Marocains en Italie

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ChroniqueMatera, c’est Fès! Mais Fès mieux conservée, restaurée. «Tu ne trouves pas que cette architecture rappelle ce qu’ont fait les Arabes en Andalousie ?». Oui, les cultures voyagent et laissent des traces. Comme quoi, il n’y a pas de choc de civilisations, mais une guerre des ignorances.

Le 27/02/2017 à 12h00

Je viens de faire un tour de lecture en Italie durant une douzaine de jours. Partout où je suis allé, j’ai rencontré des Marocains de toutes conditions. L’immigration marocaine dans ce pays est assez récente ; on est encore au niveau de la première génération, ce qui n’empêche pas quelques petits problèmes notamment dans le Piémont où pas mal de jeunes sont arrivés là en tant que clandestins, sans papiers. Le racisme ne les épargne pas. Le parti «La Ligue du Nord» et le mouvement «Frères d’Italie», tous les deux d’extrême droite, attendent leur heure pour renouer avec le fascisme. Il ne faut pas oublier l’islamophobie du parti «Cinq étoiles» dont le populisme flirte avec le racisme.

J’ai d’ailleurs profité de mon passage à Forli pour aller voir le caveau familial de Benito Mussolini qui se trouve à Predappio. On m’avait dit que «la nostalgie du fascisme» n’est plus un secret pour personne. Trois boutiques vendent des produits dérivés vantant le fascisme et son leader, Mussolini, et même quelques affiches nazies. Cela fait froid dans le dos, mais on voit bien que l’extrême droite revient en force un peu partout en Europe. On verra si le 15 mars, le candidat hollandais Geert Wilders, qui traite les Marocains de «racailles», gagnera les élections. Ce sera un signal de plus pour Marine Le Pen.

J’ai rencontré des compatriotes, des étudiants, des commerçants, des ouvriers. Je les ai trouvés dans l’ensemble plutôt heureux de vivre là.

Imane et Ilham sont deux étudiantes en marketing dans la belle ville de Parme. En même temps, pour vivre, elles travaillent auprès de personnes âgées qui ont besoin d’assistance ; elles se relayent et habitent ensemble. Elles sont épanouies, souriantes et pas timides. La discussion s’engage sur le Maroc.

Imane:

- J’adore mon pays, mais depuis que je suis ici, je me pose des questions surtout sur la condition de la femme. Ici, personne ne nous dérange dans la rue. A Tanger, surtout l’été, c’est le harcèlement permanent. Et si on riposte, ce sont des insultes à caractère sexuel ou même des coups."

Ilham acquiesce et ajoute:

- Le problème, c’est que les parents n’ont plus d’autorité sur leurs enfants. Je ne sais pas ce qui se passe, le décalage entre la vie ici et la vie là-bas est immense, mais je ne peux pas me passer du Maroc. Il y a de la violence partout, sauf qu’au Maroc, c’est nouveau.

A la question de savoir si elles comptent y retourner pour travailler, elles rient et puis esquivent le problème:

- On verra.Puis, Imane trahit son amie et m’apprend qu’elle est amoureuse d’un Italien de Turin qui est à la même école et qui voudrait l’épouser.

Elle ajoute:

– Il faudra qu’il se convertisse à l’islam!

Là, elles ne sourient plus. Elles sont même tristes.

Ilham dit enfin:

– La religion n’a rien à voir avec l’amour.On se prend en photo, on se salue comme de vieilles connaissances.

Le lendemain, à Reggio Emilia, j’aurais presque la même discussion avec trois jeunes Marocains nés en Italie. Leur avenir, ils le voient en Europe. Ils sont attristés par l’amalgame que font les gens entre islam et terrorisme. L’un d’eux, Imad, fait partie d’une association de dialogue inter-religieux. Cette région est plutôt paisible, c’est sans doute pour cela que l’association s’active ; elle veut donner l’exemple. A un quart d’heure du centre-ville, un complexe culturel superbe. C’est là que le soir je participe à un débat sur l’interculturalité avec un universitaire de Bologne.

Après la conférence, les gens dans la salle posent des questions. A un certain moment, un Marocain d’une cinquantaine d’années demande le micro, et le voilà parti dans un discours en arabe. Impossible de l’arrêter. J’étais très gêné parce qu’il ne se rendait pas compte que personne ne le comprenait, et moi je ne pouvais pas non plus traduire ce qu’il disait parce qu’il faisait mon éloge! Je lui demande en arabe s’il a une question. Il continue sur sa lancée: je suis d’Agadir, je suis venu là passer quelques jours chez mon frère ; d’ailleurs c’est sa femme qui m’a amené ici et m’a fait la surprise de te voir…

Je traduis vers l’italien la situation. Finalement il pose sa question : «Quand est-ce que tu viens nous voir à Agadir ?»

Il était sympathique. A aucun moment, il n’a eu l’impression que son intervention était un peu hors sujet. L’assistance l’a applaudi. Il l’a remerciée, cette fois-ci en berbère. Pas besoin de traduction, les gestes et la main sur le cœur suffisaient!

Matera est l'une des plus belles villes de la Méditerranée. Elle se situe à 65 km à l’ouest de Bari. Matera, c’est Fès ! Mais Fès mieux conservée, restaurée. Une médina de rêve où les murs ont été ravalés, les ruelles pavées et tout est préparé pour recevoir les millions de touristes qui arrivent de partout. Là aussi, je rencontre un Marocain, il travaille dans la région. Il ne tarit pas d’éloge sur les habitants de cette ville occupée par les Arabes pendant quelques semaines en 859 ; ils étaient venus de Bari où ils étaient restés un peu plus de vingt-cinq ans. On les appelait les Sarrasins. Il me dit qu’en 1192, huit cents Materanais ont participé à la première croisade. Mais ajoute-t-il, «tu ne trouves pas que cette architecture rappelle ce qu’ont fait les Arabes en Andalousie ?» Oui, les cultures voyagent et laissent des traces. Comme quoi, il n’y a pas de choc de civilisations, mais une guerre des ignorances.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 27/02/2017 à 12h00