Tbourida, laabe albaroude, tafrawt en amazigh. Fantasia en français, issu du grec, signifie spectacle imaginaire. Pourquoi imaginaire?
Ce serait dû au célèbre peintre français Delacroix: fasciné par tbourida, il en a fait des tableaux sublimes dès 1832. Il y aurait eu une confusion à partir du mot arabe al khayyale, cavaliers, et al khayal, imagination. Pour d’autres sources, fantasia vient du latin phantasia (rêve, fiction) ; pour d’autres, de l’arabe fantazia (apparat, ostentation). On dit en dialecte marocain d’une personne hautaine, tatfantaze ou tatbourade. Pour d’autres, fantasia est emprunté à l’espagnol fantasía: arrogance.
Tbourida vient de baroude: poudre à canon.
Tbourida, pour certains, date de la conquête des Arabes en Espagne au huitième siècle, pour d’autres du treizième ou quinzième. D’autres en protestent l’origine arabe et la situent dans le Maroc amazigh, avant la conquête des Arabes au septième siècle.
Si l’on rattache tbourida à la poudre à canon, cette dernière a été inventée par le chimiste allemand Berthold Schwarz au quatorzième siècle. Les premières armes à feu furent fabriquées le même siècle. Pendant des siècles, la cavalerie de guerriers à cheval était la meilleure arme militaire. Tbourida est la reconstitution d’un assaut militaire par des cavaliers. Si tbourida existe au Maghreb, au Maroc elle est le plus valorisée.
Il existe cinq types de tbourida: Hayania (région de Fès-Meknès), Chekaouya (région de Beni-Mellal), Khayatia (région de Casablanca), Nassiria (Doukkala-Abda) et Sahraouia (Sahara).
Tbourida demande des moyens: acheter le cheval, l’entretenir, l’équiper et s’équiper soi-même.
La sorba, troupe de cavaliers, est composée d’hommes d’une même famille, une même tribu. Les tribus rivalisaient: meilleurs chevaux, tenues, selles… Posséder un cheval donnait nakhwa, fierté, prestige. Les chikhates chantent: «Ouled haddou, koulla ou âoudou», la tribu Ouled haddou, chacun a son cheval. Le cheval de tbourida est le barbe d’origine amazigh ou l’Arabe-barbe. Les Arabes ont ramené un cheval arabe. Le croisement entre les deux a donné l’Arabe-barbe.
Chaque cavalier soigne son cheval précieusement, encadré par le moqadem, capitaine, qui entraine son équipe à une parfaite harmonie. Tamqadmite était transmise telle une baraka. Si Driss, moqadem des Hraouiyne: «Le moqadem choisit un cavalier à qui il cède la sorba lors d’une lila (soirée) avec zerda (repas somptueux) qui rassemble les hommes de la tribu et qui se solde par une fatha (lecture du Coran et supplications à Dieu pour protéger et aider la troupe)».
Tbourida se préparait pour le moussem, fête régionale annuelle qui honore le saint patron. Elle a lieu après la vente de la récolte et sert de rencontre, de vacances, de loisirs, de nzaha pour les familles. Elle se préparait des mois à l’avance. Les femmes préparaient les aliments: grains de couscous, viande séchée salée, douida, vermicelles roulés un par un par les doigts… Il n’y avait ni traiteur ni produits alimentaires manufacturés!
Des wtak (khayma, khzana), tentes caïdales, pour les hommes et d’autres pour les femmes, étaient dressées, avec du mobilier rapporté des maisons. Les 7 à 10 jours du moussem étaient des jours de fêtes, de sacrifice de bêtes et de repas somptueux.
Aujourd’hui encore, les préparatifs commencent par la spiritualité: visite de la sorba au sage de la tribu qui donne sa baraka. L’adage marocain dit: li ma ândou chikh, a-chitane houwa chikhou (sans sage, Satan devient ton sage)
Chaque tribu a ses costumes. Tbourida est l’exhibition des spécificités locales: caftans, farajia, simples ou brodés, djellaba, selham (cape), séroual golfe, elhayk (voile) ou razza (turban) autour de la tête…, tamgue (bottes en cuir simple ou brodé), khanjar (poignard) et parfois nimcha au dos (sabre), portés en bandoulière avec un fil de soie tissé, un exemplaire du Coran et lamkahla, fusil marocain au long canon orné.
Chaque sorba a plusieurs tenues. Le moqadem décide de celle à mettre pour chaque parade, la même pour tous les cavaliers. Le cheval reçoit des soins méticuleux: crinière et queue parfois tressées, attelage finement travaillé et la selle brodée selon les moyens. Son prix va de 5.000 à plus de 150.000 DH si elle est brodée au fil d’or.
Le rituel se clôture par la spiritualité. Si Driss: «Tbourida est liée à la guerre du temps du Prophète. Le guerrier doit respecter la tahara, purification de l’âme et du corps: ablutions, lecture du Coran et une fatha au cas où il meurt dans le combat. Le cavalier de tbourida peut tomber de cheval et mourir.» La rencontre avec Si Driss a été très instructive. J’ai appris que les cavaliers portaient autour de la tête un turban de 6 mètres qui protégeait leur tête mais servait aussi de linceul au cas où ils meurent loin de chez eux.
Commence alors le moment où sorba va éblouir le public. Le moqadem, au milieu de ses cavaliers, en contrôle l’harmonie. Chaque moqadem a son code. Si Driss crie «Hafid Allah» (Dieu protecteur) pour lancer l’étape de tachouira ou taslima: les cavaliers saluent et se mettent au trop. Ensuite, il crie «alkhayl» (cavaliers) pour talqa, le galop. Ensuite «ha lamkahèle» (les fusils) et ils commencent un jeu avec les fusils qui varie selon la sorba. Ensuite, un cri pour tirer en l’air ou en bas, selon les régions.
C’est l’instant sublime où les cavaliers disparaissent dans un nuage de fumée qui rend le spectacle magique. Le tir doit être synchronisé : un seul coup. Si un cavalier sort du rang, s’il a tiré avant ou après, il est sanctionné : il descend du cheval, le tire par la bride et rejoint la ligne de départ à pied. Une humiliation pour indiscipline.
Au Maroc, il y a près d'un millier de sorba dont 330 participent au championnat national annuel. La relève est assurée par les jeunes: il existe près de 24 troupes d’adolescents.
Tbourida, jadis réservée aux hommes, se féminise: 5 troupes féminines rayonnent par leur grâce et leur adresse. Rendons hommage à feu la princesse Lalla Amina, à la SOREC (Société Royale d’Encouragement du Cheval), à la Fédération Royale Marocaine des Sports Equestres et surtout aux khayyala. Tous ont revalorisé cet art populaire arabo-amazigh, partie intégrante de notre identité cultuelle, qui vient d’être inscrit comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Une fierté!