Je n’aime pas Spielberg!

Karim Boukhari.

ChroniqueEn société, je cache mon jeu, je fais semblant, je fais comme les autres. Pour ne pas être ostracisé. Parce que je représente une minorité, une espèce menacée.

Le 08/06/2024 à 08h59

Il suffit de dire «Je n’aime pas Spielberg» pour plomber une ambiance. Les autres vous regardent de travers, de biais. Mais comment ose-t-il? Et pour qui se prend-il, celui-là?

C’est vrai, je n’ai jamais aimé Spielberg. Je dois être une exception. Tellement que je devrais consulter un psy. J’imagine son désarroi: «Je ne peux rien pour vous». Ou alors «Mais quel est le problème avec vous, mon bon monsieur?».

Le problème, c’est que le seul Spielberg qui trouve grâce à mes yeux s’appelle «1941», un film hilarant, drôle et méchant, sur la parano qui s’est emparée des Américains après les fameuses attaques de Pearl Harbor. Pas de bol, c’est le seul film de Spielberg qui a été un total échec commercial. Un bide total. Même Spielberg ne l’aime pas.

Donc merci Steven, si tu lis ce billet, voilà qui confirme que toi et moi, on ne sera jamais d’accord!

Bien sûr, on va me citer «A.I. Intelligence artificielle», et on va me dire: «Tu vois, Spielberg a été le premier à évoquer l’intelligence artificielle, c’est un visionnaire». D’accord, mais sur le sujet, je préfère «Her», un petit film jouissif où un homme tombe fou amoureux d’une femme virtuelle, avant de découvrir qu’elle le trompe avec des millions d’hommes. Normal, son amoureuse n’est qu’un programme informatique, une intelligence artificielle!

Il y a mille et un poncifs, tics et trucs dans le cinéma de Spielberg qui me le rendent antipathique. Ou fake, comme on dit aujourd’hui. Je n’aime pas la morale de ses films, ses représentations de la famille américaine modèle, la musique de John Williams, le matraquage marketing qui accompagne chacun de ses faits et gestes. Je le trouve tarte, niais, gnangnan, convenu, superficiel, inoffensif.

Je n’aime rien de ce que les autres aiment chez le soi-disant maître de Hollywood. Ni ses films sérieux qui font systématiquement plouf, ni ses romances à l’eau de rose, et encore moins ses divertissements à très gros budget. Parmi les cinéastes et les artistes que je n’aime pas, c’est mon préféré.

C’est pathologique. Je suis une pathologie ambulante, un être déviant. Cela fait des décennies que je souffre. Ma douleur est telle que dès qu’une personne dit «Je n’aime pas trop le dernier Spielberg», je suis prêt à lui sauter au cou pour l’embrasser, et l’aimer pour la vie.

En société, je cache mon jeu, je fais semblant, je fais comme les autres. Pour ne pas être ostracisé. Parce que je représente une minorité, une espèce menacée. Il faut nous dupliquer et nous cultiver dans un milieu biologiquement protégé. Nous sommes un produit bio, rare et cher, non génétiquement modifié.

Tous mes amis aiment Spielberg. Mais il y a pire comme vices et défauts, donc…

Vous voilà donc prévenus, amis lecteurs. Si l’une de mes opinions politiques et sociales, l’un de mes jus de crane ou pensums tarabiscotés heurte votre sensibilité, rappelez-vous: j’appartiens à cette infime minorité qui n’aime pas Spielberg. CQFD. Et merci.

Par Karim Boukhari
Le 08/06/2024 à 08h59