C’est arrivé un mois d’avril: le combat d’Aïn Chaïr et l’expédition d’Oued Guir

Mouna Hachim.

ChroniqueC’est une bataille qui illustre la lutte commune contre l’expansion coloniale et met en lumière le rôle de lieux historiques, souvent méconnus, en tant que centres de résistance, de ravitaillement et bases arrière.

Le 05/04/2025 à 12h00

Niché dans une palmeraie luxuriante au sud-est du Maroc, au cœur des massifs pré-sahariens, Aïn Chaïr se présentait comme un village fortifié formé de deux ksour, ceints d’une muraille de trois mètres flanquée de tours. Il était réputé pour son marché, la fertilité de ses terres et l’abondance de son eau, avec, pour point central, une source de vie accolée à son nom.

Aïn Chaïr a d’ailleurs porté plusieurs appellations à travers son histoire, sans jamais se détacher de ce lien à la source, nommée tour à tour Aïn Baïda (source blanche), Aïn Beni Mghit, en référence à Moughit, père de Meniî, dont la lignée est rattachée à la tribu hilalienne des Zoghba, qui forme une confédération occupant la vallée inférieure de l’oued Guir et s’étendant à l’ouest jusqu’au Tafilalet.

Aïn Chaïr porte son nom actuel depuis au moins le 19e siècle, dans le sens de source de l’orge, en raison de la profusion de cette céréale dans l’oasis et ses alentours.

Autre source de richesses, cette fois sur le plan du sacré: la présence de familles Slimani, affiliées aux Idrissi, en la personne du théologien issu d’Aïn al-Hout près de Tlemcen, Sidi Bou-Abd-Allah, dont le sanctuaire jouit d’une belle renommée. Sans oublier le rôle de zaouias, notamment celle des Kenadsa, appelée aussi Ziyaniya, fondée dans le Haut-Guir chez les Doui-Menia, sur les axes caravaniers sahariens, par le cheikh Sidi Bouziane, natif vers 1650 de la vallée du Draa.

Et voilà que ce lieu stratégique, à première vue paisible, occupa la scène au point que certains se demandèrent si l’expédition de l’oued Guir n’avait pas pour objectif Aïn Chair.

Généralement décrit comme un «lieu principal d’emmagasinement à la plupart des nomades du sud marocain», il était également perçu comme un centre d’approvisionnement et de logistique pour les résistants, offrant asile et soutien aux guerriers Doui Meniî, Ouled Sidi Cheikh, Ouled Djerir, Amour, Beni Guil…

Le général Emmanuel Félix de Wimpffen, commandant la province d’Oran, désireux de briser la coalition formée entre les habitants des oasis et les nomades sous la direction des chefs de zaouias, n’hésita pas à faire part de son projet d’expédition dans un rapport envoyé au gouverneur général, le maréchal de Mac-Mahon, et, de là, à l’empereur Napoléon III.

Les instructions du ministre de la guerre, Edmond Le Bœuf, furent claires: «Limitez-vos opérations autant que possible… Souvenez-vous que les Zegdou sont Marocains et que nous n’avons pas de contribution de guerre à leur imposer».

Dans ses récits militaires relatifs à L’Expédition de l’Oued Guir, Achille Fillias rappelle que «cette confédération, la plus puissante du sud-ouest marocain, était formée de trois tribus, ayant leur constitution propre, mais liées entre elles par une communauté d’intérêts, les Béni Guil, les Oulad Djérir et les Doui-Menias, auxquels se joignaient dans certains cas les Oulad Ahmour et les Brabers».

Le fait est que ces tribus avaient fait cause commune, animées toutes par le devoir moral du combat. Le 15 mars 1870, l’expédition du baron de Wimpffen partit d’Oran à destination de l’oued Guir. Parmi les différentes étapes de l’expédition, Ksar Boukaïs, au nord de Béchar, fut pris le 8 avril 1870, non sans résistance et riposte.

Des contingents des Beni Guil, défaits lors de la bataille de Toumiat, attaquèrent en effet à deux reprises, avec l’aide des fantassins d’Aïn Chaïr, la garnison française de Boukaïs avant de se replier au Ksar. Le 19, la colonne de Wimpffen se dirigea vers le nord, tandis que la colonne de ravitaillement du colonel de Lajaille amenait un convoi aux puits d’El-Mengoub.

Les troupes se mettent en route de très bonne heure le 24 avril et arrivent au lever du soleil devant l’oasis d’Aïn Chaïr, où elles dressent le camp à l’est du ksar, à près d’un kilomètre.

«Les premières reconnaissances furent accueillies à coups de fusil par les habitants sortis en foule pour les recevoir et nos soldats furent obligés de se replier, écrit le colonel C. Trumelet dans son Histoire de l’insurrection dans le sud de la province d’Alger en 1864. En même temps, les propositions de paix du général étaient repoussées avec arrogance et celui-ci se décida à installer sur la croupe au nord du ksar, les six pièces d’artillerie dont il disposait et à canonner pendant une heure les points de la ville où se voyaient les rassemblements les plus nombreux».

Le 25, aux premières heures du matin, la colonne du commandant de Lajaille arrive d’Aïn Ben Khelil avec quatre nouvelles compagnies du 2e Zouaves. Le ksar est cerné et coupé de toute voie de communication avec l’extérieur. Puis, à environ 16 heures, les négociations ayant échoué, l’artillerie ouvre le feu sur les quatre points de l’oasis.

Au terme d’une demi-heure de canonnade, toutes les colonnes assaillirent Aïn Chaïr, mais battirent en retraite à la tombée de la nuit, sans parvenir à entrer dans le ksar.

«Surpris de la résistance qu’il venait de rencontrer, comprenant enfin qu’il n’était pas outillé pour une pareille entreprise et préoccupé des rappels incessants du maréchal de Mac-Mahon, le général de Wimpffen, qui était certainement la bravoure et l’audace mêmes, se décida à traiter avec la djemâa du ksar le lendemain», lit-on dans les Documents pour servir à l’étude du nord-ouest africain.

Le matin du 26 avril, les Beni Guil ayant évacué Aïn Chaïr durant la nuit, ce sont les ksouriens qui se présentèrent pour demander l’amane au général, dont les pertes s’élevaient à 16 tués, dont 4 officiers, et 130 blessés.

«Depuis cette époque, écrit Ad. Berthoud, Aïn Chaïr passe aux yeux de cette population pour être absolument imprenable, pour une citadelle inexpugnable contre laquelle toutes les forces combinées de la chrétienté viendraient se briser comme une vague sur un rocher puissant».

Car il sera dit que, malgré le retentissement de l’assaut, celui-ci gardera un goût d’inachevé, du moins jusqu’au prochain prétexte fourni pour la prochaine attaque.

«Les incidents de frontières furent la principale «pseudo-cause» qui expliquerait si bien la présence des Français dans les confins sud-est marocains, affirme Abdelouahed Oufkir dans son livre L’émergence du pays du Guir (Maroc). Ainsi s’amoncelaient les rapports et s’écrivait l’histoire officielle de ces frontières que les protagonistes, eux ignoraient

Par Mouna Hachim
Le 05/04/2025 à 12h00

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impressionnant !

Bonjour chère Madame Hachim Merci d'avoir fait ce clin d'oeil à ce bled perdu dans les confins présahariens. Votre contribution éclaire le lecteur sur l'histoire oubliée d'Ain Chair et sur la résistance de sa population. Elle a le mérite d'être lue et partagée malgré quelques lacunes et imprécisions sur la bataille d'Ain Chair de 1870 nommée par les autochtones "bataille de Surtel" en référence au capitaine français tué par les aiaounia (les habitants d'Ain Chair). Le nombre de morts côté français est largement supérieur à ce que vous avez énuméré. Je vous conseille de consulter la thèse de l'éminent historien français Daniel Nordman qui a fait une analyse objective de l'expédition de l'oued Guir et en particulier de l'attaque du ksar d'Ain Chair par la colonne du général de Wimpffen.

Encore un épisode de notre histoire méconnue. Merci de nous faire connaître ces pans df notre histoire Mmf. Hachim.

Dommage cet article aurait été plus intéressant s'il était plus long et mieux détaillé.

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