir des outils compétitifs, réduire la dépendance aux tourteaux importés, non protégés par des droits de douane, et accroître la disponibilité de matière première locale pour l’industrie agroalimentaire.

Cette dynamique s’inscrit dans une stratégie globale de développement durable portée par Lesieur Cristal: «Notre raison d’être exprime la manière dont nous souhaitons poursuivre notre développement de façon durable, créer de la valeur pour la filière et renforcer notre contribution à la société

Recherche et innovation: les clés d’une transformation réussie

Comme déjà mentionné par Abdelghani Nabloussi, le succès de cette relance repose en grande partie sur l’innovation scientifique. La convention signée, mardi 22 avril, entre l’INRA et la FOLEA s’inscrit précisément dans cette logique: mise au point de semences locales performantes, résistantes à la sécheresse, à la chaleur, et capables de maintenir des rendements élevés en conditions pluviales.

Cette dynamique est également renforcée par la convention-cadre avec Asnaf, qui prévoit la création de centres techniques dédiés à la recherche agronomique. Le but? Développer une production 100% locale, de la graine à la bouteille, en passant par les agriculteurs. «Nous voulons créer une filière marocaine, avec nos variétés, nos agriculteurs, notre huile», souligne un représentant d’Asnaf. Une ambition clairement orientée vers la souveraineté.

Un contrat-programme ambitieux pour structurer l’avenir

L’année 2023 a marqué une étape clé avec le lancement du contrat-programme national pour les oléagineux. Élaboré en concertation entre l’État, les institutions de recherche et les professionnels du secteur, ce cadre prévoit une série d’actions concrètes et mesurables: extension des surfaces cultivées, amélioration des rendements, soutien aux investissements industriels, renforcement des filières de commercialisation.

«Le contrat-programme permet de créer une cohérence d’action entre tous les acteurs», explique Guénaël Le Guilloux (Terres Univia, Agropol). Il sert de fil conducteur pour structurer une filière qui repose sur une complémentarité entre développement rural, performance industrielle et transition écologique.

L’un des grands apports de ce contrat-programme est qu’il fixe des objectifs clairs et mesurables sur plusieurs années. Il prévoit notamment l’extension des superficies cultivées en tournesol et en colza, l’amélioration des rendements grâce à l’introduction de variétés mieux adaptées aux conditions climatiques, ainsi que la sécurisation des débouchés à travers une meilleure intégration entre l’amont (agriculteurs, semenciers, coopératives) et l’aval (unités de trituration, industries agroalimentaires), rappelle-t-il.

Une industrie qui s’adapte, une agriculture qui progresse

Côté industriel, des efforts importants sont en cours pour renforcer la transformation locale. Les unités de trituration, encore peu sollicitées faute de production suffisante, se modernisent pour être prêtes à absorber une montée en puissance. Cette dynamique est porteuse d’emplois, de création de valeur et de relocalisation productive.

Lesieur Cristal, acteur majeur du secteur, accompagne cette mutation à travers une approche RSE exemplaire. «Notre engagement, servir la terre, se traduit par des actions concrètes sur le terrain», tient à signaler Laurent Laskri, directeur de l’amont agricole. Réduction de l’usage des produits phytosanitaires, irrigation déficitaire pilotée par capteurs, transition énergétique vers le solaire… Autant de leviers activés pour conjuguer performance économique et durabilité.

Par Hajar Kharroubi et Adil Gadrouz
Le 24/04/2025 à 13h58