Les recettes fiscales ont connu une remarquable montée en puissance ces dix dernières années. Entre 2015 et 2024, elles sont passées de 182,25 milliards de dirhams (MMDH) à environ 299.000 MMDH, soit une hausse de plus de 64%, selon les chiffres du ministère de l’Économie et des Finances. Et encore, ces ressources avaient subi de plein fouet les effets de la pandémie de Covid-19 en 2020, avant de remonter la pente en 2021.
En 2024, ces recettes ont dépassé les prévisions de la loi de finances: à fin novembre, elles ont déjà atteint un taux de réalisation de 98,4%, comme le montrent les dernières données disponibles fournies par la Trésorerie générale du royaume.
Au cours des cinq dernières années, cette accélération des rentrées fiscales a permis au trésor public d’engranger 100 MMDH supplémentaires, avec la contribution des principaux impôts, selon des chiffres dévoilés le 13 janvier 2025 par Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, devant la Chambre des représentants.
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Il s’agit de l’impôt sur les sociétés (IS), dont les recettes ont atteint 70 MMDH en 2024, en hausse de plus de 43% par rapport à 2020, de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), avec 89 MMDH, en augmentation de plus de 59%, et des recettes de l’impôt sur le revenu (IR), qui ont progressé de 49% à 59,6 MMDH.
Le ministre a précisé que ces ressources supplémentaires ont été affectées intégralement au financement des programmes sociaux: 44 MMDH pour le dialogue social, 35 MMDH pour l’aide directe et 19,5 MMDH pour la couverture médicale universelle.
Évolution annuelle des recettes fiscales par type d’impôt (en millions de DH) (Source : ministère de l’Économie et des Finances)
2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | LF2024* | LF2025* | |
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Recettes fiscales | 212.638 | 198.793 | 214.565 | 249.382 | 263.249 | 270.797 | 320.079 |
Impôts directs | 96.514 | 92.651 | 90.790 | 111.656 | 116.814 | 116.942 | 139.268 |
IR | 42.941 | 40.165 | 44.430 | 47.970 | 50.731 | 52.739 | 60.868 |
IS | 48.864 | 48.778 | 44.592 | 60.830 | 62.293 | 59.918 | 73.006 |
Impôts indirects | 91.408 | 83.404 | 96.061 | 105.813 | 109.989 | 118.851 | 137.789 |
TVA | 61.508 | 56.014 | 65.101 | 74.208 | 77.209 | 86.911 | 100.889 |
TIC | 29.900 | 27.390 | 30.960 | 31.605 | 32.780 | 31.940 | 36.901 |
Droits de douane | 9.768 | 9.488 | 11.885 | 13.895 | 16.436 | 15.728 | 21.283 |
Enregistrement et Timbre | 14.948 | 13.250 | 15.829 | 18.018 | 20.010 | 19.276 | 21.739 |
* Prévisions
L’accroissement des recettes fiscales se manifeste également dans l’amélioration du taux de couverture des dépenses ordinaires par ces recettes, qui a connu une tendance positive pour se situer à 89,8% en 2023, contre 85,7% en 2020 et un niveau moyen de 88,3% sur la période 2019-2023.
Cette bonne tenue devrait se poursuivre cette année, puisque la loi de finances 2025 table sur des recettes fiscales dépassant les 320 MMDH, soit 19,5% du PIB.
L’inflation remplit les caisses du Trésor
Pour expliquer ces performances, Fouzi Lekjaa a avancé notamment le facteur de la mise en œuvre de la réforme fiscale. Interrogé par Le360, l’économiste Mohamed Rahj ne partage pas cette analyse. «Tout ce qui a été entrepris dans le cadre de cette réforme est un changement de taux de l’IS, de la TVA et de l’IR. Personnellement, j’expliquerais plutôt cette évolution par la montée de l’inflation depuis la crise sanitaire, qui a dopé les recettes fiscales, notamment celles provenant de la TVA, suite à une hausse généralisée des prix», indique-t-il, faisant remarquer qu’en principe, la baisse de l’IS et de l’IR devrait se traduire par une baisse de recettes qu’elles génèrent.
Le fiscaliste avance un autre facteur explicatif: le renforcement des contrôles fiscaux, dont le nombre a été multiplié par 4 grâce au recours aux nouvelles technologies, ce qui donne lieu à d’importantes recettes supplémentaires, en plus des amendes et des pénalités de retard. De plus, l’instauration du nouveau régime de retenue à la source (RAS) en matière de TVA, à partir du mois de juillet 2024, a également favorisé la hausse des recettes, selon d’autres économistes.
Sinon, souligne Mohamed Rahj, la structure des recettes fiscales n’a connu aucun changement majeur, restant dominée par les impôts indirects qui reposent notamment sur la taxation de la consommation.

Pour les impôts directs, notre interlocuteur note que ce sont toujours les salariés qui assurent l’essentiel des recettes provenant de l’IR, soit environ 76%, alors que pour l’IS, la hausse des recettes est due surtout à quelques grandes sociétés.
Cette structure a certes évolué au fil des ans, mais sa mutation est lente. En effet, relève la Direction des études et des prévisions financières (DEPF) dans son dernier tableau de bord des finances publiques, les impôts directs ont représenté en moyenne 45% du total des recettes fiscales entre 2015 et 2023 contre 43,8% entre 2010 et 2014.
Le département des Finances indique que la réduction du taux de l’IS et les ajustements du barème et des tranches de l’IR ont été conçus dans l’optique de rendre le système fiscal plus efficient et encourager une plus grande participation des contribuables.
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Ces mesures ont entraîné une tendance à la hausse des impôts directs entre 2010 et 2019, avec un taux de croissance moyen de 4,5%. Après deux années de contreperformances (-4% en 2020 et -2% en 2021), ces impôts ont retrouvé leur dynamique pré-crise, affichant une croissance de 4,6% en 2023, après une hausse significative de 23% en 2022.
L’analyse détaillée du profil de la fiscalité directe par type d’impôt fait ressortir une concentration de plus en plus marquée autour de deux principales sources de revenus, à savoir l’IS et l’IR, selon le ministère. Cette tendance s’intensifie au fil des ans: leur contribution moyenne au total des impôts directs s’est élevée à 96,6% entre 2010 et 2023, contre 95,8% durant la décennie 2000 et 80,8% au cours de la décennie 1990.
IS: ces grands contributeurs
Dans le détail, pour l’IR, à partir de 2015 et à l’exception de l’année 2020, les recettes ont connu une amélioration régulière, avec une croissance moyenne annuelle de 4,6%. La part des recettes de l’IR dans le total des recettes fiscales est passée de 18,7% à 20% entre les périodes 2010-2014 et 2015-2023. Par rapport au PIB, ces recettes se sont établies à 3,5% entre 2015 et 2023.
Concernant l’IS, après une progression record de l’ordre de 36,4% en 2022, les recettes ont connu une progression de 2,4% en 2023. Les mesures «significatives» prises par l’administration fiscale pour améliorer le recouvrement de l’impôt et renforcer les dispositifs de contrôle afin de lutter contre l’évasion fiscale ont stimulé la croissance de l’IS au cours des dernières années, souligne le ministère.
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En effet, après avoir connu une croissance négative de -0,4% en moyenne entre 2010 et 2014, le taux de croissance de cet impôt sur la période 2015-2023 s’est établi à 4,6%.
En ce qui concerne la part moyenne de l’IS dans les recettes fiscales globales, elle s’est située à 23,4% au cours de la période 2015-2023. «La résilience de ces recettes peut être attribuée à la performance solide de certains grands contributeurs tels que l’OCP, BAM, IAM, ainsi qu’aux efforts de l’Administration en matière de contrôle et d’incitations fiscales», a noté le département des Finances. Rapportées au PIB, ces recettes ont enregistré une moyenne de 4,1% au cours de la période 2015-2023.
Sources de revenus fiscaux : la TVA au premier plan
Quant aux impôts indirects, leur part des recettes fiscales a connu une légère baisse de 0,7 point pour se situer à 42,5% en moyenne entre 2015-2023 au lieu de 43,2% entre 2010 et 2014. Cette évolution résulte, notamment de l’effort de modernisation de l’administration fiscale en matière de perception fiscale et de renforcement des contrôles, explique la DEPF.
Pour ce qui est de leur taux de croissance, ces recettes ont généralement enregistré des évolutions positives au cours de la dernière décennie, avec une moyenne de 4,7%, à l’exception de l’année 2020 où elles ont reculé de 8,8%. À partir de 2021, ces impôts ont retrouvé leur dynamisme et ont même dépassé leur niveau d’avant crise, franchissant pour la première fois le cap des 100 MMDH en 2022, pour atteindre 110 MMDH en 2023.
La DEPF relève à cet effet que la fiscalité au Maroc repose principalement sur la TVA en raison de son assiette très large, essentiellement la consommation des ménages, devant l’IS et l’IR. Cette situation, explique-t-elle, résulte en partie de la réforme de la TVA lancée en 2005, ainsi que de l’augmentation croissante de la TVA à l’importation.
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La part de la TVA dans les impôts indirects s’est renforcée pour atteindre 68,5% en moyenne entre 2010 et 2023, représentant ainsi 29,3% du total des recettes fiscales. En pourcentage du PIB, les recettes générées par cette taxe se sont élevées à 5,2% sur la même période.
L’analyse de la structure de la TVA montre une prédominance de la TVA à l’importation par rapport à la TVA intérieure. Sur la période de 2015 à 2023, la TVA perçue sur les importations a représenté en moyenne 64,2% du total des recettes de la TVA, enregistrant une croissance annuelle moyenne de 5,6% en lien avec la hausse continue des importations durant cette période.
S’agissant des recettes issues de la Taxe intérieure de consommation (TIC), elles ont été en général en hausse au cours des dernières années, à l’exception de l’année 2020 où elles ont cédé de 8,4%. Tirée principalement par l’augmentation de la consommation des produits énergétiques et des cigarettes, la TIC a enregistré une croissance moyenne de 3,7% entre 2010 et 2023.
La 2ème vie des droits de douane
En outre, l’amélioration de la performance de la fiscalité directe et indirecte a été concomitante à une contraction des droits de douane. À cet effet, la part moyenne des droits de douane s’est située à 5% entre 2015 et 2023 contre 5,6% entre 2010 et 2014.
Au cours de la dernière décennie, l’analyse de l’évolution des droits de douane a révélé des évolutions différenciées, étroitement liées au profil des importations soumises à taxation pendant cette période, note la DEPF.
La mise en œuvre du démantèlement tarifaire, dans le cadre des accords de libre-échange avec les principaux partenaires commerciaux du Maroc, a entraîné une baisse des recettes issues des droits d’importation entre 2010 et 2017. Toutefois, à partir de 2018, une tendance à la hausse a été constatée, menant à un pic de 16,4 milliards de dirhams en 2023.
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De ce fait, sur les 6 dernières années, ces recettes ont affiché une progression moyenne annuelle de 11,4% avec un record enregistré en 2021 de 25,3%. Cette croissance a été stimulée par l’augmentation des importations ainsi que par les mesures introduites par la loi de finances.
Les droits d’enregistrement boostés par la reprise de l’immobilier
Pour ce qui est des recettes des droits d’enregistrement et de timbre, elles ont enregistré un ralentissement de leur rythme de croissance sur la période 2015-2023 à une moyenne annuelle de 2,8%, contre 11,3% sur la période 2010-2014.
Cependant, après une diminution en 2020 due au ralentissement des transactions immobilières, celles-ci ont repris leur trend haussier, avec des taux de progression à deux chiffres sur les 3 dernières années en lien avec la reprise de la demande dans le secteur immobilier et l’augmentation des crédits à l’habitat.
Pour la part des droits d’enregistrement dans les recettes fiscales, elle est passée de 7,4% entre 2010 et 2014 à 7,5% sur la période 2015-2023. En pourcentage du PIB, ces recettes se sont maintenues autour de 1,3% en moyenne entre 2010 et 2023.