Les vacances de Monsieur El Othmani

DR

ChroniqueTwitter a sanctionné l’ancien Premier minitre marocain pour homophobie. Pour ma part, je lui conseille des vacances, et pas n’importe où: à Las Palmas!

Le 30/07/2022 à 08h59

Je ne sais pas où monsieur Saâd-Eddine El Othmani passera ses vacances. S’il n’a pas encore tranché la question, et s’il me fait l’honneur et le plaisir de me lire, je lui conseille Las Palmas de Gran Canaria.

La ville ancienne est riche en histoire et elle possède un beau passé dit mauresque, dont il pourra se délecter. Il pourra aussi, s’il y va en famille, faire une razzia dans les grands magasins qui affichent tous «rebajas» (soldes, remises) et possèdent, pour quelques-uns, des rayons de vêtements islamiques, certifiés conformes et couverts de la tête aux pieds.

Et puis il y a la plage. Ou plutôt les plages. Ce n’est pas ce qui manque dans cette île rocheuse au climat désertique. Le sable est mauvais mais la mer est bonne. Surtout, les gens sont libres de porter ce qu’ils veulent, c'est-à-dire d’être emmitouflés dans des sacs de patates. Ou de ne rien porter du tout!

Beaucoup de baigneuses se promènent les seins nus. Jeunes et moins jeunes, célibataires ou en famille. Beaucoup sont, pour reprendre une expression qui lui est chère, en situation «presque» familiale, c'est-à-dire en couple. Certaines se promènent en nu intégral ou en string ultra fin et couleur chair.

Je lui conseille d’ouvrir les yeux et de bien «mater», mais pas trop parce que personne ici ne «mate». Ils ont l’habitude, ils sont en paix avec leur corps et celui des autres. Ils sont là pour profiter de la mer et du soleil, et ils en profitent. Que l’autre soit nu ou en combinaison de plongeur en eau profonde, ça le regarde.

Alors il faut mater tout cela, cette paix des corps, cette liberté et ce respect de l’autre. C’est une bénédiction et un miracle de Dieu. Il ne viendrait à personne l’idée de se plaindre ou de crier à l’exhibitionnisme, au fameux «fahcha et mounkar» (débauche, dévergondage). Ici, il comprendra que le corps de chacun lui appartient et il est libre d’en faire ce qu’il veut. Et il se sentira bien, détendu, enfin détendu, en paix avec lui-même. Au point de ne plus mater, de ne plus juger personne, et de s’occuper seulement de sa paix intérieure.

En allongeant le pas jusqu’aux plages semi-désertes près de la pointe sud de l’île, il pourra se frotter (façon de parler) aux nudistes. Hommes et femmes, vieux ou jeunes, beaux ou pas beaux, sculptés par le bodybuilding ou flétris et amochés par l’usure et le temps qui passe, gays, lesbiennes, bisexuels ou straights, il verra que ce sont des gens comme les autres. Il se plaira et se surprendra même à respecter cette «faune», il ne les stigmatisera plus, il comprendra enfin que ce sont des gens «normaux». Le sentiment de paix intérieure qui l’enveloppera sera si fort qu’il pourrait même, qui sait, envisager de se défaire de son seroual pour profiter à son tour pleinement et sans complexe de la mer, du soleil…

Et puis, le soir venu, je lui conseille un centre commercial géant et à ciel ouvert, le plus grand de l’île, et dont il est inutile ici de donner le nom. En pénétrant dans ce lieu étrange et fascinant, il pourra faire sa prière puisqu’une belle mosquée est collée à l’entrée. Et elle est souvent pleine à craquer.

Plus loin, une fois ses devoirs religieux accomplis, il pourra se balader entre les bazars, les restos, les cabarets, les stands de tirs ou les aires de jeu. Il croisera des drag-queens, des stripteaseurs, des transgenres, des familles «classiques», des commerçants marocains ou pakistanais, des chanteurs, des danseurs, des gens venus du monde entier, différents au possible et qui semblent juste heureux d’être là.

Bien sûr, et tout au long des étapes de ce voyage surprenant, il y a des chances que Monsieur El Othmani devienne un Monsieur Hulot. Ce n’est pas grave. Comme dans le film de Tati, qui a une bonne fin, il multipliera les gaffes et les maladresses, mais finira par se rendre sympathique. Parce qu’il a un bon fond et que les bêtises ne sont que le fruit des peurs, des incompréhensions et des malentendus. Il était à côté de la plaque mais il se soigne!

Plus tard, quand il reprendra l’avion pour retourner au Maroc, il songera à ses sorties homophobes sur les malades de la variole du singe et se pincera les lèvres d’amertume et de regret. Pff, se lamentera-t-il, mais qu’est-ce qui m’a encore pris? Il se rappellera qu’il est psychiatre et que les psychiatres sont les derniers à stigmatiser leur prochain pour ses choix sexuels ou religieux. Il se souviendra de son passé de Premier ministre, une fonction qui l’obligeait à veiller sur le bien-être de tous les Marocains, sans distinction pour leurs préférences sexuelles.

Et il se dira, avec ce sourire béat qu’on lui connait: «Merci Las Palmas!»

Par Karim Boukhari
Le 30/07/2022 à 08h59