Le projet Xlinks, porté par une start-up britannique du même nom, soulève bon nombre d’interrogations. Transporter plus de 10 GW d’électricité verte, produite à partir du vent et du soleil aux portes du Sahara marocain, via un câble électrique sous-marin, le plus long au monde, reliant le Maroc au Royaume-Uni, tous les ingrédients semblent réunis pour créditer un projet pharaonique qui pousse les limites de l’inimaginable.
Le peu d’informations dévoilées à ce jour évoque un investissement de l’ordre de 22 milliards de dollars (c'est près de 16% du PIB du Maroc), avec l’ambition de fournir 8% des besoins en électricité de la Grande-Bretagne, à compter de 2030.
Adeptes d’une communication au compte-gouttes, les promoteurs de Xlinks ne laissent filtrer aucun détail sur la nature du deal (si deal il y a) avec les autorités marocaines.
Du côté marocain, en l’absence d’une communication officielle de la part du gouvernement, beaucoup n’hésitent pas à mettre en doute la concrétisation de ce projet, même si la communication de Xlinks reprend à chaque fois un détail non moins important, selon lequel le Maroc se serait engagé à mettre à sa disposition une réserve foncière de 150.000 hectares pour accueillir la ferme solaire photovoltaïque, les éoliennes ainsi que la batterie de 5 GW destinée au stockage de l’énergie produite sur le site dans la région de Guelmim Oued-Noun (aucune localisation précise n’a été indiquée à ce jour).
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Pourtant, Xlinks dispose bien d’une structure marocaine, dirigée par Dayae Oudghiri, qui fait office de relais entre le siège londonien et les autorités marocaines. Selon nos informations, celle-ci a frappé à plusieurs portes et est allée à la rencontre de bon nombre de responsables marocains (ministres, élus, etc.). Ces réunions n’ont fait l’objet d’aucune communication publique, pourtant censée rassurer les Marocains, curieux de savoir à quel point les intérêts du pays seront préservés. Surtout après avoir appris, début juillet dernier, que le fameux câble sous-marin, long de 3.800 km, qui va relier le Maroc au Royaume-Uni, sera fabriqué dans une usine…. En Ecosse.
Car il y a une question légitime qui mérite d’être posée: que gagne le Maroc avec le projet de Xlinks, en dehors d’une exploitation pure et simple de ses ressources naturelles (solaires et éoliennes)?
«Le Projet Xlinks consolidera le rôle du Maroc en tant que leader régional et mondial dans le domaine de la transition énergétique et des énergies renouvelables, le plaçant comme plateforme mondiale de production et d’export d’énergie verte», répond, se voulant rassurante, cette source autorisée chez Xlinks, interrogée par Le360.
«Le projet permettra la création de près de 10.000 emplois dont 2.000 permanents. Une part consistante des composantes éoliennes et solaires sera fabriquée localement sous forme de contenu local, renforçant ainsi les investissements étrangers au Maroc d’une part, et garantissant une forte implication des entreprises marocaines d’autre part. A ce stade, plusieurs consultants et cabinets marocains ont été impliqués dans le projet», précise ce même interlocuteur, qui a requis l'anonymat.
Et d’ajouter: «le projet, à travers une forte coordination au niveau local, pourra créer de nouvelles opportunités de développement économique et social au bénéfice de la population locale. Il ouvrira par ailleurs des opportunités de collaboration dans plusieurs autres domaines, tels que la formation et l’industrie».
Le projet, poursuit cette même source, viendra renforcer la coopération entre le Maroc et le Royaume-Uni, «ce qui est complètement en phase avec les orientations actuelles tels qu’exprimées par les représentants gouvernementaux des deux pays à plusieurs reprises».
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Devant ces paroles teintées d’espoir et d’optimisme, des observateurs aguerris du secteur des énergies renouvelables tiennent tout de même à émettre des réserves et se posent de légitimes questions.
Le projet a certes tout pour plaire sur le papier, mais plusieurs interrogations, autour de certains aspects qui ont toute leur importance, restent sans réponses.
Tout d’abord, Xlinks a-t-il les capacités financières à même de réaliser ce projet? Réponse unanime des experts contactés par Le360: non. A-t-il déjà réalisé des projets de cette envergure? Pas davantage. «Xlinks est une start-up», tient-on à rappeler, à juste titre. Cela dit, force est de constater que Xlinks a tout de même réussi à recruter des personnes avec une forte expérience dans le secteur des énergies renouvelables.
Il ne faut pas non plus omettre le fait que le câble électrique devra passer par les eaux territoriales espagnoles, portugaises et françaises. «Ces trois pays devront donner leur aval. Or, je ne pense pas que la France, après le Brexit, donnerait son feu vert à Xlinks», estime cet expert en énergies renouvelables.
Même à supposer, par optimisme, que Xlinks réussira à obtenir l’aval de ces trois pays, l'opération risque de prendre plusieurs années. Pour preuve, il y a lieu de citer l’exemple du projet d’interconnexion Maroc-Portugal, dont l’étude traîne depuis juin 2016, malgré la forte volonté politique des deux pays. Alors même qu’il s’agit là d’un projet gouvernemental, contrairement à celui de Xlinks, qui revêt un caractère purement privé.
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Source: ministère de la Transition énergétique
La question de l’impact du projet sur la balance des paiements mérite également d’être posée. Xlinks étant détenue par des étrangers, l’export de l’électricité ne bénéficiera pas au Maroc, étant donné que les dividendes seront transférés en devises aux actionnaires à l’étranger.
Alors que le Parlement s’apprête à valider la nouvelle charte de l’investissement, certains observateurs estiment qu’il serait opportun d’imposer une limite de rapatriement des dividendes car il s’agit là de ressources naturelles de premier plan. D’autres, suggèrent quant à eux d’imposer des royalties, à l’instar du modèle requis pour les firmes pétrolières.
En termes de création d’emplois et de transfert de technologie, il est également recommandé d’exiger un taux d’intégration industrielle élevé pour la production des pales, des turbines et des panneaux solaires (sachant que le câble électrique sera fabriqué en Ecosse). «Les centrales éoliennes et solaires sont très peu pourvoyeuses d’emplois post-construction. Il faut donc s’assurer de développer une industrie en amont», explique cet expert en énergies renouvelables. Car au-delà des effets d’annonce et des montants mirobolants promis, il faut réalistement défendre qu’un projet de cette envergure, s’il venait à voir le jour, profite avant tout au Maroc et aux Marocains.