Câble sous-marin Xlinks: des ambitions, mais toujours pas de visibilité sur le financement

Un cable sous-marin de type HDVC, fabriqué par la compagnie britannique XLCC.

Un cable sous-marin de type HDVC, fabriqué par la compagnie britannique XLCC. . XLCC / Linkedin

Le projet de la start-up londonienne Xlinks n’en finit pas de susciter des remous, y compris auprès des médias britanniques, qui disent leurs doutes sur l’opportunité de rentabiliser cette connexion électrique reliant le Maroc au Royaume-Uni, nécessitant un investissement de plus de 22 milliards de dollars.

Le 23/08/2022 à 14h00

On en sait désormais un peu plus sur le projet de câble sous-marin devant relier le Maroc au Royaume-Uni, appelé à transporter plus de 10 GW d’électricité verte, produite à partir de l'énergie générée par le vent et le soleil, captés sur un site repéré dans la région de Guelmim. Les dirigeants de la start-up Xlinks multiplient actuellement les sorties médiatiques pour tenter de convaincre du bien-fondé de ce projet, qui ambitionne de fournir 8% des besoins en électricité de la Grande-Bretagne, soit près de 7 millions de foyers, dès 2030.

«Ce projet ne dépend pas d'une percée technologique qui ne se produira peut-être jamais», rapporte, tout de même sibylline, FDI Intelligence, une publication liée au très sérieux quotidien britannique Financial Times, citant à cet égard Richard Hardy, directeur de projet chez Xlinks, pour lequel le projet a déjà franchi plusieurs obstacles.

La firme britannique prévoit de déployer 3,5 GW d'éolien terrestre, 7 GW de solaire, combiné à 20 GW de stockage, utilisant la technologie lithium-ion phosphate. Les études concernant le site de production, s’étalant sur une superficie de 1.500 kilomètres carrés semblent avoir bien avancé.

«C'est incroyablement excitant. C'est un mégaprojet avec un emplacement idéal pour l'éolien et le solaire. Les technologies matures signifient qu'il ne comporte pas beaucoup de risques du côté de l'offre», déclare, enthousiaste, Peter Osbaldstone, directeur de recherche sur l'énergie européenne et les énergies renouvelables auprès de Wood Mackenzie.

Les quatre câbles HVDC (courant continu haute tension) s'étendant entre le Maroc et le Royaume-Uni seraient similaires à ceux utilisés dans le North Sea Viking Link, en cours de construction par National Grid Ventures, explique FDI Intelligence.

«Le National Grid possède et exploite cinq interconnexions et une sixième en cours de construction, Viking Link, qui s'étendra sur 740 km jusqu'au Danemark», détaille la publication connexe au FT, citant à cet égard Phil Sandy, responsable des nouvelles interconnexions chez National Grid Ventures.

S’agissant du projet Xlinks, les câbles, placés en eau peu profonde et s’étendant sur une distance de 3800 km, subiraient des pertes de transmission de 15%. Il s'agit là, selon Richard Hardy, d'un niveau acceptable, compte tenu du faible coût de la captation de l'énergie éolienne et solaire...

Côté financement, le quotidien britannique tempère ces propos, et laisse même entendre que «le succès n’est pas garanti, alors que la phase de développement nécessitait 40 millions de livres sterling et les travaux de construction devront mobiliser 18 milliards de livres sterling».

L'équipe en charge du projet au Maroc a fait des progrès, assure toutefois Richard Hardy. «Les relevés géotechniques, topographiques et archéologiques sont déjà réalisés. Nous avons terminé la majorité des études concernant le site de production», a-t-il expliqué. 

Il faut aussi savoir que la longueur du câble présente un défi pour la chaîne d'approvisionnement... C'est pourquoi Xlinks a créé à cet effet une filiale, XLCC, dédiée au développement de la fabrication de câbles HVDC sous-marins, spécifiquement conçus pour ces projets d'acheminement d'énergie sur une longue distance.

Le prix des contrats sur la différence (CFD), un accord dans lequel l'acheteur s’engage à payer pour le vendeur la différence entre la valeur actuelle d'un actif et sa valeur au moment du contrat, actuellement en cours de discussion avec le gouvernement britannique, est de 48 £/MWh. Alors que l'énergie nucléaire retient actuellement un prix CFD de l’ordre de 89,50 £/MWh. 

«Plusieurs technologies renouvelables se font concurrence à ce niveau, donc ce n'est pas un prix exceptionnel, mais elles n'offrent pas une puissance aussi stable», a expliqué à ce propos Peter Osbaldstone, qui a précisé que si l'énergie d'origine nucléaire était tout aussi stable, le coût de ses matières premières était, lui, beaucoup plus élevé.

«Ce qui compte, c'est combien les consommateurs paient et généralement le coût des produits représente moins de la moitié», se défend quant à lui Richard Hardy, affirmant que la situation changeait, si les coûts d’équilibrage et autres prélèvements, qui varient d’une technologie à une autre, étaient rajoutés.

Avec le projet Xlinks à Guelmim, le développement des énergies renouvelables au Royaume-Uni, qui s’est concentré jusqu’ici sur l'éolien domestique terrestre et offshore, bénéficierait donc d'une diversification géographique: «cela dépend en grande partie de la manière dont les profils de production solaire et éolienne sont liés. La très grande installation de stockage stabilise davantage le profil de production… Notre facteur de capacité moyen sera de 80 à 85 %, ce qui est incroyablement fiable», explique à ce propos Richard Hardy, qui fait ici référence à l'ensemble du projet, insistant à cet égard sur le fait que le «facteur de capacité pour le vent seul» serait d'«environ 54%».

Le marché marocain ne sera probablement pas en mesure d'égaler le prix de prélèvement britannique de 48 £/MWh. Cependant, Peter Osbaldstone a expliqué qu'il y avait «une énorme demande européenne le long de la route du câble», qui devrait traverser les territoires du Portugal, de l'Espagne et de la France.

Cependant, indique FDI Intelligence, alors qu'une connexion plus courte, mais dont les câbles seraient placés au fond de l'océan, réduirait les coûts, les avantages de la diversification disponibles pour les marchés méditerranéens, légèrement moins riches captation de l'énergie solaire, à cause de leur ensoleillement, seraient moindres.

«Le site de production ne sera connecté qu'au Royaume-Uni. A chaque fois que Xlinks produit de l'électricité, elle ne va qu'au Royaume-Uni car il n'y a pas d'alternative. Cela donne confiance dans la sécurité de l'approvisionnement», estime Peter Osbaldstone.

Le financement de la construction sera le principal défi. Seuls des investisseurs stratégiques à grande échelle pourraient soutenir des dépenses en capital de 18 milliards de livres sterling et aucun accord n'a encore été conclu, fait savoir FDI Intelligence.

Les institutions de développement ne soutiennent que des projets qui contribuent à la décarbonisation locale ou au développement économique. Une grande partie de la problématique est donc de déterminer si les promoteurs du projet peuvent, ou non, sécuriser les 18 milliards de livres sterling que nécessite ce projet d'envergure, s'est demandé Juan Monge, analyste principal du solaire européen auprès de Wood Mackenzie.

L'équipe d'investissement de Xlinks est engagée auprès d'un très large éventail d'organisations, selon Richard Hardy. «Il n'y a que certains investisseurs qui peuvent rejoindre le tour de table... Comme les fonds de pension et les fonds souverains. Nous sommes également en discussion avec des entreprises qui ont été impliquées dans de très grands projets d'infrastructures énergétiques», a-t-il expliqué.

Le fondateur et PDG d'Octopus Energy Group, Greg Jackson, s'est quant à lui personnellement investi dans la phase de développement du projet et en reste pécuniairement solidaire, rappelle à cet égard FDI Intelligence. Greg Jackson a salué ce projet, pour la potentielle réduction des coûts énergétiques de clients britanniques, la réduction de l'impact de la volatilité de combustibles fossiles, la lutte contre le changement climatique et l'amélioration de l'accessibilité et de la sécurité de l'approvisionnement énergétique de la Grande-Bretagne. 

«La demande britannique est un point d'ancrage du projet», a expliqué Juan Monge. Dans un pays comme le Royaume du Maroc, «avoir un accord d'offtake ou un grand développeur soutenant un projet en augmente la certitude et c'est un élément important». Si Xlinks parvient à sécuriser une quantité suffisante de contrats d'achat d'électricité (PPA) pour couvrir une grande partie de la capacité, cela rendra l'investissement beaucoup plus attrayant et à faible risque: «devenir commerçant [sans PPA] est risqué, d'autant plus que le Royaume-Uni est le seul endroit où il peut atterrir», a indiqué Peter Osbaldstone.

Le marché de la capacité énergétique flexible peut certes offrir des prix plus élevés, mais la date d'achèvement du projet, définie pour 2030, signifie qu'il est encore trop tôt pour soumissionner pour un contrat au Royaume-Uni, les offres de contrats aux enchères ayant lieu quatre ans avant la date de la livraison de Xlinks, a enfin écrit, quelque peu lapidaire, FDI Intelligence.

Par Wadie El Mouden
Le 23/08/2022 à 14h00