Petit retour en arrière. Début avril dernier, un florilège de prototypes de respirateurs artificiels défile devant les caméras de télévision, mettant en avant le savoir-faire marocain. Des ingénieurs multidisciplinaires, pour la plupart des jeunes, ont fait preuve d’une mobilisation sans précédent, prêts à relever le défi de répondre aux besoins supposés urgents en respirateurs.
Mais de tous ces prototypes exposés dans les médias, un seul a retenu l’attention car réunissant les conditions permettant de produire en grande quantité et très rapidement des respirateurs 100% marocains. Ce projet est le fruit de la mutualisation des efforts d’une quinzaine d’entreprises opérant dans les secteurs de l’ingénierie, de l’aéronautique, de l’automobile et de l’électronique.
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Deux opérateurs constituent le noyau dur du collectif fédéré autour de ce projet. Il s’agit, d’une part, de la Société d'étude et de réalisations mécaniques de précision (SERMP), la filiale marocaine du groupe Le Piston français, spécialisé dans la fabrication de pièces et d'ensembles aéronautiques et, d’autre part, d'Aviarail, une société d’ingénierie électronique et mécanique.
Début juin dernier, Le360 a réalisé un reportage au cœur de la fabrique du respirateur marocain. Lors de notre visite, une première série de respirateurs était déjà prête à la livraison.
La recrudescence des cas de Covid-19 que l'on constate au Maroc depuis quelques semaines laisse craindre une saturation des unités de réanimation et de soins intensifs, accompagnée d’une pénurie d’équipements médicaux, dont des respirateurs ô combien essentiels pour aider les patients souffrant de détresse respiratoire. Sur les réseaux sociaux, l’opinion publique s’interroge sur le sort du respirateur «Made in Morocco».
Sur la base de témoignages recueillis auprès des différentes parties prenantes (public-privé), Le360 a pu reconstituer le fil des événements depuis la présentation du prototype début avril devant le ministre de l’Industrie et du commerce, Moulay Hafid Elalamy.
A notre grande surprise, nous avons découvert que de nombreux blocages, émanant des services du ministère de la Santé, ont retardé la réception du premier lot de 200 respirateurs déjà prêts, et ce, malgré la validation du comité scientifique.
Voici la chronologie des démarches entreprises par les promoteurs du projet.
8 avril 2020: lancement de la phase d’industrialisation de la première version du respirateur artificiel 100% marocain. Les approvisionnements ont été réalisés de sorte à honorer la première commande reçue du ministère de la Santé, portant sur un volume initial de 400 respirateurs. Anticipant la réception de cette première commande, le fabricant a sécurisé l’achat de 100 ballons supplémentaires dans un contexte marqué par une pénurie de composants médicaux et non médicaux.
La propagation du virus semble être lente aux premiers stades de la pandémie au Maroc. La situation est encore contrôlable dans les unités de réanimation et de soins intensifs. L’expert recommandé par le ministère de la Santé, Dr Mamoun Faroudy, a demandé d’ajouter de nouvelles fonctionnalités. «Comme il n’y avait pas d’urgence nécessitant une accélération de la production, nous avons décidé de développer de nouvelles versions pour rendre ces respirateurs technologiquement plus robustes, en intégrant de nouvelles fonctionnalités et paramètres de pointe», a expliqué Badr Jaafar, directeur général de la SERMP, en juin dernier dans une déclaration à Le360.
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13 avril 2020: une délégation de médecins militaires fait une visite à la fabrique du respirateur marocain, installée au cœur de l’usine de la SERMP, située dans l’Aéropôle, la zone industrielle de l’aéroport Mohammed V à Casablanca. Selon un témoin présent sur place, la visite a été concluante.
25 avril 2020: la nouvelle version du respirateur a été testée sur une brebis. Mené par Mamoun Faroudy, en sa qualité d’expert désigné par le ministère de la Santé, le test s’est avéré concluant. Passionné d’ingénierie, Dr Faroudy est chef du service de réanimation chirurgicale au Centre hospitalier universitaire (CHU) Ibn Sina et également professeur d'anesthésie-réanimation.
Entre temps, pour valider le respirateur, le ministère de la Santé a installé un Comité scientifique, composé de 10 réanimateurs représentant 10 CHU du Royaume.
12 mai 2020: présentation concluante au siège de la SERMP du respirateur devant le Comité scientifique, en présence du ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb et du ministre de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy.
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La validation du Comité scientifique devait naturellement permettre au ministère de la Santé de réceptionner les premiers respirateurs. Malgré l’ajout de nouvelles fonctionnalités et la validation du comité des réanimateurs, le collectif fédéré autour de ce projet n’a eu aucun retour.
5 juin 2020: le ministère de la Santé annule une cérémonie initialement prévue pour réceptionner les premiers respirateurs. Contre toute attente, le département de Aït Taleb invite le collectif à suivre la procédure d’enregistrement du respirateur en tant que dispositif médical. «Nous aurions pu lancer cette procédure dès fin avril si le ministère nous avait prévenus», déplore un membre du collectif.
Motivé par l’intérêt manifesté par certains donneurs d’ordre à l’étranger, le collectif a ensuite entamé la procédure de certification «CE médical» pour se tourner vers l’export. Sachant que le marquage «CE médical» fait aussi partie de la procédure d’enregistrement exigée par le ministère de la Santé.
20 juillet 2020: après un mois et demi de tests auprès des deux centres techniques CETIEV et CERIMME, le respirateur marocain a finalement reçu la certification «CE médical».
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28 juillet 2020: le ministère de la Santé trouve encore une fois le moyen d’éterniser la procédure. Cette fois-ci, les équipes de Ait Taleb demandent aux promoteurs du projet d’enregistrer l’entreprise SERMP en tant qu’entreprise médicale avant d’enregistrer le respirateur.
3 août 2020: lancement des démarches pour enregistrer la SERMP auprès des services du ministère.
17 août 2020: le ministère de la Santé impose à la SERMP une nouvelle procédure digitalisée pour obtention d’une autorisation provisoire. L’entreprise a ensuite déposé une nouvelle demande via le canal digital. En contrepartie, le ministère s’est engagé à activer le jour même l’enregistrement de la société SERMP pour accélérer l’enregistrement du respirateur.
22 août 2020: au moment où nous mettions en ligne, la SERMP n’est toujours pas enregistrée, le ministère ayant demandé à l’entreprise d’apporter de nouveaux documents!
A ce jour, le consortium SERMP/Aviarail affirme avoir dépensé 8,1 millions de dirhams. L’entreprise SERMP a, entre-temps, suspendu l’assemblage suite au refus du ministère de réceptionner les premiers respirateurs.
Contacté à plusieurs reprises, le ministère de la Santé n’a pas souhaité réagir sur le sujet.