Ce que la stratégie Stellantis au Maroc (et en Algérie) dit du grand écart industriel entre le Royaume et son voisin

Les usines Stallantis au Maroc et en Algérie. (W.Belfkih/Le360).

Les usines Stallantis au Maroc et en Algérie. (W.Belfkih/Le360).

Mercredi 16 juillet, le géant automobile Stellantis a fait deux annonces qui résument tout: pour le Maroc, ce sera 1,2 milliard d’euros et 3.100 emplois pour doubler la production de l’usine de Kénitra et lancer moteurs hybrides, micromobilité et bornes électriques. Pour Tafraoui, en Algérie, ce sera un kit CKD, 18.000 Fiat très légèrement montées et un rêve d’intégration locale à… 15%. Deux usines, deux méthodes et deux mondes. Quand le Maroc produit, le régime d’Alger déballe… et fanfaronne en se cramponnant à des mirages.

Le 17/07/2025 à 13h07

Hier mercredi 16 juillet, le géant mondial Stellantis a eu la bonne idée de rappeler que le Maroc et l’Algérie partagent une frontière… et un constructeur automobile. Mais la comparaison s’arrête là. Car si les deux annonces sont tombées le même jour, le contenu, lui, roule à deux vitesses. Une autoroute à plusieurs voies pour Kénitra, un sentier caillouteux pour Tafraoui.

À Kénitra, Stellantis a offert au chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, l’occasion de couper un joli ruban pour inaugurer l’extension de l’usine éponyme. Une usine qui n’est pas qu’un hangar à visser des portières: c’est un écosystème tout entier qui produisait déjà 200.000 véhicules par an.

1,2 milliard d’euros, dont 702 millions pour graisser la chaîne de sous-traitants locaux. Un taux d’intégration qui vise 75% d’ici 2030, c’est-à-dire qu’au lieu d’importer des pièces, on les fabrique ici. Résultat? Plus de 3.100 emplois directs créés, des lignes supplémentaires de moteurs MHEV (Mild Hybrid) flambant neufs (350.000 par an!) démarrées en mai dernier, et une capacité de production doublée, l’objectif initial de 200.000 véhicules ayant déjà été atteint fin 2020, trois belles années avant l’échéancier de départ.

Et comme Stellantis ne fait jamais les choses à moitié au Maroc, on multiplie aussi les joujoux électriques: la Citroën Ami, l’Opel Rocks-e, la Fiat Topolino. Tous ces petits engins branchés sortent désormais de Kénitra à 70.000 unités par an, contre 20.000 auparavant. Et pour que tout ce beau monde roule, le site va produire 204.000 bornes de recharge. Assez pour électrifier pas mal de parkings dans un pays qui amorce sa transition vers la voiture électrique.

Tafraoui, le CKD qui se prend pour un hub

Tout cela sous la houlette d’un roi Mohammed VI aux manettes depuis le jour 1. Tout a commencé en juin 2015 à travers la signature, sous la présidence effective du Souverain, du protocole d’accord relatif à l’implantation au Maroc du Groupe PSA, devenu Stellantis, concrétisé en juin 2019, par l’inauguration par le Roi de l’usine de Kénitra.

S’y ajoute la nouvelle Charte de l’investissement voulue par le Roi et qui fait de la «souveraineté industrielle» une priorité absolue. L’automobile en est le moteur. D’ailleurs, ce sera plus d’un million de véhicules par an dès 2030 pour le Maroc, désormais et comme plateforme d’avenir pour les investissements liés à la mobilité durable et aux chaînes d’approvisionnement innovantes. Avec cela de marquant, ce n’est plus de la sous-traitance d’entrée de gamme, mais du haut de gamme localisé.

Pendant ce temps, à Tafraoui, près d’Oran, Stellantis fait son petit effet d’annonce. Là-bas aussi, on parle d’extension d’usine, mais l’enthousiasme est un peu moins électrisant. Car la star du jour n’est autre qu’un site CKD (Completely Knocked Down): comprendre une usine où l’on reçoit des pièces détachées expédiées en kit, qu’on assemble très légèrement puis qu’on repeint. La grande avancée du jour? L’installation des unités de ferrage, pour souder la carrosserie, et de peinture. À 85% d’avancement, le régime d’Alger comme ses relais se réjouissent de pouvoir visser le capot avant la fin de l’année. Inchallah.

En termes de promesse d’intégration locale, on est prié de s’armer de patience: 15% après trois ans (donc pas avant 2028), et 40% vers à peu près 2030. Si tout va bien dans un pays où tout va mal et où aucun écosystème ne permet ne serait-ce que de rêver d’une telle «prouesse». Pendant ce temps, le «Système» claironne qu’il veut faire de Tafraoui un «hub stratégique pour la région MENA». Pour l’instant, le hub se résume à assembler en séries limitées la Fiat 500, le Doblo tollé et vitré et, bientôt, la Grande Panda. Des modèles très grand public «produits» au compte-gouttes. En 2024, la ligne CKD a sorti 18.000 Fiat de ses chaînes. Objectif hypothétique 2025: 60.000 unités. Bref, en trois ans, Stellantis Algérie ambitionne de produire moins de voitures que la seule ligne de micromobilité de Kénitra.

Mild Hybrid contre serrage de boulons (et encore!)

La filiale algérienne jure qu’elle bâtit «une filière automobile durable, compétente et ancrée dans le tissu économique algérien». Pour cela, Stellantis a lancé «un vaste programme de recrutement et de formation». Par «vaste», on entend une petite centaine de techniciens et opérateurs formés pour monter les pièces venues d’ailleurs, sous l’œil attentif de la paperasse CKD. À défaut de moteurs hybrides, de bornes de recharge ou de micromobilité made in Tafraoui, on promet du «transfert de compétences» en serrage de boulons. Pendant que Kénitra peaufine ses Mild Hybrid et ses véhicules électriques, Tafraoui peaufine la peinture des Fiat 500.

Le contraste est brutal. D’un côté, le Maroc coche toutes les cases: montée en gamme, industrialisation, souveraineté technologique, intégration locale élevée, export massif et rayonnement continental. Oui parce que le Maroc produit à hauteur de 90% de son industrie automobile pour le marché international. De l’autre, l’Algérie se félicite d’une usine de montage «hub stratégique» qui assemble pour l’instant quelques milliers de Fiat sur plan en direction du seul marché algérien.

Au Maroc, Stellantis sort chéquier, savoir-faire et technologie pour développer un écosystème qui pèse déjà dans la balance commerciale, en avance sur tous les délais. En Algérie, le géant mondial sort la clé à molette pour serrer des vis en kit tout en promettant une lune qu’on attendra peut-être encore quand la dernière Ami électrique sortira déjà sa troisième génération à Kénitra.

Ce mercredi 16 juillet, tout a été dit. Le Maroc est plus que jamais un acteur industriel de rang mondial, et l’Algérie un petit site d’assemblage sous licence, où l’on rêve encore d’intégrer un parechoc local dans cinq ans. Pour Stellantis, l’avenir, électrique pour beaucoup, roule côté Atlantique. Pour Tafraoui, il faudra déjà finir le ferrage.

Par Tarik Qattab
Le 17/07/2025 à 13h07