La «contre-khouta» (expression chère au président Abdelmadjid Tebboune pour dire contre-attaque) de l’Algérie contre les ports marocains, principalement Tanger Med, s’est finalement retournée contre… l’Algérie. Il fallait s’y attendre, et nombre de spécialistes du commerce international maritime avaient déjà alerté sur les risques d’une telle attitude.
C’est le site spécialisé The Maritime Executive qui a pris sur lui de compter les dégâts. Dans une analyse dédiée publiée le 4 février, la publication rappelle que «des analystes ont déjà averti que la décision algérienne aurait un impact négatif sur son économie, car le contournement des ports marocains augmenterait le coût du transport et les délais de livraison». Conséquence: «Cela aurait à terme un impact sur les prix des matières premières clés sur les marchés algériens.»
Et cela n’a pas raté. Malheureusement, déplore The Maritime Executive, cette décision a plongé l’économie algérienne dans une crise caractérisée par des pénuries d’importations en denrées essentielles. Il s’agit notamment des viandes et des céréales, qui viennent déjà à manquer sur les étals algériens. Ceci, alors que le pays est affreusement en manque de lait, d’huile végétale, de sucre... La crise alimentaire n’est pas bien loin.
Techniquement, l’interdiction a conduit de grandes compagnies maritimes telles que Maersk et CMA CGM à introduire des changements dans les services de ligne dans les ports d’Afrique du Nord. Les deux transporteurs ont remplacé Tanger Med comme port de transbordement desservant les ports algériens, optant plutôt pour les ports d’Algésiras et de Valence. Et cela a forcément un prix.
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Sous pression, les autorités algériennes ont beau nié être revenues sur leur décision, elles se sont bel et bien ravisées s’agissant de cette mesure. «Alors que la pression des consommateurs augmente, l’ABEF (Association des banques et établissements financiers algériens, NDLR) a été contrainte de publier une autre directive, moins d’un mois après la précédente, avec de nouvelles instructions pour autoriser désormais les transactions par prélèvement automatique pour les importations de marchandises, notamment de produits frais et de viande», rectifie The Maritime Executive.
«L’ABEF a reçu une lettre du ministère des Transports au sujet des marchandises importées via les ports marocains. Par cette lettre, vous (membres de l’ABEF) êtes priés de réintégrer vos services, et de procéder à la domiciliation de toutes les opérations d’importation de produits, notamment périssables et dont la date d’embarquement à bord des navires est antérieure au 10 janvier 2024», indiquait la lettre en question, datée du 29 janvier.
Ports algériens: le «système» est en panne
Nous sommes trois semaines après la première directive. Le 10 décembre 2023, la même ABEF avait interdit à ses membres de traiter les transactions de marchandises transbordées dans les ports marocains. Avec les conséquences «immédiates et graves» que l’on connait aujourd’hui.
Un malheur n’arrivant pas seul, le «Système» algérien doit également en découdre avec une autre panne… de système. Censé être ingénieux et moderne, le basculement, entamé en janvier dernier, vers un nouveau système électronique des douanes a eu pour résultat d’immenses dysfonctionnements au niveau des plus importants ports du pays (Alger, Oran…), informe pour sa part Africa Intelligence dans sa newsletter de ce mardi 6 février. Jugée obsolète, la plateforme SIGAD (Système informatique de gestion automatisée des douanes) a été remplacée par une autre, ALCES, soit Algerian Customs Electronic System (en anglais s’il vous plaît). Sauf que le nouveau système n’a de nouveau que les bugs à répétition dont il souffre. En face, les agents des douanes algériennes manquent de la compétence nécessaire pour le remettre en marche.
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Bilan: les marchandises de centaines d’importateurs sont bloquées dans les ports algériens. Et toute journée de retard dans le déblocage de la situation et le dédouanement desdites marchandises au-delà du délai légal de 15 jours a un coût: 330 euros/jour. Le tout est fatalement répercuté sur la disponibilité et le prix des produits concernés pour le citoyen algérien. De mieux en mieux donc.
Comble de l’ironie, ce boycott intervient après une année record pour Tanger Med, présenté comme une «plaque tournante massive des conteneurs pour le commerce international» et la principale cible des mesures algériennes, relève The Maritime Executive. En 2023, le complexe portuaire a traité plus de 8,6 millions d’EVP de fret, soit une augmentation de 13% par rapport à 2022. Notons que cette performance équivaut à 95% de la capacité nominale du port, un exploit atteint quatre ans plus tôt que prévu.
En outre, les deux terminaux d’exportation de voitures de Tanger Med ont traité un total de 578.446 voitures en 2023, soit une augmentation de 21% par rapport à 2022. «Le Maroc est en train de devenir rapidement un pôle de fabrication automobile, et le complexe portuaire gère les véhicules fabriqués par les usines Renault de Melloussa et Casablanca et l’usine Stellantis de Kénitra», spécifie la publication américaine. Autant dire que ce ne sont pas les marchandises destinées à l’Algérie qui font sa force.