Affaire Bab Darna: ces têtes qui risquent de tomber

Dessin- Mohamed Elkho-Le360

Nouveau rebondissement dans l’affaire Bab Darna. Une nouvelle plainte à laquelle Le360 a eu accès a été déposée auprès du procureur général du roi près la Cour d’appel de Casablanca. Les détails.

Le 11/01/2020 à 16h03

Datée du 25 décembre 2019, une plainte collective signée par 150 victimes des projets fictifs de Bab Darna a été adressée au procureur général près la Cour d’appel de Casablanca. Elle vise directement un président de commune, de hauts fonctionnaires de l’administration territoriale, un architecte, des propriétaires terriens et certains membres de la famille du promoteur immobilier, Mohamed El Ouardi.

Sofia El Ouardi, en sa qualité de responsable marketing et communication, a joué un rôle majeur dans la promotion des projets «fictifs» du groupe Bab Darna. La fille cadette du promoteur immobilier a été propulsée sur le devant de la scène en devenant porte-parole du groupe dans différents médias, notamment quand il s’est agit de vendre l’image d’une entreprise socialement responsable (distribution de denrées alimentaires, etc). Elle s’est surtout distinguée par sa forte mobilisation lors des salons de l’immobilier à Paris et à Bruxelles (Smap Immo), événements au cours desquels des dizaines de transactions ont été conclues avec des Marocains résidant à l’étranger.

Sofia El Ouardi est aussi secrétaire générale de l’amicale Sama Al Baida. Selon certains contrats de réservation consultés par Le360, cette amicale a initié au moins deux projets «fictifs», à savoir Medina Blanca et Majorelle Garden, après avoir délégué la maîtrise d’ouvrage à Rasmal Invest, pour le premier, et à Medi House, pour le second.

Le nom de la fille du PDG figure également parmi les actionnaires de plusieurs sociétés filiales du groupe Bab Darna. Portée disparue depuis l’éclatement de l’affaire, Sofia El Ouardi aurait déjà fui le Maroc selon les dires du collectif des victimes.

Convoquée à plusieurs reprises par la police judiciaire, O.I.F, l’épouse du promoteur serait aussi impliquée dans cette affaire. Outre les contrats de réservation qui portent sa signature, O.I.F n’est autre que la trésorière de l’amicale Sama Al Baida, soit le véhicule sur lequel s’est appuyé le groupe Bab Darna pour s’adonner à des pratiques délictueuses, profitant du vide juridique caractérisant le domaine «pourri» des amicales d’habitats.

Le chef du service chargé de la légalisation auprès de la commune Mers Sultan est ciblé à son tour par la plainte collective. Et pour cause, l’ensemble des victimes de Bab Darna, tous projets confondus, ont été orientés vers cette administration pour légaliser les contrats de réservation établis par le promoteur et non par le notaire. On leur a signifié que les signatures du PDG, du DG et de la directrice financière, sont déposées auprès de ce service de légalisation sis boulevard 2 mars à Casablanca. Plusieurs plaignants assurent même avoir légalisé leurs contrats en dehors des heures de travail!

Dans leur plainte, les victimes soulignent le caractère illégal de cette pratique qui, à leurs yeux, se confond avec les dispositions de la loi 39-08 portant code des droits réels. En effet, l’article 4 de cette loi dispose que «tous les actes relatifs au transfert de propriété ou à la création des autres droits réels ou leur cession, modification ou suppression doivent –sous peine de nullité– être établis par acte officiel ou par acte à date certaine établi par un avocat agréé près la Cour d’appel sauf disposition légale contraire… L’acte dressé par l’avocat doit être signé et toutes ses pages visées par les parties et la partie l’ayant établi… Les signatures des parties sont authentifiées par les autorités locales compétentes, et la signature de l’avocat ayant dressé l’acte sera validée par le greffier en chef du tribunal de première instance de sa circonscription judiciaire».

Selon les plaignants, le chef du service de légalisation au sein de ladite commune a non seulement enfreint la loi, mais a carrément participé à l’escroquerie orchestrée par les dirigeants de Bab Darna.

Les victimes pointent également la responsabilité du président de la commune de Bouskoura, ainsi que d’autres responsables de l’administration territoriale, notamment le caïd et le pacha. Dans leur plainte, en s’appuyant sur une série de dispositifs légaux (dahirs, décrets, circulaires, etc), ils rappellent les larges pouvoirs confiés aux présidents des communes en matière de contrôle des infractions dans les domaines de l’habitat, de l’urbanisme et de la construction.

Les victimes reprochent aux autorités locales d’avoir fermé les yeux sur un certain nombre d’irrégularités qui auraient induit en erreur les réservataires des projets fictifs de Bab Darna. Comment le promoteur, en l’absence d’une autorisation délivrée par la commune, a-t-il pu installer des points de vente un peu partout à Casablanca, appuyés par des panneaux d'affichage publicitaire formant une palissade sur le pourtour de terrains qui, pourtant, ne lui appartiennent pas?

Puis, les victimes s’interrogent sur les raisons ayant poussé les services de la commune de Bouskoura à venir démolir les bureaux de vente juste au lendemain de l’arrestation du PDG du groupe, Mohamed El Ouardi. Ne s’agit-il pas là d’une volonté de destruction de preuves, ce qui constituerait une entrave à la recherche de la vérité? Sinon comment expliquer le silence des services de la commune de Bouskoura, du Caïd et du Pacha le jour où Bab Darna a fait venir une gigantesque grue rien que pour simuler un chantier qui n’existe que sur le papier, et nulle part ailleurs.

L’architecte des projets de Bab Darna, O.R, n’a pas été épargné par la plainte des victimes. Ces derniers estiment que les plans 3D dessinés par son cabinet situé sur le boulevard Hassan Seghir (Casablanca) font partie intégrante des éléments constitutifs de l’escroquerie. L’architecte, poursuit la même source, a failli à ses obligations car il lui est interdit de réaliser son plan avant de mener les investigations nécessaires sur le projet, en s’assurant notamment de la propriété des terrains qui seront couverts par le plan d’architecture (certificat de propriété, plan cadastral, cahier des charges, etc). D’ailleurs, la majorité des terrains ayant l’objet de plans d’architecture revêt un caractère agricole et n’appartient pas au groupe Bab Darna ni à son fondateur. L’architecte O.R, soulignent les plaignants, est directement impliqué dans cette affaire, puisqu’il tenait lui-même à rassurer les victimes, en leur affirmant que les projets seraient déjà autorisés.

Enfin, les plaignants pointent du doigt la responsabilité des propriétaires des terrains sur lesquels devaient être bâtis les projets de Bab Darna. Leur silence lors de la phase commercialisation, en acceptant d’accueillir des bureaux de vente sur leurs terrains, étant synonyme de complicité voire d’une participation directe à cette opération d’escroquerie.

De tous ces propriétaires terriens ciblés par la plainte collective, l’implication de la société «Les Pins de Bouskoura», propriétaire du terrain correspondant au projet Gloria (un ensemble de villas), suffit à elle seule à soulever énormément d’interrogations. Il se trouve que cette société, détenue par T.B, a déjà autorisé Bab Darna à construire un lot de 8 villas semi-finies.

Le dépôt par Les Pins de Bouskoura d’une plainte contre le PDG Mohamed El Ouardi au lendemain de son arrestation, n’est qu’une tentative maladroite de victimisation en vue de couvrir son implication directe dans cette affaire, selon le collectif des victimes de Bab Darna.

Par Wadie El Mouden
Le 11/01/2020 à 16h03