Le 14 mai, le premier ministre français François Bayrou, a décrété, sur la base d’un rapport de Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, et au vu des dispositions du code de la Santé publique, la nomination au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé de plusieurs personnalités.
Ont été désignées, sur proposition de ministres, experts, de chercheurs ou de présidents d’associations, des personnalités qualifiées choisies en raison de leur compétence et de leur intérêt pour les problèmes d’éthique, ainsi que des personnalités appartenant aux secteurs de la recherche et de la santé. Une troisième catégorie concerne les représentants d’associations de personnes malades et d’usagers du système de santé, d’associations de personnes handicapées, d’associations familiales et d’associations œuvrant dans le domaine de la protection des droits des personnes.
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Outre les membres nommés par décret, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé comprend également des personnalités désignées par le président de la République appartenant aux principales familles philosophiques et spirituelles et, parmi lesquelles figure le romancier, politologue et islamologue franco-marocain Rachid Benzine, aux côtés d’Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef du quotidien catholique La Croix.
À propos de Rachid Benzine
Rachid Benzine s’attache à penser un islam en phase avec notre temps et s’investit également dans le dialogue islamo-chrétien. Auteur et chercheur, il est spécialisé dans les études coraniques, notamment dans l’analyse des sourates du Coran à travers le prisme des sciences humaines. Passionné par les grands théoriciens tels que Jacques Derrida, Michel Foucault et Paul Ricoeur dont les écrits l’aident à alimenter sa réflexion autour de l’Islam, il est ainsi notamment connu pour ses travaux sur l’Islam et ses rapports avec les autres religions.
On lui doit ainsi «Les nouveaux penseurs de l’Islam» (Albin Michel, 2008), «La construction humaine de l’islam» (Albin Michel, 2012), «Le Coran expliqué aux jeunes» (Seuil, 2013), l’article «Lire le Coran avec Paul Ricoeur, Des mille et une façons d’être juif ou musulman», coécrit avec Delphine Horvilleur (Seuil, 2017), mais aussi des contributions à des ouvrages collectifs notamment dans «L’Église, la République et l’Islam» (Bayard, 2016). Son dernier roman, «Les silences des pères», est paru aux éditions Seuil, en 2023
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Rachid Benzine a enseigné à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence dans le cadre du Master Religions et société, à la Faculté catholique de Louvain-La-Neuve et à la Faculté de théologie protestante de Paris. Il a été chercheur associé à l’observatoire du religieux et codirecteur de la collection «Islam des lumières» aux éditions Albin Michel, et est actuellement chercheur associé au fonds Paul Ricoeur et Sophiapol (sociologie, philosophie et politique). Rachid Benzine s’impose aujourd’hui comme une référence dans la réflexion sur l’islam
Interview avec Rachid Benzine:
Que représente pour vous cette nomination?
Cette nomination représente pour moi une reconnaissance, non pas tant de ma personne, mais d’une approche qui tente de tisser des liens entre différentes rives de la pensée. Elle témoigne d’une volonté d’inclusion dans le débat éthique de voix qui portent une sensibilité musulmane ouverte et dialoguante. Une pensée de l’écart selon le philosophe François Julien. Une altérité pour mettre en tension créatrice les questions qui relèvent de l’Éthique. C’est aussi une responsabilité immense, car il s’agit de contribuer à la réflexion collective sur des questions qui touchent à l’intime de la vie, à notre humanité partagée, au-delà des appartenances confessionnelles ou culturelles.
Quel sera votre rôle au sein de ce comité?
Mon rôle sera d’apporter une perspective nourrie par la pensée islamique contemporaine en dialogue avec les sciences humaines, sans jamais prétendre représenter «l’Islam» comme bloc monolithique. L’islam s’incarne d’abord à travers des femmes et des hommes, des idées, des pensées. Il faut toujours mettre du pluriel. Compliquer les intrigues du récit sur «l’islam». Je souhaite enrichir les délibérations éthiques d’une voix qui puise dans l’herméneutique coranique tout en étant pleinement ancrée dans les questionnements de notre temps. Il s’agira d’être fidèle à cette démarche d’entre-deux qui caractérise mon travail: ni relativisme qui dilue les héritages, ni essentialisme qui les fige.
Quel regard portez-vous sur le sentiment d’islamophobie grandissante véhiculé dans les médias français depuis quelques temps?
Je constate avec inquiétude une certaine essentialisation de l’islam dans l’espace médiatique français, où l’on confond souvent religion, culture, origine géographique et positionnement politique. Cette confusion nourrit des amalgames dommageables pour le vivre ensemble. Cependant, je me méfie des postures victimaires qui instrumentalisent ce constat. Notre responsabilité collective est de créer des espaces de dialogue où l’on puisse aborder ces questions sans anathèmes ni tabous, avec une exigence intellectuelle qui refuse autant le déni des discriminations réelles que la complaisance envers des discours de haine, d’où qu’ils viennent. La République a besoin de ces conversations difficiles mais nécessaires. Faire société, c’est faire place à toutes les histoires et mémoires. Pour faire Récit commun, nous devons mettre en commun nos récits .
Bientôt un nouvel ouvrage dédié à la question religieuse?
Un essai en cours d’écriture: une herméneutique éthique de deux sourates du Coran pour 2026
Des projets à venir?
Un roman sur Gaza à paraître le 21 août 2025: «l’Homme qui lisait des livres». Et la création d’une école au Maroc avec des amis marocains. Cela fait trois ans que nous travaillons sur la faisabilité et sur la pédagogie éducative à adopter.