Révélation sur les rites et symboles de la Préhistoire: le nord du Maroc, carrefour des mondes

Mouna Hachim.

ChroniqueDes menhirs, des tombes mégalithiques et des motifs gravés dans la roche, tous découverts dans la péninsule de Tanger, redonnent voix à un passé en résonance avec d’autres mondes, face à l’amnésie historique et à certaines théories venues d’ailleurs…

Le 24/05/2025 à 11h00

C‘est tout un pan oublié de la préhistoire du Maroc et du nord-ouest africain qui ressurgit, loin des récits linéaires et des narrations cloisonnées ou eurocentrées, invitant à imaginer un passé pluriel, ouvert et connecté.

Au croisement de l’Afrique et de l’Europe, le promontoire de Tanger s’impose comme un carrefour préhistorique majeur, bouleversant les perspectives établies en révélant qu’il fut, dès la fin de la Préhistoire, un espace d’interactions transméditerranéennes, un foyer de création symbolique et un nœud d’échanges culturels.

Les résultats de plusieurs années de fouilles, réalisées sur le site de Daroua Zaydan, viennent en ce sens d’être publiés dans les pages de la revue scientifique African Archaeological Review, apportant un éclairage inédit et revisitant la compréhension des sociétés anciennes de ce côté-ci de la Méditerranée.

Cette recherche, qui marque aussi une avancée méthodologique significative grâce à l’utilisation de la géomatique pour identifier les anciens réseaux et zones de circulation, est le fruit d’une collaboration entre l’archéologue marocain Youssef Bokbot rattaché à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine, le professeur espagnol Jorge Onrubia Pintado de l’université de Castille-La Manche, et le doctorant Hamza Benatia, affilié à l’Université de Barcelone.

On apprend donc que le site de Daroua Zaydan, situé sur une colline dominant l’ancienne baie de Tahaddart dans la péninsule tingitane, a livré trois tombes mégalithiques en ciste, soit des sépultures taillées dans la roche, délimitées par quatre pierres et fermées, en guise de couverture, par une dalle. Un mode funéraire de forme trapézoïdale qui, selon l’étude, «a nécessité un investissement important en temps et en ressources, suggérant peut-être un contrôle territorial plus consolidé et plus stable».

Elément crucial de cette découverte: la première date au radiocarbone d’une ciste du nord-ouest de l’Afrique, qui situe sa construction autour de 2100 av. J.-C., témoignant d’une présence humaine organisée et de rites funéraires complexes, tout en confirmant l’ancienneté locale de cette pratique, vieille de plus de 4.000 ans.

À cette exhumation, s’ajoutent des peintures rupestres polychromes sur des abris sous roche, représentant une grande variété de motifs dont des cupules, des cercles concentriques, ou encore des motifs bi-triangulaires semblables à ceux observés à Ibiza. D’autres dessins, représentant des carrés contenant des points et des lignes à l’intérieur, sont similaires à ceux déjà identifiés dans le désert du Sahara. Un faisceau d’indices indiquant des transmissions de symboles et de savoirs entre les deux rives de la Méditerranée, bien avant que les «cavaliers des mers» ne sillonnent ces eaux et n’abordent ces rivages.

Se dressent aussi des menhirs: ces sentinelles de pierres, silencieuses mais signifiantes, alignées en d’énigmatiques cercles ou solitaires, qui ponctuent le paysage comme des jalons de mémoire, dont le symbolisme sacré résonne à travers les âges.

Des pierres levées qui ne sont pas sans rappeler le fabuleux site de Mzora, à quelques dizaines de kilomètres de là, où 176 menhirs dessinent une mystérieuse enceinte autour d’un tumulus, matérialisant une géographie sacrée défiant le temps.

Bien que chacune de ces structures soit singulière dans son contexte local, elles s’insèrent dans une cosmographie funéraire méditerranéenne commune.

Pour ce qui est du site de Daroua Zaydan, la datation des vestiges s’inscrit dans une chronologie étendue, allant de 3.000 à 500 avant notre ère, soit entre l’âge du Bronze et l’âge du Fer. Elle vient ainsi témoigner d’une occupation prolongée et d’une continuité culturelle, tout en offrant un repère chronologique essentiel pour mieux éclairer la fin de la Préhistoire dans cette zone de convergence.

Au-delà des pratiques funéraires et des paysages rituels, qui révèlent une maîtrise technique de l’espace, une codification symbolique, et une dissociation entre zones d’inhumation et d’habitat, ce que ces pierres racontent, c‘est l’existence d’une civilisation enracinée mais également ouverte sur le monde.

Dès le Paléolithique supérieur, cette région, loin d’être isolée, semble avoir joué un rôle de trait d’union, évoquant l’existence de circulations transrégionales et une intégration active aux grandes dynamiques culturelles.

Ici, les traditions iconographiques ibériques et sahariennes cohabitent dans un même espace, dans une porosité culturelle inattendue, comme si ces lieux devenaient la toile d’un dialogue immémorial entre différents mondes.

Dès lors, le détroit de Gibraltar n’apparaît pas comme un obstacle, mais comme un canal de circulation d’idées, de techniques, de croyances, reliant plutôt qu’il ne sépare.

En somme, ces travaux de terrain et cette articulation des perspectives géographiques, archéologiques et historiques invitent à reconsidérer les narrations académiques traditionnelles quant à la préhistoire du Maghreb, longtemps marginalisée au profit de modèles exogènes. D’autant plus que des recherches parallèles, comme celles menées à Oued Laou, ont révélé tout récemment une agglomération protohistorique active plusieurs siècles avant l’arrivée des Phéniciens.

Nous sommes bien loin de certaines représentations tenaces, biaisées par les approches coloniales ou orientales. Celles d’une «terra nullius» avant l’arrivée des grands navigateurs depuis les côtes du Liban actuel, ou celles d’un Maghreb pré-islamique périphérique, simple théâtre d’une histoire importée, préambule à l’histoire romaine ou à l’islamisation et à la conquête arabe.

Ce paradigme, construit pour servir un regard impérial, aggravé par l’urbanisation galopante et les pillages anciens, a anéanti d’une certaine manière la profondeur historique des sociétés nord-africaines, a gommé leur inventivité, leur capacité à structurer leur espace, à créer des formes symboliques, à penser leur mémoire.

D’où l’importance actuelle de repenser cette histoire en se référant à ses racines africaines et d’en proposer une relecture en profondeur.

Il s’agit donc, selon les auteurs de l’étude, de souligner l’intégration pleine et entière de cette aire aux circuits d’échanges, en plaidant pour une révision des modèles explicatifs dominants, qui ont trop longtemps sous-estimé son rôle structurant dans l’histoire méditerranéenne.

Les tombes mégalithiques, les gravures rupestres, les menhirs deviennent de fait les vestiges d’un passé pluriel et d’un espace nord-africain qui ne fut ni isolé ni en attente d’une civilisation extérieure.

Ici, l’histoire ne s’écrit pas en marge, mais en interaction et en échange, dans le cadre des grandes dynamiques protohistoriques du bassin méditerranéen, tels des fragments d’un récit ininterrompu, qu’il revient aux archéologues mais aussi aux artistes, aux intellectuels, aux médias, à l’Ecole et aux pouvoirs publics, de faire réentendre.

Car ce que l’archéologie réveille, ce n’est pas seulement un savoir-faire. C‘est une mémoire endormie, qui s’élève. Ce sont des sociétés enracinées, qui sortent de l’ombre pour réintégrer la grande fresque méditerranéenne, non comme figurantes, mais comme actrices de l’Histoire à part entière.

Par Mouna Hachim
Le 24/05/2025 à 11h00