Eau: un secteur qui a soif de réalisations

Cette année est marquée par un recul de 60% des ressources hydriques, avec un taux de remplissage des barrages qui tourne autour du tiers de leur capacité.

Cette année est marquée par un recul de 60% des ressources hydriques, avec un taux de remplissage des barrages qui tourne autour du tiers de leur capacité. . DR

Plus alarmante que jamais, la situation hydrique du Royaume interpelle sur le retard accumulé dans l'exécution des stratégies nationales relatives à ce domaine. Aujourd'hui, le gouvernement veut donner un sérieux coup d'accélérateur aux différents projets, tout en parant aux urgences.

Le 05/02/2022 à 09h02

Rationalisation de la consommation d'eau décidée par la Wilaya de Marrakech au cours de la dernière semaine; menaces sur la ville d'Oujda de subir les mêmes restrictions dans les jours à venir; et bien avant cela, coupures fréquentes d'eau potable dans plusieurs communes d'Agadir… Le stress hydrique que vit le Maroc atteint désormais les foyers: les robinets risquent sérieusement de se retrouver à sec.

La prochaine saison estivale inquiète, alors que les précipitations ont cruellement manqué ces derniers mois. Cette année est marquée par un recul de 60% des ressources hydriques avec un taux de remplissage des barrages qui tourne autour du tiers de leur capacité. Néanmoins, cette raréfaction des ressources hydriques était prévisible pour le Royaume depuis belle lurette.

Stratégie qui tombe à l'eau«Cela fait quinze ans que les autorités compétentes évoquent la menace élevée du stress hydrique que devait confronter le Royaume à horizon 2020», rappelle cet ancien responsable du département de l'Eau. C'est que depuis des années, le Royaume est passé de la phase de «carence en eau» à un stade de «rareté» de cette denrée vitale. Cette réalité assénée encore, lors de la dernière sortie médiatique de Nizar Baraka, ministre de l’Equipement et de l’Eau, est évoquée dans plusieurs anciens rapports internationaux.

Il y a déjà quelques années que le Maroc a franchi la barre symbolique des 1.000 mètres cubes d’eau douce par habitant par an, comme cela était prévu une décennie auparavant. Actuellement, on en est à peine à 500 mètres cubes en moyenne et la situation risque de se compliquer davantage. Selon le dernier rapport du World Ressources Institute, le Maroc est classé 22e (sur 164 pays) en termes de menace de stress hydrique. Et le risque est extrêmement élevé à l’horizon 2040 où la demande dépassera les ressources disponibles.

«Les plans pour anticiper une telle situation se sont succédés sans pour autant se concrétiser. La stratégie de 2009, pourtant présentée devant le Souverain, n'a rien apporté de concret», explique cet interlocuteur du département de l’Eau. La Chambre de représentants s'est prêtée à l'exercice d'évaluation de cette vision pour conclure à «l'absence d’une vision concrète sur la gestion du secteur de l’eau». Instabilité du département de tutelle, multiplicité des intervenants, irrégularité des fonds alloués aux projets… Voilà, entre autres, les défaillances et les obstacles énumérés par ce rapport parlementaire.

Dessalement en retardLe retard alarmant dans l'exécution de cette vision avait conduit à de nouvelles directives royales pour le lancement d'un nouveau programme national pour l’approvisionnement en eau potable et l'irrigation 2020-2027. D'un coût global de 115 milliards de dirhams, cette nouvelle feuille de route s'articule autour de cinq axes stratégiques allant de la réutilisation et la valorisation des eaux jusqu'au développement de l'offre en eau.

Mais là encore, force est de constater que les chantiers tournent au ralenti et les retards s'accumulent. Mustafa Baitas, porte-parole du gouvernement, vient lui-même de l'admettre, à l'issue du dernier conseil de gouvernement, que «la station de dessalement de Casablanca devait être à un niveau d'avancement plus important», en faisant référence à la dernière annonce de l'Office nationale de l'Eau potable.

Ce dernier vient à peine de lancer un marché pour l'assistance technique dans l’élaboration des termes de référence du partenariat public-privé devant porter sur l’aménagement et l’exploitation de cette future station. «Il a fallu au préalable achever différentes études pour déterminer le site, le tracé des conduites et d'autres paramètres techniques», justifie une source proche de l’ONEE. Il va donc falloir attendre l'année 2027 avant que cette future unité puisse répondre aux besoins en eau potable de plusieurs villes (dont Casablanca, El Jadida, Berrechid et Settat) avec sa capacité annuelle de 200 millions de mètres cubes par an, extensible à 300 millions.

Même la station qui a tout récemment ouvert ses vannes à Chtouka Aït Baha arrive après plusieurs années d'attente. «Le marché initial pour de cette station avait été remporté, en 2014 déjà, par le consortium mené par l’espagnol Abengoa qui avait même entamé les travaux l’année suivante. Mais en 2017, le projet a été redimensionné et a même changé de site de manière à doubler sa capacité de production afin d'intégrer l’irrigation dans la région de Souss-Massa, en plus de l’eau potable», rappelle la source proche de l’ONEE. D'un coût de 4,4 milliards de dirhams, cette unité permettra de produire à terme 400.000 mètres cubes par jour d'eau dessalée et permettra l'irrigation de 15.000 hectares dans ce périmètre stratégique pour les exportations agricoles.

© Copyright : Youssef El Harrak - Le360

Du nord du Maroc –comme à Saïdia où une station est attendue depuis 2018– jusqu'au centre du pays, où des stations à Moulay Brahim et Assa Zag en sont restés au stade d'annonce d'un prêt espagnol, jusqu'au sud du Royaume où les travaux sont lancés à Dakhla et Laâyoune, plusieurs unités de dessalement de l'eau de mer sont censées sortir de terre durant la prochaine décennie.

Une vingtaine en tout à en croire le ministre Nizar Baraka, qui fait du dessalement de l'eau un projet prioritaire. Le Royaume n'aura en effet d'autre choix que de se tourner vers ses des deux façades maritimes tout en tirant profit des progrès dans le domaine des énergies renouvelables, tant solaires qu'éoliennes, qui devront permettre de dessaler l'eau à moindre coût.

Mais en attendant ces projets à venir, le ministre veut parer au plus urgent. Il vient d'annoncer un plan d'environ 3 milliards de dirhams destinés à compenser le déficit hydrique accusé par certains bassins hydrographiques. A Tensift, Oum Errabia comme à Moulouya, des actions urgentes et structurantes sont prévues de manière à canaliser les besoins en eau potable et exploiter l'ensemble des ressources mobilisables, notamment par l'exploration de nouvelles nappes phréatiques. Petits barrages et lacs collinaires sont également prévues un peu partout sur les affluents des fleuves marocains.

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En tout, 120 barrages collinaires devraient être construits à horizon 2024. Ces retenues jouent certes un rôle crucial dans la lutte contre les inondations, tout en assurant l'approvisionnement en eau du bétail. L'amélioration de l'accès à l'eau pour la population des zones rurales et montagneuses reste également un enjeu de taille: à peine 40% de la population rurale dispose d'un raccordement à l'eau, contre 100% en milieu urbain.

Mais pour tous, l'alimentation en eau potable reste dépendante des capacités de production de l'Office national qui devraient augmenter au fil des années, mais surtout d'une une gestion intégrée de cette ressource vitale. Une exploitation des ressources en eau à moindre coût, plus efficace et plus rationnelle, devient indispensable alors que cette pénurie impose de multiplier les efforts. Que ce soit en termes de construction de barrages, d'exploration de nouveaux gisements d'eau souterraine, de traitement des eaux usées en vue de leur réutilisation, de construction de stations de dessalement de l'eau, ou encore de préservation des nappes phréatique… Tout un programme!

Par Fahd Iraqi
Le 05/02/2022 à 09h02