On en sait plus sur les raisons du retard de livraison des 500 respirateurs ayant fait l’objet d’une annonce début avril alors que l’incertitude battait son plein quant à l’évolution de la situation épidémiologique au Maroc. «Les 500 respirateurs étaient prêts dès le 15 avril. Comme il n’y avait pas d’urgence nécessitant une accélération de la production, nous avons décidé de développer de nouvelles versions pour rendre ces respirateurs technologiquement plus robustes, en intégrant de nouvelles fonctionnalités et paramètres de pointe», explique Badr Jaafar, directeur général de la société d'étude et de réalisations mécaniques de précision (SERMP), filiale du groupe Le Piston français, spécialisé dans la fabrication de pièces et ensembles aéronautiques.
La SERMP, qui a vu son rythme de production baisser à cause du Covid-19, à l’instar des autres firmes aéronautiques, a dû installer une «usine éphémère» à l’intérieur de son unité de Nouaceur pour accueillir l’assemblage de ces respirateurs conçus et montés par des compétences 100% marocaines.
«Nous avons finalisé la version 2.2 (Ndlr: objet de la commande du ministère de la Santé). L’ensemble des plans sont mis à disposition des entreprises marocaines qui souhaitent la reproduire à travers notre supply chain. Mieux encore, nous avons mis en place une nouvelle génération de respirateurs, en rupture avec les versions existantes, qui intègrent de nouvelles technologies développées localement, en l’occurrence une turbine et une multitude de composants innovants», souligne de son côté Said Benahajjou
directeur général de Aviarail, une société d’ingénierie électronique et mécanique.
Soutenues et accompagnées par le ministère de l'Industrie, Aviarail et Sermp constituent le noyau dur du collectif fédéré autour de ce projet, auquel ont pris part une quinzaine d’entreprises opérant dans les secteurs de l’ingénierie, de l’aéronautique, de l’automobile et de l’électronique.
Plusieurs chercheurs et médecins praticiens ont été également associés à ce projet. «Ce respirateur est destiné à la prise en charge des patients en détresse respiratoire aiguë. Qu’elle soit d’origine Covid-19 ou pas, c’est une pathologie mortelle. Le but a été de fabriquer un respirateur fiable, rapidement et en grande quantité. Avec toutefois un obstacle majeur, celui de la rupture qu’a connu l’approvisionnement en composants médicaux et non médicaux», explique Mamoun Faroudy, chef du service de réanimation chirurgicale au CHI Ibn Sina et professeur d'anesthésie-réanimation.
Selon ses développeurs, le respirateur marocain de nouvelle génération assimile plus d’intelligence de monitorage, de suivi et de sécurité (multi-capteurs, alarmes, recueil et traitement des données…), et permet une ventilation mécanique sécurisée. Il intègre une mécanique et une électronique, complètement marocaine, permettant de maîtriser la pression expiratoire, la pression de fin d’expiration positive (PEEP) et notamment d’éviter la réinhalation de CO2. Il permet également de créer une pression de plateau stabilisée et de bloquer, ainsi, l’inspiration tout en maîtrisant l’expiration du patient.
Ce respirateur marocain, testé en conditions réelles et validé par un Comité scientifique de médecins réanimateurs civils et militaires désignés par les départements de la Santé et de l’Industrie, est en phase terminale de qualification CE médical par les laboratoires CERIMME et CETIEV. Il se distingue à plusieurs niveaux: son industrialisation a été réalisée par des équipes marocaines, et ses approvisionnements sécurisés localement pour répondre à une fabrication industrielle à grande échelle. Ce respirateur marocain permet également de garantir des heures de fonctionnement sans rupture, grâce à un niveau d’exigence mécanique et électronique aux standards aéronautiques.
«L’ensemble des industriels ayant participé à la production de ces respirateurs le font sans bénéfice, à prix coûtant, et en offrant l’intégralité des coûts de recherche et développement, gage de contribution à l’effort national de lutte contre le Covid-19», tient-on à préciser du côté dudit collectif, sans toutefois se prononcer sur le prix facturé au ministère de la Santé. «Il est nettement inférieur à celui proposé par les principaux fabricants mondiaux de respirateurs, lequel peut facilement atteindre 430.000 dirhams l’unité», est-il souligné.
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Il convient de préciser que le respirateur 100% marocain n’est pas une invention en soi. Il s'agit d'une adaptation, voire d'une optimisation de moyens humains et matériels 100% marocains pour mettre sur pied un respirateur comparable aux ventilateurs conventionnels. Mais la force de frappe du collectif marocain réside dans sa capacité à produire un respirateur en grandes quantités (au lieu de se contenter d’un prototype).
Autre détail important: le scénario d’une vague épidémiologique aiguë étant exclu pour le moment, le respirateur marocain n’est pas destiné à remplacer les respirateurs existants, mais pourrait au moins servir de roue de secours. «Entre ne rien avoir, avec le risque de perdre un malade, et avoir n’importe quoi, le respirateur marocain est une solution à la fois raisonnable et fiable», explique ce membre du collectif. La certification «CE médical» du respirateur marocain ouvrira la voie à une diversification des débouchés vers les marchés de l’export, notamment en Afrique.
Le développement de ce respirateur, conjugué à la production massive et remarquée des masques de protection, laisse augurer un possible positionnement du Maroc sur le marché mondial des équipements médicaux (lits médicaux, écouvillons, etc.). Des voix s’élèvent déjà pour appeler à la mise en place d’un écosystème industriel dédié, pour lequel l’Etat est invité à mobiliser un dispositif incitatif adéquat. Surtout face aux opportunités qui s’offriront parallèlement au raccourcissement des chaînes d’approvisionnement dans le monde, une tendance induite par la crise du Covid-19 et qui pourrait inciter les firmes européennes à privilégier le sourcing made in Maroc.