Le phénomène des entreprises inactives est d’une grande ampleur au Maroc. C’est ce que relève le rapport intitulé «Libérer le potentiel du secteur privé marocain: une analyse de la dynamique des entreprises et de la productivité», publié conjointement par la Banque mondiale (BM) et l’Observatoire marocain de la TPME (OMTPME).
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«La grande différence entre le taux de sortie de jure et de facto au Maroc suggère qu’une grande partie de l’augmentation de la densité des entreprises observée dans le pays est due à une augmentation du taux d’inactivité des entreprises, plutôt qu’à une augmentation de la densité d’entreprises effectivement en activité dans l’économie», affirment les auteurs du rapport, qui recommandent par conséquent la prudence dans l’interprétation de cette densité.
Le rapport relève également que le taux de survie des entreprises diminue considérablement au cours des 5 premières années d’activité, passant de 86% un an après leur création à 72% après trois ans, puis à 53% après cinq ans d’existence.
Le niveau élevé des entreprises inactives suggère, selon le rapport, que les entrepreneurs marocains ne sont pas confrontés à de grandes contraintes administratives pour créer une nouvelle entreprise, mais qu’une fois qu’ils ne peuvent plus la maintenir en activité, ils hésitent à la fermer formellement.
Méconnaissance des procédures administratives
Cela pourrait être dû en partie à des procédures de faillite et de liquidation inefficaces et coûteuses, estime le rapport: «Malgré des progrès significatifs sur le plan juridique, le Maroc manque encore d’un processus fluide pour minimiser les coûts associés à la sortie des entreprises, et certaines de ses réglementations semblent permettre aux entreprises inefficaces de rester présentes dans les marchés».
«L’ampleur du phénomène des «entreprises dormantes» est d’abord liée au contexte difficile qu’a connu l’économie nationale ces dernières années, en raison notamment de la pandémie du Covid-19 et du choc inflationniste», affirme pour sa part Badr Zaher El Azrak, professeur universitaire en droit des affaires, interrogé par Le360.
Selon ce dernier, cette conjoncture a mis en difficulté un grand nombre d’entreprises opérant dans divers secteurs, et certaines n’y ont pas survécu. D’ailleurs, fait-il remarquer, cette période difficile a été marquée par une explosion des défaillances d’entreprises, qui se sont comptées par milliers.
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Une grande partie des entrepreneurs dont les sociétés ont cessé leur activité dans ce contexte particulier n’ont jamais régularisé leur situation fiscale et n’ont pas procédé à leur fermeture juridique. Et ce, pour deux principales raisons, indique notre interlocuteur.
La première est la crainte de s’exposer à des sanctions pécuniaires (amendes et pénalités de retard) infligées par l’administration fiscale, alors que la seconde tient à une méconnaissance de la loi et des procédures administratives. En guise d’illustration de cette ignorance, notre interlocuteur relève que nombre d’entrepreneurs ne connaissent pas l’existence d’une amnistie apportée par la loi de finances 2023 pour résoudre ce problème, et qui reste en vigueur jusqu’au 31 décembre 2024. Résultat, la réponse à cette initiative du gouvernement a été plus que limitée.
Des poursuites qui encombrent le circuit judiciaire
On s’en doute, la prolifération des «entreprises dormantes» n’est pas sans conséquences économiques. «N’étant pas formellement dissoutes, les entreprises concernées sont prises en compte dans les hypothèses de la loi de finances en matière de recettes fiscales. Cela fausse considérablement ces hypothèses, puisqu’il s’agit des milliards de dirhams qui ne seront pas encaissés», souligne Badr Zaher El Azrak, qui précise que plus de 250.000 entreprises marocaines sont inactives ou ne paient que la cotisation minimale.
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Le phénomène de sociétés «en stand by» a également des conséquences sur le plan juridique, ou plus exactement judiciaire. Notre interlocuteur indique ainsi que «les entreprises inactives donnent lieu à un grand nombre de poursuites judiciaires qui surchargent le système de la justice aussi bien au niveau du traitement de ces dossiers que de l’exécution des jugements qui en découlent».
Pour mettre fin à la multiplication des «entreprises dormantes», Badr Zaher El Azrak préconise «un accompagnement juridique et fiscal pour les entrepreneurs concernés et leur sensibilisation au sujet des procédures à suivre pour la dissolution de leurs entreprises quand elles ne sont plus viables». Une mission qui relève d’après lui aussi bien du gouvernement que des acteurs qui représentent les entreprises.