C’est un secret de polichinelle. L’informel a la peau dure au Maroc. C’est ce qu’a confirmé l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans sa première étude économique sur le Maroc publiée mercredi 11 septembre à Rabat. Pour étayer son constat, l’organisme indique que l’emploi informel représentait 67,6% de l’emploi total dans le Royaume en 2023, contre une moyenne de 52% en Algérie, en Égypte et en Tunisie.
Cette économie grise, qui a pris de l’ampleur, est très répandue dans l’agriculture, ainsi que dans les secteurs de la construction et des travaux publics, et le commerce. «Les entreprises informelles sont moins productives et les travailleurs de l’économie informelle sont peu rémunérés. L’ampleur de l’économie informelle est également préjudiciable à la mobilisation de recettes fiscales, à la croissance globale et à la dynamique concurrentielle dans le secteur formel», souligne le rapport.
Abaisser l’impôt sur les sociétés pour les PME
Après le constat, place aux actions. Pour lutter efficacement contre l’informel, l’OCDE recommande la mise en place de plusieurs mesures. D’abord, alléger les coûts des procédures exigées pour inciter à la formalisation. «Les entreprises et les travailleurs souhaitant éventuellement intégrer le secteur formel sont découragés par le coût que cela représente. Des procédures d’enregistrement compliquées et coûteuses, ou encore une réglementation excessive du travail pourraient en être la cause», explique-t-elle.
Ensuite, abaisser l’impôt sur les sociétés (IS) pour les petites et moyennes entreprises (PME): «L’allègement de la fiscalité des entreprises et des travailleurs aux marges de l’économie formelle peut créer de plus fortes incitations à la régularisation», indique l’organisation, précisant que les cotisations de sécurité sociale obligatoires élevées, surtout dans le cas des travailleurs faiblement rémunérés, peuvent être un obstacle majeur au développement de l’emploi formel.
L’OCDE suggère aussi de faciliter l’accès aux marchés ouverts aux entreprises formelles, pour inciter à la régularisation, et dématérialiser les procédures requises pour opérer dans le secteur formel, afin d’«impulser la régularisation en réduisant le coût de la conformité et en renforçant les mécanismes de dissuasion».
Améliorer la réforme sociale pour inciter à la régularisation
Autre piste de solution: la réforme du système de prélèvements et de prestations sociales. Pour l’OCDE, la réforme sociale devrait améliorer les incitations à la régularisation en exigeant l’inscription au nouveau registre social unifié (RSU, lancé depuis fin 2023, en conditionnant l’assurance maladie à un minimum de cotisations sociales au-delà d’un certain seuil. «Il est possible que, malgré la réforme, des travailleurs continuent d’exercer ou de déclarer un emploi informel, tout en cotisant et en étant couverts par l’assurance sociale», précise-t-elle.
Outre le travail informel bien connu, il existe plusieurs entreprises bien enregistrées qui recourent à des pratiques informelles. De l’informel structuré qui pourrait être freiné, selon le rapport, à travers un contrôle plus rigoureux du paiement des impôts et des cotisations de sécurité sociale, ce qui permettrait de réduire les cas de sous-déclaration des revenus. «Les entreprises employant des travailleurs informels pourraient être interdites de contrats futurs dans le secteur public et les personnes exerçant une profession libérale de manière informelle, interdites d’exercice», suggère le document.
L’autre possibilité pour réduire cette pratique, c’est de rendre obligatoire la déclaration des salaires par voie électronique comme au Chili. «Cela permettra de vérifier les informations communiquées par rapport à celles du régime de sécurité sociale afin d’empêcher les entreprises de «sur-déclarer» les salaires pour réduire leur facture d’impôt sur les sociétés, et de les sous-déclarer pour faire baisser leurs charges sociales», soutient l’OCDE.
L’organisation propose aussi de renforcer les mesures de contrôle du paiement des cotisations sociales, d’augmenter le nombre d’inspecteurs du travail, et d’exiger le paiement obligatoire de tous les salaires par virement automatique ou au moins de ne pas autoriser de paiements en espèces déductibles des impôts afin d’empêcher les employeurs d’opter pour l’emploi informel.
Réformer la réglementation du marché du travail
La réforme de la réglementation du marché du travail au Maroc s’avère également nécessaire pour inciter les entreprises informes à se régulariser. D’après l’OCDE, la rigidité de la protection de l’emploi fait peser une lourde charge sur les employeurs, réduit la demande de main-d’œuvre et stimule l’activité informelle.
«Bien que les données officielles fassent apparaître un passage progressif aux contrats écrits, sauf parmi les personnes les moins instruites. Les autorités devraient envisager d’élaborer un modèle de contrat écrit simple pouvant être utilisé par défaut afin que les contrats formels soient plus répandus», préconise-t-elle.
L’autre recommandation phare de l’OCDE, c’est de revoir le niveau du salaire minimum garanti (SMIG) «relativement élevé», fixé à 3.111,39 dirhams par mois dans le secteur privé et 3.500 dirhams par mois dans le secteur public, qui, selon elle, peut avoir un effet dissuasif sur l’emploi formel. «Même dans le secteur formel, où les salariés sont censés être rémunérés au SMIG, la conformité semble imparfaite sachant que 45.6% des salariés ont déclaré un salaire inférieur au SMIG à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) en 2019», révèle l’organisation.
Afin de garantir «un salaire minimum adéquat», le rapport recommande la mise en place d’une commission indépendante chargée de revoir périodiquement le SMIG, comme c’est le cas en France ou encore au Royaume-Uni, en tenant compte de facteurs sociaux et économiques, comme la croissance de la productivité.
«Pour éviter des effets négatifs sur la régularisation, les autorités pourraient envisager d’exclure certains secteurs à faible productivité et d’appliquer un salaire minimum sectoriel inférieur dans certains cas, comme cela est déjà le cas pour l’agriculture ou pour les travailleurs domestiques. Une autre option serait d’autoriser un taux inférieur spécial pour les jeunes, dont la productivité est moindre et dont l’embauche est le plus menacée par un SMIG trop élevé», suggère l’OCDE.